Le Bénin est à la croisée des chemins. La paix et stabilité n’ont jamais été si remises en cause depuis l’historique conférence des forces vives de la nation. En effet, depuis l’avènement du régime de la rupture, les pratiques politiques et la philosophie du régime se révèlent proches des régimes autoritaires qui bafouent les principes les plus élémentaires de la démocratie.
Ce fait est confirmé par des propos Président TALON qui, lors d’une rencontre avec le clergé en 2018, affirme : « Nous allons compromettre la paix dans les temps à venir (….) pour le développement » ! Mais, au fond, a-t-on besoin de compromettre la paix pour développer une nation ?
L’intérêt de ce questionnement est double. D’une part, la paix et la stabilité politique sont des acquis du renouveau démocratique dont les Béninois, en général, sont fiers. D’autre part, cette posture venant du premier des Béninois est inquiétante et traduit une trahison du serment présidentiel. Dans tous les cas, quelles que soient les motivations qui sous-tendent ces propos, quelle que soit la bonne foi du Président, cette posture condamnable sur la forme (1) est également discutable sur le fond (2).
Sur la forme, cette posture du Président Talon est condamnable
D’entrée de jeu, la parole du Président de la République est sacrée. Cette sacralité impose à ce dernier la réserve et la mesure. « Compromettre la paix… » ! Un président ne devrait pas dire ça. Et,  toute personne qui s’était indignée contre le « je mettrai le pays à feu et à sang » de Boni YAYI, rapporté par Mme Rosine SOGLO en 2010, ne saurait approuver les propos du Chef de l’Etat, quel que soit le contexte voire même la circonstance. Dans sa prise de parole, le Président doit être rigoureux mais convaincant, il doit être ferme mais rassurant. En un mot, dans sa prise de parole, partout et à tout instant, le Président de la République doit être le garant de la stabilité et protecteur du peuple dont il tire la légitimité de son pouvoir.
Ensuite, toujours dans la forme, vouloir compromettre la paix pour atteindre le développement, est presque antinomique. C’est une évidence qu’aucun progrès social n’est possible dans une situation d’instabilité et de conflit. Les investisseurs, nationaux comme internationaux, ne viendront pas investir dans un pays où le Président promet ouvertement l’instabilité. D’ailleurs, dans les études prospectives, le « risque pays » est le premier critère pour attirer les IDE. Par conséquent, cette posture du régime de la rupture est une illusion.
Enfin, dans un contexte de crise et tensions politiques, où la médiation de la communauté internationale est sollicitée par les forces politiques et la société civile, ces propos qui refont surface n’arrangent pas la posture du régime du Président Talon. Si par extraordinaire, les tensions et affrontements politiques en cours dans notre pays tournent en une tragédie qui engendre des exactions et des violations massives des droits de l’homme, ce qu’il ne faut jamais souhaiter, de tels propos sont constitutifs de preuve d’une action délibérée, pensée et exécutée devant les juridictions pénales internationales, notamment la CPI. Comme l’a si bien dit le Président dans son discours à la nation du 20 mai 2019, « chacun est libre de ses opinions mais responsables de ses actes » y compris les membres de l’exécutif, les autorités politiques, administratives et militaires.
En somme, les propos du Chef de l’Etat, placés dans leur contexte, sont condamnables. Car, ce qui a été dénoncé comme vice dans le passé, dans les mêmes situations et contexte, ne saurait être considéré comme vertu aujourd’hui. Si le Président Talon est convaincu de ses idées et convictions pour le développement de notre pays, il a juste besoin de convaincre, de prouver, de donner l’exemple et non de faire peur.
Sur le fond, la posture du Chef de l’Etat est discutable
Le Président Talon, dans ses premières décisions et depuis la publication de son Programme d’Action du Gouvernement (PAG) a décliné ses convictions politiques et sa conception du développement. Pour lui, en substance, il faut juste faire des réformes impopulaires pour amorcer le développement d’un pays. C’est une vision légitime qu’il décrète et assume. Mais, dont la pertinence est discutable pour trois raisons fondamentales.
Primo, la théorie du développement par les reformes impopulaires est une vision erronée et dépassée du développement. En effet, élaborée par les institutions de Bretton Wood au début des années 90 et portée par les Programmes d’Ajustement Structurel (PAS), cette vision ultra libérale, qui vise à transformer l’Etat en une entreprise, a conduit à des inégalités extrêmes. Les plans de départ volontaire et les politiques sauvages de privatisations engendrées par elle n’ont produit que ruines sociales et misères. Par conséquent, comme par le passé, les mêmes politiques produiront les mêmes résultats. D’ailleurs, les résultats de la mise en œuvre d’une telle théorie pendant les trois (03) ans d’exercice du pouvoir par le Président TALON le prouvent à suffisance.
Secundo, les paradigmes de la gouvernance ont évolué pour ne pas dire changer. Désormais, reformes pour reforme n’est que slogan. La gouvernance s’entend des mécanismes par lesquels les autorités publiques acquièrent et exercent leur mandat dans le but de procurer et d’assurer aux citoyens les services et ressources nécessaires pour leur bien être. A partir de cette définition, de nouveaux paradigmes ont émergé et conditionnent une meilleure gouvernance gage du développement. Il s’agit de la Transparence, le sens de responsabilité des gouvernants (la redevabilité ou encore la participation citoyenne) et la lutte contre la corruption. La transparence implique la mise à disposition du public de toutes les informations concernant l’action publique. Le sens de responsabilité exige la prise en compte des aspirations profondes des populations. Les élus doivent se sentir redevables des populations et doivent les associer à l’action publique. Quant à la lutte contre la corruption, elle implique la reddition des comptes et la lutte contre l’impunité tout en respectant l’état de droit et les principes d’une justice équitable. La gouvernance actuelle du pays tient-elle compte de ces facteurs ?
Tertio, et enfin, si réellement le développement du Bénin est le premier souci du Président de la République, il peut y arriver à condition que son courage, sa détermination et sa rigueur soient remobilisées et réorientées vers une nouvelle approche. En effet, ce qui pose problème, c’est la philosophie de la gouvernance actuelle. D’où il faut la refonder. Cette refondation consisterait à reposer la gouvernance du pays sur trois piliers fondamentaux à savoir le travail, (le savoir faire, l’ouverture technologique et une main d’œuvre dynamique bien payée), le capital (investissements, nationaux et étrangers, dans de secteurs stratégiques bien définis) et la confiance (entre les opérateurs économiques et l’Etat, entre les partenaires sociaux et le patronat, entre les élus et les populations par une redistribution juste et équitable de la richesse).
Un tel système nous permettra d’assurer une efficacité économique au service du bien être de tous. Dans un climat de paix et de stabilité. Car l’instabilité n’est pas une chose à souhaiter encore moins à essayer. On sait toujours quand et comment ça commence !
Djidénou Steve KPOTON (Contribution)
Citoyen Béninois
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