L’humanité est en souffrance. Ne le voyez-vous pas ? La pandémie du coronavirus impose une dictature effroyable. L’horreur est indéfinissable et la désolation saisissante. Ne vous en rendez-vous pas compte ? Les morts se comptent par dizaines de milliers, sans hommage et sans sépulture pour beaucoup. Les fours crématoires sont sollicités au maximum de leurs potentialités. Vivre en ce temps de covid-19 appelle au respect strict et sans réserve des mesures prudentielles d’hygiène et de contact. Des célébrités du monde artistique sont annoncées mortes. Le monde politique international est ébranlé par la contamination et même par la mort de ses leaders.
Des ecclésiastiques disparaissent comme jamais auparavant. Du jour au lendemain, avec ce virus, tout peut basculer. L’horizon de la vie peut brutalement s’assombrir et générer un orage de détresses auxquelles, effrontée, la mort viendrait dresser le lit d’un adieu plutôt lugubre. A vrai dire, sous nos yeux, il se produit comme un séisme sanitaire planétaire qui ébranle, en rendant radicalement délétères, les fondements de la médecine moderne. Epidémiologistes et infectiologues, chimistes et biologistes de tous poils, partout dans le monde, décuplent les possibilités les plus insoupçonnées de leurs laboratoires. En attendant que les recherches de ces laboratoires livrent les résultats qui éradiqueraient le mal, c’est à une guerre froide que s’acharnent les grandes firmes pharmaceutiques et les chercheurs en première ligne dans la lutte contre la pandémie.
Même la plus grande organisation internationale répondant de la santé humaine, l’OMS, excédée par la vitesse de propagation du virus sur l’ensemble des cinq continents et par le nombre de personnes contaminées en quelques semaines, laisse entrevoir des signes obvies de lassitude. Le Monde s’effondre dirait Chinua Achebe. Pour nous, la mémoire philosophique de Dostoïevski (l’auteur de Crime et Châtiment) accule à une question radicale face à l’amplitude de la situation: de quel crime les hommes se seraient-ils rendus responsables pour devoir subir la cruauté d’un tel châtiment ? De quel crime « les hommes malades du coronavirus » se seraient-ils rendus coupables pour devoir subir le sort de l’âne dans « Les animaux malades de la peste » de La Fontaine ?
A la vérité, d’aucun crime. Les hommes malades du coronavirus ou qui en meurent, il faut avoir le courage de le dire, sont plutôt victimes d’un système politique, économique et même social échafaudé sur l’illusion que la civilisation occidentale, fière de ses démiurges, contrôle infailliblement le monde et peut, depuis Descartes, s’offrir la possibilité de ses délires rationnels les plus fous. Avec cette civilisation, tout passe au crible de la raison. Même le mystère est questionné et raisonné. L’homme par sa raison est devenu la mesure du progrès. Toute relation avec le transcendant ou avec Dieu – pour ceux qui manifestent encore de la tolérance à l’évocation de ce nom – est perçue comme un asservissement. Toute référence à Dieu est soupçonnée parce qu’il est gênant.
Si on ne veut pas se rendre déicide comme Nietzsche, il faut tout au moins le contourner de bonne foi, Dieu, en s’émancipant de lui. La société occidentale, toute proportion gardée, s’est donc émancipée de Dieu. Et depuis, elle s’est vue face à elle-même, aux prises avec ses mirages politiques, propulsée narcissiquement au devant de ses folies de liberté et hissée sur l’Himalaya de ses prouesses technologiques. Cette conscience civilisationnelle qu’il n’y a plus de limite à observer en quelque entreprise va renforcer les pouvoirs d’auto-détermination de l’Homme qui se voue désormais un culte presque idolâtrique au détriment de Dieu.
L’anthropocentrisme engendré par la vision occidentale du progrès et exacerbé par la liquidation ruinante de Dieu va faire le lit des catastrophes et calamités potentielles de la société occidentale. Que l’on croit ou non en l’existence de Dieu, le problème est loin de se poser en ces termes, la confiance exclusive en la capacité de l’homme à se sauver par les seules ressources de son génie créateur parait une fausse piste de salut. Ce qui se passe en Chine, en Europe et surtout aux Etats-Unis ces jours-ci illustrent, peut-être tristement mais de fort belle manière, notre propos.
Jamais une société n’a été aussi sûre d’elle-même et aussi altière que la société occidentale de ce début du 21è siècle ! Et pourtant, trois mois auront suffi pour que les Etats-Unis, première puissance nucléaire mondiale, révèlent leurs profondes limites à affronter un virus microscopique. Trois mois auront suffi pour que l’Europe, à travers l’Italie, l’Espagne, la France et l’Angleterre étale à la face du monde l’incapacité de son système de santé à gérer une crise sanitaire d’envergure. Le déferlement au quotidien des morts renseigne à foison sur l’hécatombe qui se vit. Trois mois auront suffi pour que la Chine perde des milliers de personnes. Il devient clair à notre entendement que le défi lancé à Dieu par l’homme, à ce jour, n’a donné aucune garantie de survie et de prospérité et que la civilisation occidentale se laisse malheureusement prendre au traquenard de ses propres turpitudes avec pour corollaires une évidente vulnérabilité de ses sécurités et une profonde fragilité de ses assurances.
Pour s’en convaincre il faudra juste déplacer le curseur du coronavirus sur les fluctuations actuelles de l’économie mondiale arbitrairement apprivoisée par une minorité de prédateurs financiers et arrogamment détenue par quelques Institutions internationales à la solde des oligarques. C’est la descente aux enfers dans les places boursières. Les capitaux partout plombent et l’économie en récession peine à se relever de ses cendres. Souffreteux, le capitalisme dogmatique et sauvage, colonne vertébrale du nouvel ordre mondial, semble avoir reçu le coup de massue le plus cinglant de toute l’histoire de sa parade. La situation que traverse le monde en ces heures difficiles de covid-19 a déjoué les prévisions les plus fiables et dignes de foi. Il faudra désormais s’entendre dire, par ces événements qui laissent tout le monde de marbre, que rien n’est définitivement jamais acquis.
Le chemin qui mène au firmament de la gloire, de la souveraineté et des honneurs de ce monde peut être encore le même chemin qui consacre l’anéantissement et conduise aux profondeurs du précipice. Aucune civilisation au monde ne peut tenir dans la durée si elle ne se remet constamment en cause, si dans un processus continuel d’enfantement d’elle-même, sa survie ne la porte à créer les conditions de vie et d’humanisation de la société. Dans la « PREMIERE LETTRE » de son livre LA CRISE DE L’ESPRIT, l’écrivain français Paul Valéry, à travers une sentence prémonitoirement mémorable, constatait déjà le caractère évanescent et déliquescent de la civilisation occidentale : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ».
L’académicien ne croyait pas si bien dire lorsque, plus loin dans la même flamboyante œuvre, il renchérit en des termes d’une rare profondeur : « … Élam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces mondes avait aussi peu de signification pour nous que leur existence même. Mais France, Angleterre, Russie… ce seraient aussi de beaux noms. Lusitania aussi est un beau nom. Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie. Les circonstances qui enverraient les œuvres de Keats et celles de Baudelaire rejoindre les œuvres de Ménandre ne sont plus du tout inconcevables : elles sont dans les journaux ».
La vision historique de la civilisation occidentale relevée ici par Paul Valéry, un produit éminemment achevé de cette même civilisation, incite donc à une réflexion globale qui fasse droit aux questions de sens, qui interroge en profondeur l’histoire de l’humanité et qui indique une trajectoire à la fois axiologique, sémantique et téléologique à l’aventure commune de l’humanité. Son autorité intellectuelle a ouvert un vaste champ de réflexion qui permet de rêver mieux pour notre monde que le triste théâtre dont il est l’objet en ce moment. En conséquence, il sera malhonnête de lire en filigrane dans notre modeste réflexion un procès de la civilisation occidentale. Nous n’en avons guère la prétention. Celles et ceux qui, massivement, meurent en Amérique, en Europe, en Asie, en Océanie et manifestement dans une moindre proportion en Afrique, partagent la même humanité.
Notre compassion pour le drame en cours est donc entière et ne souffre d’aucune ambiguïté. Comment ne le serait-il d’ailleurs pas lorsqu’il parait, de toute évidence, que la pandémie frappe de plein fouet aussi bien les croyants que les non-croyants ? Pourquoi ce Dieu dont nous avons pourtant dit qu’il a été expulsé de la civilisation occidentale n’aurait pas épargné ceux qui ont indéfectiblement mis leur confiance en lui ? Au nom de quelle justice les fidèles au Dieu dont l’Occident se serait émancipé doivent-ils subir le même sort que les acteurs du « Grand Remplacement » de ce Dieu ? Quel crédit reste t-il finalement de ce Dieu dans le cœur de celles et ceux, croyants, qui vivent actuellement le traumatisme de la violence de cette pandémie et, surtout, de la disparition de leurs parents et amis ? Avec quelle image de Dieu continueront-ils leur aventure humaine à la sortie de cette crise ?
De la même façon, ceux pour qui la question de Dieu ne se pose qu’accessoirement ou subsidiairement dans la destinée de l’homme pourraient-ils encore éventuellement oser le pas de la foi après l’avoir vu silencieux face à un tsunami sanitaire ayant emporté, au bas mot, plus de cent mille personnes ? « Votre Dieu n’a rien pu nous faire ! » pourraient-ils à raison être tentés de scander en radicalisant leur vision athéiste du monde. Ce qui est sûr, la pandémie du coronavirus, aussi funeste qu’elle puisse paraître, a l’intérêt de provoquer, à sa manière, notre monde en la mettant en demeure de se positionner face à deux questions majeures : la question de l’Homme et la question de Dieu.
Ces deux questions, pour peu qu’on y voit de près, posent l’irrésistible mais sulfureux problème de l’interaction entre la foi et la raison qu’une phrase désormais célèbre de l’Encyclique Fides et ratio du pape Jean-Paul II a éclairé d’une lumière nouvelle : « La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité ». Il devient impérieux pour l’Occident de la raison pure et critique, dans un élan d’ouverture à la vérité, de s’ouvrir plus intimement à la foi et donc à la personne de Dieu. Dès lors que le pas décisif de symbiose sera posé entre la foi et la raison dans la conscience collective occidentale, il sera plus acceptable, dans les présentes vallées de larmes, de s’ouvrir à l’espérance qu’engendre cette foi. L’Homme saura jusqu’où il ne pourra plus aller. Et Dieu sera reconnu pour ce qu’il est.
Hyacinthe VITONOU VALLA
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