Un an d’exercice du pouvoir, c’est déjà beaucoup pour faire un bilan partiel de ce qui va et ne va pas dans le pays.Dans une brève adresse publiée sur les réseaux sociaux, notre président affirme entre autres joyeusetés que «l’heure n’est ni à une commémoration, ni à un bilan d’étape, mais plutôt au travail, car beaucoup reste à faire ».
Il est totalement conscient, lui qui se dit « compétiteur né », que la moisson de ces douze mois écoulés est des plus maigres, en terme de réalisations concrètes. Il aurait pourtant aimé, brandir tel un trophée de guerre, la concrétisation de son projet phare depuis la période de campagne électorale : la révision de la constitution avec ce qui constitue sa plus grande obsession (l’institutionnalisation du mandat unique).
Un an d’exercice du pouvoir, c’est déjà beaucoup pour faire un bilan partiel de ce qui va et ne va pas dans le pays. Et, on ne doit pas passer par quatre chemins pour dire ce qui ne va pas, et qui s’est d’ailleurs révélé grandeur nature, par le vote inédit de rejet de la prise en compte du projet de loi portant révision de la constitution : la mauvaise méthode de gestion du pays.
Nous sommes en mesure d’affirmer aujourd’hui que l’échec du projet de révision de la loi fondamentale, résume à lui tout seul les raisons du climat délétère actuel, et de manière prémonitoire, l’échec de toute la mandature Talon, si rien n’est fait pour redresser la barre. Je sais qu’ici les séides et autre sycophantes de la rupture vont hurler et pousser des cris d’orfraie sur le Cassandre qui prédit déjà l’échec de la rupture.
Qu’importe ! Qu’il me suffise de dire tout simplement que nul n’a le monopole du patriotisme, et que personne n’est suffisamment fou pour prédire le malheur à lui-même et à son pays. Il s’agit de dire tout haut ici, au regard des dérives observées, que la gestion que font les tenants du pouvoir de la chose publique, mise à nue par le vote- rejet du parlement, n’est pas de nature à apporter le progrès, la paix et la stabilité à ce pays.
Djogbénou tout seul…
Tenez ! Quel autre membre du gouvernement, en dehors du ministre de la justice et de quelques juristes de service, a-t-on vu défendre le projet de révision de la constitution ? Qui sont les auteurs de la réécriture des 43 articles nouveaux du projet de révision ? Pourquoi un projet d’une telle ampleur qui aurait pu faire l’objet tout seul d’une séance extraordinaire, a été noyé dans un conseil des ministres ordinaire où il a été question de la reprise du Pvi dans des conditions non élucidées à ce jour ?
Comment un conseil des ministres digne de ce nom a pu laisser passer, outre les coquilles qui jonchent le texte du projet, des dispositions aussi controversées que celles dénoncées en chœur par la communauté des universitaires, des magistrats et autres acteurs de la société civile ? Quelle urgence y-avait-il de convoquer une session extraordinaire en procédure d’urgence pour examiner un texte qui va organiser toute notre vie, alors que nous n’avons aucune échéance électorale avant 2019 ?
La vérité que refuse de reconnaître le ministre de la justice, et avec lui , le conseil des ministres d’hier jeudi 6 avril, est que le texte du projet de loi est largement en deçà des attentes et des préoccupations des Béninois, qui s’étaient levés comme un seul homme par le passé contre les révisions opportunistes de la constitution.
Le président Talon avait pourtant toutes les cartes en main pour éviter la débâcle de mardi dernier. Comment n’a-t-il pas pensé immédiatement après la fin des travaux de la fameuse commission des réformes institutionnelles, mettre sur pied une vraie commission de hauts juristes à l’instar des commissions Ahanhanzo et Gnonlonfoun, pour écrire un avant-projet de loi qu’on soumettrait d’abord à une commission politique de relecture composée des partis politiques par exemple ?
Cette solution consensuelle aurait eu l’avantage de nous épargner le spectacle peu glorieux de la cacophonie des déclarations qu’on a connues avant le vote à l’Assemblée. L’avantage aussi d’éviter la formation à la hussarde, d’une minorité de blocages hétéroclites et sans âmes, contre un texte qui n’a rien de consensuel.
Un président homme d’affaire recroquevillé dans son camp
Si ce scénario Alafia n’a pas pu se produire mardi dernier, c’est que le management de la chose politique depuis le 6avril 2016, est pour le moins calamiteux. Le président Talon donne la fâcheuse impression de gérer le pays, non pas avec l’ensemble du gouvernement et encore moins avec sa mouvance politique royalement ignorée, mais avec le petit cercle de ses intimes qui géraient avec lui les affaires. Il sort du pays quand il veut, refuse de participer à des sommets de chefs d’Etat où le Bénin doit marquer sa présence, et nous apprenons sur les réseaux sociaux que notre président était en visite d’affaires dans tel ou tel pays.
C’est aujourd’hui de notoriété publique que les trois personnes qui dirigent le gouvernement et le pays sont le président Talon lui- même, son conseiller spécial et cousin, expert-comptable de son état, Johannes Dagnon, et l’ami et associé inséparable Olivier Boko qui ne porte aucun titre, ni n’occupe aucune fonction officielle. Tout en étant omni présent ! Or ce premier cercle auquel est associé aujourd’hui le ministre Djogbénou, est essentiellement composé des hommes d’affaires ou associés qui n’ont aucune expérience des us et coutumes, ni même des intrigues du monde politique.
S’ils ont été « les télécommandes » assurant l’intendance et l’ordinaire, comme chacun le sait aujourd’hui, ils ne sont pas moins étrangers au monde politique qui a ses propres règles et ses propres codes. Et des personnalités comme l’ex ministre Candide Azannai qui ont le sens de l’honneur et de la dignité chevillé au corps, n’aiment guère passer pour des pantins manipulés par des mains extérieures. Sa démission fracassante la semaine dernière ne s’explique pas autrement. Tant qu’il en sera ainsi, c’est-à-dire, tant que le pouvoir et tout ce qui se décide ne sortira pas de ce petit cercle, rien ne changera positivement dans le pays.
Le ministre Djogbénou, tout agrégé de droit privé qu’il est, continuera de s’époumoner avec les effets de manche, et de s’extasier sur les mérites supposés de son président, dans des formules vaseuses comme celle-ci : « le président Talon est un homme d’affaires qui dirige le pays comme une entreprise ». Or, le Bénin n’est ni une entreprise publique, ni privée. Nous sommes un Etat et les citoyens de ce pays ne sont pas des employés du chef d’entreprise Talon, mais des hommes libres soumis à des obligations et ayant des droits inaliénables, comme celui d’exiger de celui qu’ils ont élu un compte-rendu de la gestion qu’il fait du bien commun.
Le président doit sortir impérativement du carcan des relations familiales et affairistes -en clair sortir définitivement de sa peau d’homme d’affaire-, pour aller à la rencontre des hommes politiques qui le soutiennent (actuellement ils font profil bas et se contentent de murmurer des conseils qu’il n’écoute pas, pour préserver les prébendes et l’argent de la corruption dont parlait la vielle Dame l’autre jour). Aller à la rencontre du peuple qui l’a élu pour s’imprégner de ses problèmes.
C’est avec lui et non sans lui et ses représentants les plus crédibles qu’il pourra engager les réformes politiques et institutionnelles dont ils sont les premiers bénéficiaires. Le président Macky Sall disait récemment à l’adresse de ses opposants qui l’accusent d’être tout le temps en campagne, qu’il n’a pas été élu pour rester entre les quatre murs de la présidence.
Notre président doit, non seulement sortir du palais de la Marina et de sa résidence cossue du quartier résidentiel de Zongo pour faire la politique pour laquelle on l’a élu, et nous donner la preuve qu’il a définitivement quitté le monde des affaires, mais également pour éviter les conflits d’intérêt! Il comprendrait alors pourquoi et comment Le projet de révision « Djogbénou », avec les dispositions non consensuelles comme le mandat unique et l’impunité octroyée aux dignitaires, a vécu. Il est même déjà mort né! Le président Talon devrait s’atteler, et ce n’est pas le plus difficile, à faire réécrire avec le concours de tous, un projet plus consensuel qui ne violente pas la constitution de 1990. Ainsi parviendra-t-il à être porté en triomphe le 6avril 2021, comme il l’a souhaité lui-même, pour avoir été celui qui a réussi une révision en douceur, sans avoir défloré la jeune fille vieille de 27 ans.
Répondre à Baba Didier Annuler la réponse