En aucun cas, on ne devrait tirer à balles létales pour maintenir l’ordre devant une manifestation, qu’elle soit autorisée ou non autorisée, même très violente soit-elle. Le faire, dans le Bénin d’aujourd’hui, cela signifie sans ambages que nous sommes allés très loin, que nous sommes, désormais, tous en insécurité juridique et légale, et nous sommes-je peux le dire sans trop exagérer-dans une jungle où la vie est menacée à tout instant et où la mort frappe impunément. Combien de nos concitoyens ne sont-ils pas morts sous les armes des hommes en uniforme ces derniers mois au cours des échauffourées résultant des manifestations ? N’est-ce-pas pour des questions d’injustice que nos concitoyens sortent dans la rue ?
Quand on souhaite être un pays dit « moderne », ce ne sont pas que les infrastructures qui font montre de cette modernité-là. Mais, c’est aussi, et sinon plus, le respect des droits de l’homme et des normes internationales en la matière, la considération de tout citoyen, quelle que soit sa condition humaine, et puis les mobilisations citoyennes qui donnent crédibilité, dignité et modernité à un pays. Combien de fois avons-nous entendu qu’on a tiré à balles létales sur des manifestants en France, en Angleterre, en Australie ou aux Etats Unis ? Notre histoire politique ne nous fonde pas à être comme le Rwanda, la Chine, et autres pays en matière d’humanité et de considération de l’homme.
Un peuple opprimé, dressé, comme des animaux, est un volcan. Les libertés de presse, les libertés politiques, la liberté d’opinion, et la liberté de penser autrement sont des valeurs cardinales structurantes d’une nation qui aspire à la paix profonde et au développement humain intégral. Depuis les évènements tragiques de mai et de juin 2019, ouvrir le feu sur les manifestants est devenu, semble-t-il, dans une certaine mesure, la nouvelle doctrine de maintien de l’ordre au Bénin : une stratégie de terreur. Faut-il encore le rappeler, on instaure facilement l’accalmie par la force militaire et policière, mais en réalité, elle n’égale jamais la paix véritable-signe d’apaisement des cœurs- ou la discipline obtenue par la pédagogie. Je tiens à le redire à cette occasion, mettre l’homme au centre des politiques publiques, garantir la liberté des esprits éclairés et libres, associer la contradiction à la prise des décisions d’intérêt général, accepter la compétition loyale et ouvrir des concertations inclusives régulières constituent la preuve tangible de l’intention droite des dirigeants et des gages de paix profonde.
Pour la substance de toute manifestation dans les pays du monde, je le dis avec gravité, la doctrine du maintien de l’ordre exclut l’usage des armes létales. Cela s’enseigne dans toutes les écoles de police et de gendarmerie qui respectent les standards internationaux. Le Bénin de 2020 devrait s’aligner sur ces normes universelles pour prétendre bien se révéler. Par exemple, en presqu’une année de violentes manifestations des « gilets jaunes » en France, il n’y a jamais eu l’usage d’armes létales. La doctrine du maintien de l’ordre en France exige même que toutes les interventions des forces de sécurité soient filmées et les images sont scrutées après par les institutions en charge de la sécurité publique en vue d’améliorer leur devoir républicain.
Et puis, les médias, les syndicats, les associations de droits de l’homme et les partis politiques examinent les faits de violence dans chaque camp à la suite des manifestions. Les manifestants, les plus violents, sont interpelés au fur à mesure et ils sont présentés au juge selon le cas. Ainsi, les manifestations sont encadrées et font donc objet de toute l’attention requise de la part des autorités dans le sens de la protection de toutes les personnes, car manifester, revendiquer, être en grève, sont des droits citoyens dans une vraie démocratie. En général, les manifestations servent de baromètre politique, et les manifestants ne sont pas à diaboliser. Ils sont citoyens et électeurs tout comme les dirigeants.
Voilà comment la liberté de manifester est gérée dans le pays le plus familier de nos acteurs politiques, le pays dans lequel la rupture a planifié sa conquête du pouvoir. Comment comprendre qu’on puisse séjourner longtemps dans un pays si démocratique (où les citoyens réclament encore plus de démocratie), qu’on puisse commencer sa conquête du pouvoir depuis ce pays, venir au pouvoir et nous conduire ensuite vers l’autoritarisme ? Comment comprendre qu’on puisse être en relation bilatérale avec les pays scandinaves (pays où les dirigeants sont sobres et détachés) et continuer, de jour en jour, à durcir le pouvoir et à mépriser l’homme ?
Actuellement, on a l’impression que le citoyen ne compte pour rien ; ce régime des lois a relégué l’homme au dernier rang et lui a retiré, dans le concret, pratiquement toutes les libertés fondamentales universellement reconnues. Le dernier recours de tout peuple, émancipé et libre, lui est aussi quasiment refusé : le droit de manifester, le droit de marcher dans la rue, le droit de protester. L’actuel pouvoir a fermé toutes les portes citoyennes par lesquelles il est venu au pouvoir. Le plus grave, à mon sens, est que, comme un nouveau credo, l’autoritarisme et le refus de la démocratie originelle s’incrustent partout, dans tous les discours politiques, dans les débats de haut niveau et surtout dans les mentalités. Et dans ce sillage, une grande partie de l’élite béninoise se fait le chantre de luxe de l’autoritarisme et de la démocrature. Entre la démocrature et la dictature, il n’y a qu’un seul pas ! Ce pas n’est-il pas déjà franchi par la rupture ?
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