(interview exclusive) Depuis quelques heures la toile panafricaniste est en émoi. Et pour cause, le principal acteur du mouvement, Kemi Seba a été arrêté après avoir brûlé un billet de Franc CFA face à des caméras, pour dénoncer la monnaie qu’il juge colonialiste. Face à ce geste la BCEAO a décidé de porter l’affaire en justice. Sur la toile, un grand nombre d’activistes panafricains ont décidé d’apporter leur soutien à Kemi Seba. LNT s’est rapprochée d’un des leaders du mouvement Urgences Panafricanistes que dirige Kemi Seba. Il s’appelle Hery Djehuty et est considéré comme le numéro 2 de l’ONG. Il répond ici à nos questions concernant l’activiste, son geste, la procédure en cours contre lui au Sénégal, mais aussi ce que l’ONG prévoit faire pour le soutenir.
LNT : Bonjour Hery Djehuty, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?
Je me nomme Hery Djehuty, je suis l’actuel coordinateur et conseiller stratégique de l’ONG Urgences Panafricanistes qui a été fondé et qui est présidé par Kemi Seba depuis fin 2015. Il a eu l’idée et nous avons cofondé ensemble. Je suis également son plus proche collaborateur, son meilleur ami, son conseiller politique. On travaille ensemble depuis moins d’une quinzaine d’années. Je l’ai accompagné dans tous ses mouvements, de la Tribu Ka, génération Kemi Seba, New black panther etc…. J’ai une maîtrise en histoire, un DEA en géopolitique et je termine une thèse en Sciences politiques.
Pouvez-vous nous dire clairement ce qui lui est reproché? Que risque t-il?
La Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) lui reproche d’avoir brûlé un billet de 5000 FCFA lors de la mobilisation que nous avons faite le 19 Août et destinée à s’attaquer à la Françafrique et à souhaiter la suppression du Franc CFA. Voilà ce qu’on lui reproche. C’est la BCEAO qui a déposé plainte et il a été arrêté à son domicile, ce vendredi matin à 7h du matin puis placé en garde à vue par les services de la Division d’investigation criminelle (DIC), la super-police sénégalaise, ce qui montre le caractère politique de cette affaire puisque en général ils s’occupent des hautes affaires de criminalité, je ne savais pas qu’aujourd’hui s’attaquer à un symbole du colonialisme et vouloir plus de justice pour son peuple c’était se comporter comme un criminel.
M. Kemi Seba savait-il qu’il enfreignait la loi en brûlant le billet de Franc CFA?
Il faudrait savoir que cette action n’était pas préméditée. C’est une action qui est venue au cours de son intervention et la morale qui est la sienne c’est de toujours assumer les actes qu’il pose. Nous faisons partie de cette génération de militants qui s’est engagée, qui ne s’engage pas à la légère. Lorsque Kemi Seba pose cet acte, il est conscient des risques qu’il encourt, mais j’ai envie de dire qu’on ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs. (…) Une révolution est toujours partie d’un acte de transgression. Lorsque vous considérez qu’une loi ou qu’un système est inique, il est de la responsabilité de chaque citoyen de prendre ses responsabilités, de prendre son courage à deux mains et de protester contre une loi qui peut violer les libertés et le droit inaliénable de chacun. le Franc CFA est le symbole d’une servitude, le Franc CFA ne permet pas aux pays africains de se développer. Le Franc CFA maintient les pays africains sous une forme de dépendance vis-à-vis de la France. Il est du devoir de chaque citoyen qui aspire à la liberté de poser tout acte susceptible de lui permettre de se libérer. En ce sens brûler un billet de 5000 FCFA c’est certes perdre 5000 FCFA mais c’est surtout brûler ce qui incarne un système de soumission et de servitude. C’est surtout un acte qui nous permet de nous libérer et de nous soustraire d’un système. Je prend l’exemple de Mandela qui avait brûlé son laissez-passer sous l’apartheid, ça fait partie de ces actes historiques de transgression. Si vous considérez qu’une loi n’a pas lieu d’être, il est du devoir de chaque citoyen de poser les actes de la fin de la servitude. Voilà comment il faut lire cet acte.
Que compte faire l’ONG Urgences Panafricanistes pour venir en aide à son leader?
La stratégie mise en place se présente sous différents niveaux. Nous avons créé un hashtag #liberezKemiSeba et demandé aux internautes de nous faire parvenir des vidéos pour manifester leur soutien à notre leader et faire ainsi comprendre aux autorités françaises et à la BCEAO que pour un Kemi Seba enfermé, il y a des millions d’autres dehors et il faudrait créer des millions de prisons pour incarcérer tous ceux qui veulent protester contre cette monnaie. On est en train de se fédérer avec d’autres leaders de la société civile pour organiser des rassemblements et des sit-in. Des conférences seront organisées entre le lundi et le mardi. Nous avons également appelé un maximum de personnes à se rassembler au tribunal ce mardi pour assister Kemi Seba. La dynamique est excellente, il suffit de jeter un oeil sur la toile pour voir le nombre de vidéos et de sujets de discussions en notre faveur.
Quel sera, selon vous, l’impact de cet événement sur la lutte contre le Franc CFA?
L’acte d’insoumission historique de Kemi Seba fait le tour de la toile, le tour des revues de presse. Chacun s’empare des questions, chacun débat, et en soi on a déjà gagné. L’idée c’était de sortir de ce statut quo, de cet immobilisme, les débats entre pseudo-intellectuels et pseudo-spécialistes qui n’ont jamais réussi à faire bouger les lignes. Les gens ont un peu tendance à vouloir caricaturer l’action de Kemi Seba comme un acte de violence sans réflexion, sans intelligence, au contraire, on a des gens au sein de l’ONG qui ont travaillé sur la question de la monnaie comme le professeur Agbohou… Force est de reconnaître que depuis que l’ONG Urgences Panafricanistes s’est emparée de la question du Franc CFA depuis le début de l’année, les lignes de débats ont bougé… L’enseignement de toute cette histoire c’est qu’on a réussi à démocratiser cette question et à faire en sorte que chaque africain s’empare de cette thématique. Et cela on le doit à la capacité qu’a eu un Kemi Seba à parler de façon claire, de façon didactique et avec une certaine éloquence sachant parler et concerner les masses.
Dans votre combat, beaucoup d’africains vous soutiennent, mais sur la toile, on trouve également certains africains qui critiquent vos méthodes, qu’avez-vous à leur dire?
Le rapport de force est bien entendu majoritairement en notre faveur. Vous trouverez toujours des gens qui sont accrochés à ce système. Quand il y a un système qui est défavorable à une majorité, il y a une minorité qui en profite. Et c’est cette minorité qui nous en veut. Il est évident que cette minorité qui est accrochée à ses intérêts ne va pas scier la branche sur laquelle elle repose. Il faut juste être capable de peser le pour et le contre et de jauger les forces en présence. Parfois on a l’impression qu’ils sont plus nombreux, mais c’est parce qu’ils disposent de certains leviers et de certains réseaux qui par prisme déformant nous donne l’impression qu’il sont nombreux, mais la réalité est bien entendu toute autre . Mais il n’y a pas photo. Aujourd’hui on a des soutiens même au sein des milieux les plus élitistes… Les 5000 Fcfa qui ont brûlé, ce sont ceux qui n’ont pas forcément à manger qui ont compris la dynamique, mais ceux qui ne vivent pas les réalités des masses africaines, qui vivent dans des hôtels climatisés, ce sont ceux qui feignent de s’indigner et de ne pas comprendre la symbolique vertueuse de l’acte … C’est là que vous vous rendez compte de l’hypocrisie de ces gens.
Si j’avais un mot à dire à ceux qui nous soutiennent, c’est de leur dire : plus que jamais, il y a un alignement des planètes. Tous les événements concourent à ce que l’Afrique recouvre enfin sa souveraineté. On vit dans le monde de l’interconnexion, des satellites, de l’internet. Les Africains comprennent qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Ils ne sont plus dupes des concepts et des idées qui viennent de l’extérieur, et ils sont prêts à l’autodétermination. Il faut qu’on soit à la hauteur des enjeux qui sont les nôtres.
Pour ceux qui ne croient pas en nous, ceux qui par insuffisance d’informations, de manipulation de l’ennemi, ceux-là on les incite à faire un travail de recherche et d’informations pour déconstruire ce monde qui leur a été présenté. Quant aux autres qui nous aiment pas parce qu’ils profitent du système, la fin de ce système approche, et nous comprenons l’inquiétude qui est la leur car il n’y aura pas de rémission pour ces élites ayant trahi.
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