Quel est le diagnostic qui a permis d’aboutir à cette sorte de dénationalisation déguisée, d’autant que les ministres ont affirmé que l’Etat voulait s’offrir les services d’un consultant pour l’éclairer?Deux membres du gouvernement ont tenu lundi dernier un point de presse pour s’expliquer sur les dernières mesures prises par le conseil des ministres, relatives à la question épineuse jamais résolue de la gestion de la Sbee.
Cependant, il est difficile à travers un simple point de presse d’appréhender les tenants et aboutissants d’une décision aussi grave que celle de la gestion d’une société d’état comme la Sbee, qui a fait couler et continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive.
Il ne suffit en effet pas de proclamer qu’on a décidé de faire une « délégation de gestion », un euphémisme à vocation soporifique, pour convaincre les sceptiques ou les partisans du maintien de ce fleuron de l’économie dans le patrimoine de l’Etat.
Si l’on admet que seul l’Etat est capable de faire les gros investissements qu’induit l’électrification de toutes les localités du pays, les partenaires privés -on le sait ne visent a priori que leur profit-, il est difficile de conclure que le privé est le seul capable de bien gérer une société de service public comme la Sbee, avec un si lourd passif de gestion scabreuse et chaotique. Les exemples d’autres pays africains comme le Sénégal qui, lui, avait misé sur l’expertise supposée d’une société canadienne avant de se rétracter sous le régime Wade, et de la Côte d’Ivoire où l’augmentation sensible des tarifs par le concessionnaire français a provoqué des émeutes, doivent atténuer l’optimisme béat des partisans du néolibéralisme à tout crin.
Cela dit, la Sbee a des problèmes gros comme ça ! Lesquels ont été depuis longtemps identifiés par les nombreux audits commandités par les différents régimes qui se sont succédés à la tête de notre pays, depuis la nationalisation intervenue au lendemain du coup d’état d’octobre 1972. Et les problèmes sont de deux ordres intimement liés : l’intrusion intempestive des autorités politiques dans la gestion de la société qu’on sollicite à temps et à contretemps pour régler des problèmes d’ordre politique, et l’impunité liée à la mauvaise gestion de la société. Pour commencer par ce dernier aspect, celui de l’impunité et de la mauvaise gestion, il suffit de rappeler que les nombreuses commissions d’enquête diligentées contre la gestion de tel ou tel Dg, tel ou tel ministre, se sont toutes terminées en eau de boudin. Qui a jamais compris dans quelles conditions des groupes électrogènes ont été acquis à grands frais sans avoir permis de régler la question du délestage ?! Quant à la question massive de l’intrusion du politique dans la gestion, cause principale de l’état de déliquescence de la société, elle se décline en deux volets liés à la gestion patrimoniale des biens publics : l’accumulation de factures impayées par l’administration et les ponctions commanditées par les plus hautes autorités, pour le financement de projets non budgétisés et à caractère populiste (Ramu, microcrédits) et autres mesures sociales comme la gratuité de la césarienne.
De ce point de vue, le choix porté sur un prestataire de service (appelons-le par son nom) qui ne s’occupera que de l’exploitation, sans aucun investissement lourd, ne garantit pas une meilleure gestion de la société, tant s’en faut ! Ce dernier débarquera avec son cortège de cadres dits compétents, dont les émoluments seuls grèveront durablement le budget de fonctionnement de l’entreprise, sans aucune garantie de maintien de tous les emplois, comme le gouvernement le prétend, par souci d’efficacité et surtout de rentabilité. Car un prestataire qui se veut performant peut-il accepter de maintenir une main d’œuvre aux compétences qui ne correspondent pas à ses objectifs de rentabilité ? Si c’était une conditionnalité pour la mise en œuvre du 2ème compact du Mca, les dirigeants de notre pays devraient avoir le courage de dire aux Américains que les solutions néolibérales ne sont pas transposables en l’état dans un pays arriéré, où la gestion d’un secteur aussi vital que celui de l’énergie électrique ne peut échapper à la compétence de l’Etat. D’ailleurs, la loi sur la dénationalisation avait déjà identifié les secteurs vitaux que sont l’eau, l’électricité et les télécommunications, comme des secteurs non privatisables. On peut ouvrir ces secteurs vitaux aux privés (comme cela se passe dans le secteur des télécommunications), mais on ne peut pas les privatiser. On peut donc conclure que ce qu’on appelle pompeusement « gestion déléguée » n’est qu’une forme de privatisation déguisée qui laisse à l’Etat le soin de s’occuper, pour ainsi dire du « sale boulot», de faire les investissements lourds pour que de prétendus gestionnaires viennent en accaparer la partie juteuse, qu’est l’exploitation des infrastructures acquises à grands frais. On est dans le même cas de figure que le fameux pvi et les mises en concession de la sécurité, et bientôt de tout l’aéroport ; en attendant de constater que ce sont les mêmes hommes qui contrôlent tous ces secteurs par délégation complaisante du pouvoir de la rupture à son propre profit
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