Ô ! Notre papa est toujours jeune, élégant, charmeur, et bien futé ! Nous avons conscience qu’il est surpuissant et richissime. Nous l’entendons parler de ses ambitions pour nous, il sait tout ce qu’il nous faut et il ne sent aucunement le besoin de nous le demander avant. Il connaît nos goûts culinaires, il connaît nos tailles en matière de chaussures et d’habits. Il sait même ce que nous aimons manger, ce que nous aimons boire, il fait lui-même les courses pour la maison… Et ensuite, il dicte le menu du jour à notre mère, et puis elle prépare simplement le repas. Nous mangeons toujours seuls, il ne mange pas avec nous. Il va au travail très tôt et il revient très nuitamment.
Constamment au service de ses affaires, il nous demande de nous serrer la ceinture, car il compte construire une maison plus grande et plus belle pour nous ! Il a un régime alimentaire spécial, et il vit dans son appartement personnel au sein de la maison. Nous y allons uniquement sur convocation quand il veut nous réprimander. Il parle près peu avec nous, il ne nous écoute pas assez, mais pourtant il nous surveille et il tend à maîtriser toute la maison. Nous tous avec le personnel de soutien de la maison, nous nous plions devant lui, même notre mère d’ailleurs. Plus nous nous taisons, plus nous sommes obséquieux, plus nous le laissons faire, plus nous sommes dociles et bons à ses yeux, alors il est content de nous ! Nous pouvons le dire, sans vouloir être négativistes, que nous sommes un peu comme des « vidomègon » dans notre propre maison et chez notre vrai père.
Nos libertés sont restreintes et nous sommes sur-contrôlés. Et puis, tous nos amis nous abandonnent… A la limite, ils se moquent de nous, ils ont pitié de notre condition d’esclavages de luxe ! Même dans la grande famille, nous sommes de plus en plus isolés. Depuis que notre père est devenu chef de famille, il se révèle plus téméraire et autoritaire. Il est en conflits graves avec tous ses cousins, conflits dont les responsabilités sont partagées ; des problèmes autour des parcelles, autour des biens de la collectivité, autour de l’argent… Ce sont leurs tragédies –amitié et animosité-, nous n’en comprenons rien, nous les enfants !
Papa, en tant que chef de famille, est davantage en position de force et il ne cède rien. Face à lui et à sa cour morale et spirituelle, nos tontons se heurtent à un mur, ils ne peuvent que fuir pour sauver leur peau. Si les tontons n’ont aucune force devant lui, alors vous imaginez la situation des pauvres et des oubliés de ce village ? Tout le monde est impuissant face à la puissance de papa et de ses thuriféraires. Heureusement, qu’il s’agit d’une puissance humaine. Souhaitons à papa Bénin de ne pas oublier qu’il est un être de chair, un être contingent et limité.
Arnaud Eric AGUENOUNON (écrivain – essayiste)
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