Censé être utilisé pour déplacer les agents qui font les forages sur les côtes béninoises, l’hélicoptère acquis a été habilement « détourné » de l’usage commercial auquel il était destiné. Acheté courant février 2014 et ramené au pays, c’est en juillet que l’hélicoptère immatriculé TY-ABC sera opérationnel avec le recrutement d’un pilote et d’un mécanicien civils pour s’en occuper tel que décidé par le conseil des ministres du 14 juillet 2014.
Pour ce recrutement, la SOBEH n’a pas cherché trop loin. Grâce à ses contacts, elle a réussi à toucher une société pétrolière au Nigéria qui l’a aidé à prendre contact avec AERO SUPPORT LLC dont le siège est à Delaware aux Etats- Unis. Cette société spécialisée dans l’exploitation des hélicoptères a signé le 24 août 2014 un contrat avec la SOBEH. C’est grâce à ce contrat qu’AERO SUPPORT LLC a mis à la disposition de la SOBEH un pilote et un mécanicien spécialisés en hélicoptères. Il s’agit d’Eric Olivier Duprez, pilote d’hélicoptère et de Yves Maleplate, mécanicien.
Tous deux sont des français et exerçaient à Port Harcourt au Nigéria. Mais Eric Olivier Duprez précise être venu au Bénin pour la première fois en Juin 2014 pour « checker » le premier hélicoptère avant de démarrer effectivement en aout de la même année. Mais une fois sur place, les trajectoires de l’hélicoptère immatriculé TY-ABC ont changé. Au lieu de transporter les agents des firmes pétrolières sur les plates formes en haute mer où se font les forages, l’hélicoptère a commencé à faire des déplacements de Cotonou vers les autres villes du pays avec souvent à bord le président Boni Yayi.
Olivier Duprez qui ne se rappelle plus de la date du premier vol raconte que c’est le colonel Soulé Abou alors Directeur du cabinet militaire du Chef de l’Etat qui l’a contacté pour déplacer le Chef de l’Etat vers une ville du septentrion. Et c’est ainsi que de jour en jour, l’hélicoptère a commencé à servir aux déplacements du Chef de l’Etat en laissant de côté la cause pour laquelle il a été acheté.
En vérité, tout a été fait pour que l’hélicoptère ne serve jamais à cette fin. En effet, selon le code de l’aviation civile béninoise, les normes requises exigent qu’avant que l’hélicoptère ne soit amené à voler et à être exploité pour des fins commerciales, il lui faut avoir un certificat de navigabilité qui est « le document attestant qu’un aéronef est apte à faire une navigation aérienne ».
En plus, la structure qui l’exploite doit détenir un Permis d’exploitation aérienne(PEA), « document délivré à une entreprise par l’autorité aéronautique civile d’un Etat attestant que l’entreprise concernée possède les capacités professionnelles et organisationnelles pour assurer l’exploitation d’aéronefs en toute sécurité. Mais la délivrance de ces documents par l’Agence nationale de l’aviation civile(ANAC) requiert certaines exigences auxquelles doit se conformer la SOBEH.
Le certificat de navigabilité délivré par le constructeur n’est valable et n’est validé que s’il est accompagné d’un contrat de maintenance avec une structure agréée. Mais son obtention n’a pas été facile parce que la SOBEH n’a pas daigné signer aussitôt, le contrat avec la société de maintenance basée au Nigéria.
« La SOBEH n’a signé ce contrat qu’après que l’hélicoptère parti pour un check up régulier ait été immobilisé à Port Harcourt après le refus de Aerocontractors Company of Nigéria ait attendu la signature du contrat qui ne venait pas », raconte M. Duprez qui ajoute que pendant des mois, l’hélicoptère a volé sans le moindre papier puisque la SOBEH hésitait à signer le contrat de maintenance.
Pour le PEA, selon nos investigations, aucune démarche n’a été faite par la SOBEH. Cette information a été confirmée par M. Prudencio Béhanzin, Directeur Général de l’ANAC qui nous a confié que « la SOBEH n’a jamais été détenteur d’un PEA ». Selon le Règlement numéro 6 de l’aviation béninoise (RAB6), « l’exploitant doit avoir désigné des responsables acceptables par l’ANAC pour l’encadrement et la supervision des domaines suivants : les opérations aériennes, le système de maintenance, la formation et l’entrainement de l’équipage, les opérations au sol, le système qualité… ».
Sans le PEA, l’hélicoptère est donc d’usage privé. Et désormais il sert de moyen de déplacement au président Boni Yayi. Chose curieuse, pendant ce temps, la SOBEH continuait toujours à payer chaque mois près de 100 millions à louer auprès Bristow Helicopters Nigeria Limited des hélicoptères pour le déplacement des agents. Duprez dit avoir longtemps poussé les responsables de l’ANAC et le ministre Kassa pour se faire délivrer le PEA mais rien n’a bougé. Au contraire, il a été parfois réprimandé et ses courriers aux autorités, le Chef de l’Etat en l’occurrence, sont restés sans réponse.
« J’ai compris que personne n’en voulait. Tant que la situation restait en l’état, tout le monde en profitait. Kassa utilisait aussi l’hélicoptère pour des fins privées dès que le président avait tourné le dos. Serait-il intéressant de parler de tous ses déplacements privés Cotonou- Bassila dès que le président avait quitté le pays ? Je pense que cela le mettrait très mal à l’aise », accuse le pilote.
Le ministre Kassa s’en défend. Joint pour opiner sur la question, il a répondu ironiquement que c’est par manque de clients qu’il a décidé de le mettre à la disposition du chef de l’Etat. « Quand vous n’avez pas de contrats, il faut trouver des moyens pour chauffer l’appareil », a-t-il dit. A la SOBEH où on cultive une sorte d’omerta sur le dossier, le directeur général Michel Saka n’en sait pas grande chose. Son prédécesseur Jean-Jacques Atchadé qui a géré tout le dossier refuse aussi d’en parler.
« Je suis en retraite et je n’aimerais pas parler de ce dossier, allez voir mon successeur », nous a-t-il dit.
Seule une source anonyme en a parlé : « Une fois acheté, l’hélicoptère a servi au déplacement des autorités, je pense que c’est le but secret visé depuis le début. Les opérations pétrolières ont juste servi d’alibi pour l’achat ».
Vers un procès inutile
Le 25 mars 2016, soit trois mois après le crash, le directeur général (DG) de la SOBEH d’alors Jean Jacques Atchadé envoie un courrier au DG de Aero support LLC en la personne du pilote Eric Duprez, pour lui notifier la résiliation du contrat de travail en citant l’article 3 dudit contrat qui parle des obligations contractuelles découlant de l’exploitation de l’hélicoptère.
Il cite également les articles 1328 et 1328.1 du code civil de 1804 et affirme que chaque partie est libérée de ses obligations contractuelles étant donné que l’aéronef est irréparable. Le 29 mars, dans sa réponse, Eric Duprez affirme que la SOBEH gère deux hélicoptères et que l’indisponibilité de l’un ne peut entrainer la résiliation du contrat. Qu’en plus, il n’est écrit nulle part dans le contrat que l’accident de l’hélicoptère allait entraîner la résiliation des contrats du pilote et du mécanicien et que si résiliation il doit avoir, ce dernier doit être fait par chacune des parties après un préavis de six mois notifié par écrit.
Il l’invite aussi à payer les six mois d’arriérés de salaires prescrits selon le contrat. Dans une lettre adressée au DG SOBEH le 11 avril 2016, Me Lionel Agbo, avocat de Aéro LLC support réclame pour ses clients la somme de 83.318.460 F CFA. Depuis, Eric Duprez et son compatriote Yves Malplate n’ont reçu aucun kopeck. Installé depuis plusieurs mois à Dakar, Eric Duprez affirme avoir saisi le tribunal commercial de Paris- juridiction choisie de commun accord avec la SOBEH- pour se faire rendre justice. Le Bénin risque gros et pourrait perdre beaucoup d’argent.
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