L’Ong Social Watch Bénin, acteur majeur de la société civile, émet des réserves sur la création de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) en République du Bénin, une nouvelle juridiction dans l’arsenal juridique béninois, objet de plusieurs critiques depuis son avènement et surtout ces premiers actes. C’est un avis défavorable qu’émet Social Watch sur la création de cette cour spéciale créée par la loi n° 2018-13 du 02 juillet 2018 en République du Bénin. Son avis est soutenu par une analyse dans laquelle elle relève des gênes et des violations tant au niveau des conditions de création et de mise en place de la CRIET que de la nature et la particularité de la juridiction.
Déjà la procédure du vote de la loi n° 2018-13 modifiant et complétant la loi n° 2001-37 du 27 août 2002 portant organisation judiciaire en République du Bénin modifiée et création de la CRIET est suspecte selon le développement de l’Ong. C’est une loi votée par une minorité à l’Assemblée nationale; un texte défendu par un ministre devenu le temps que la loi ne soit votée, Président de la Cour constitutionnelle et donc appelé à nouveau à se prononcer sur la constitutionnalité de la même loi. Et tout ceci, en quelques jours.
Social Watch Bénin, au vu de la Constitution du Bénin, analyse aussi les dispositions opérationnelles de la CRIET et trouve d’une part, que la juridiction ne garantit pas les droits des inculpés et qu’il y a d’autre part, des risques de déviance. Elle en veut pour preuve les premières décisions de l’institution. «Dans le cas d’espèce, les premières décisions rendues et les procédures suivies pour rendre ces décisions violent certains droits essentiels de l’accusé et nous laisse perplexe quant à sa capacité à respecter les droits humains et à rendre une justice impartiale dénuée de toute influence politicienne». Lire l’intégralité de l’opinion.
Les réserves de Social Watch Bénin sur la CRIET en trois points :
– Les conditions de création et de mise en place de la CRIET
– La nature et la particularité de la juridiction
– Les décisions et les risques de déviance
1- Les conditions de création et de mise en place de la CRIET
La Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme instituée par la loi n° 2018-13 du 02 juillet 2018 pose au vue de l’opinion certains problèmes liés non seulement à ses conditions de création mais aussi à son installation. Il s’agit notamment :
– Des circonstances politiques de création de la CRIET.
Le parlement béninois a voté avec une minorité de 18 députés présents la loi n° 2018-13 modifiant et complétant la loi n° 2001-37 du 27 août 2002 portant organisation judiciaire en République du Bénin modifiée et création de la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme.
– La rapidité avec laquelle la cour constitutionnelle a déclaré conforme la loi n° 2018-13 du 02 juillet 2018.
Alors Ministre de la justice, le professeur Joseph Djogbénou était défenseur du même texte en débat à l’Assemblée Nationale. Le temps que la loi ne soit votée, le Ministre est devenu Président de la Cour Constitutionnelle et donc appelé à nouveau à se prononcer sur la constitutionnalité de la même loi. Même si la situation semble normale sur le fond, la forme nous pose un peu de problème. La loi ainsi votée, le Président de la République a saisi le Président de la Cour constitutionnelle le 13 juin 2018 qui rend conforme la loi le 21 juin 2018. Tout ceci n’a duré qu’une semaine.
– Dans un contexte de suspicion au plan politique.
Certains béninois perçoivent la lutte contre la corruption et l’impunité comme une lutte ciblée visant singulièrement les acteurs politiques apparemment opposés au pouvoir en place. D’aucuns en faisant une faisant une lecture croisée du texte portant création de la CRIET et des réformes envisagées dans le code électoral trouvaient en cette juridiction d’exception un moyen déguisé d’empêcher certains challengers politiques à se présenter aux élections.
– De la violation de l’article 13 de la loi portant création de la CRIET.
Le 25 juillet 2018, le gouvernement par décret pris en conseil des ministres sur proposition du garde des sceaux, a nommé les membres de la chambre des libertés et de la détention. Ce décret viole l’article 13 de la loi n° 2018-13 du 02 juillet 2018 qui stipule : « Il est institué une chambre des libertés et de la détention composée de trois (3) magistrats nommés parmi les magistrats en fonction ou à la retraite par le président de la cour de répression des infractions économiques et du terrorisme par année judiciaire.……… » Procédant ainsi à la nomination de ces magistrats en conseil des ministres, le gouvernement a exercé́ des prérogatives qui ne sont pas les siennes et s’est immiscé dans le fonctionnement de la CRIET mettant ainsi à mal l’indépendance de l’institution.
– Le morcellement de la justice
Tout comme l’UNAMAB, nous faisons remarquer que la multiplication des juridictions spéciales ou thématiques porte atteinte à l’architecture judiciaire. La loi n° 2018-13 du 02 juillet 2018 a retiré aux cours et tribunaux des pans entiers de leurs attributions et les confie à des juridictions spéciales. C’est donc une fragmentation de la justice qui crée une confusion sur le rôle et la place de l’institution dans l’ordonnancement judiciaire ainsi que sur le profil de ses animateurs. La plupart des animateurs de cette cour sont dans une situation de cumul de fonctions.
– Le siège de la CRIET
Le siège retenu pour abriter l’institution s’avère être le local du ministère de la justice à Porto Novo ce qui met une fois encore à mal l’indépendance de l’institution.
2- Nature et particularité de la juridiction
A l’instar de la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI) au Sénégal, la CRIET au Bénin ne garantit pas les droits des personnes inculpées par cette juridiction d’exception. Elle est érigée comme une institution de la République au même rang que la cour suprême et la cour constitutionnelle qui juge en dernier ressort et pire a la possibilité de décider de la privation de liberté. Lutter contre les crimes économiques est légitime mais la CRIET ne prévoit aucune possibilité d’appel et ses règles de procédure renversent la charge de la preuve. Autrement, vous êtes présumés coupable et c’est à vous de démontrer votre innocence.
La loi n° 2018-13 du 02 juillet 2018 ne prévoit pas la possibilité́ d’un nouvel examen au fond des affaires qui sont connues par la CRIET. Pourtant, c’est pour faire bénéficier du principe du double degré́ de juridiction aux personnes poursuivies pour des faits de nature criminelle que le législateur a supprimé́ les sessions d’assises. Ainsi, le jugement des crimes a été́ attribué aux tribunaux de première instance avec la possibilité́ pour les accusés de relever appel.
3- Les décisions et les risques de déviance
Il est louable d’avoir une institution spécifique de lutte contre la corruption et l’impunité encore faudrait –il que, dans le respect des droits humains, celle-ci rassure le citoyen et garantisse les droits essentiels de l’accusé (la présomption d’innocence, le droit à la défense, le droit à un procès équitable, la possibilité d’interjeter appel). Dans le cas d’espèce, les premières décisions rendues et les procédures suivies pour rendre ces décisions violent certains droits essentiels de l’accusé et nous laisse perplexe quant à sa capacité à respecter les droits humains et à rendre une justice impartiale dénuée de toute influence politicienne. Autrement dit en totale indépendance. Le bicéphalisme de cette institution (Tribunal et cour) nous amène à nous demander quels noms donne-t-on aux décisions de cette juridiction : jugements ou arrêts ? Pourquoi seules les parties civiles et le ministère public ont la possibilité de relever appel des décisions de la CRIET ?
Par rapport à certaines dispositions opérationnelles de la CRIET, on se demande si la loi qui régit la CRIET est au-dessus de la constitution notamment ses articles 12 et 15 qui violent notre loi fondamentale tant dans son Préambule qui dit « Affirmons solennellement notre détermination par la présente Constitution de créer un État de droit et de démocratie pluraliste, dans lequel les droits fondamentaux de l’homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus comme la condition nécessaire au développement véritable et harmonieux de chaque Béninois tant dans sa dimension temporelle, culturelle que spirituelle », que dans les dispositions formelles « Article 8 : La personne humaine est sacrée et inviolable. L’État a l’obligation absolue de la respecter et de la protéger » etc… Article 20 « Le domicile est inviolable. Il ne peut y être effectué de visites domiciliaires ou de perquisition que dans les formes et conditions prévues par la loi ».
Le réseau Social Watch Bénin, au regard des nombreuses réserves sus mentionnées trouve inopportune l’instauration d’une cour d’exception avec ces nombreuses attributions dans une démocratie avancée comme celle du Bénin.
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