Le régime de la rupture s’est lancé dans une vaste opération de communication travers des tribunes et des lettres du président aux dirigeants du FMI et autres soit disant Partenaires Techniques Financiers (PTF), afin de préserver son accès continu au crédit. Cela est-il dans l’intérêt du Bénin et des béninois ? Quels crédits pour quoi faire ? Le problème de Wadagni est qu’avec Talon, ils ont décidé de privilégier le crédit fourni par les privés locaux et étrangers. Au troisième trimestre 2019 60% des 3734 milliards de la dette du Bénin est détenue par des privés, dont 44% au titre des obligations et bons que Wadagni et Talon émettent a tour de bras depuis leur arrivée au pouvoir (734 Mds depuis le début 2020). Emissions en devises locales et émissions privées ne sont pas identiques, le Benin ayant 611 milliards ou 16% de son encours de dettes au 30/09/2019 détenue par des prives en devises étrangères. Traditionnellement les remises ou moratoire concernaient la dette non privée, « officielle ».
Comment obtenir un moratoire et /ou une annulation pour la dette privée, ces euro bonds a près de 6%, ces bons et OAT a 6%+ dont on a abusé depuis 2016 ? Ces porteurs sont dispersés, même si il y a quelques gros porteurs .Est ce que les porteurs d’obligations et bons du Bénin, d’Euro bonds vont nous « pardonner » ce moratoire ou annulation à supposer qu’on arrive à le faire ?Le dilemme est : soit on prend un moratoire ou annulation de la dette non privée seulement, et l’impact est faible parce que seule 40% de la dette est concernée et les taux sont plus faibles (1,5% en moyenne contre 6,1% selon la CAA), soit on étend un moratoire et annulation a la dette privée (ce qui n’est pas facile) et on risque sa réputation et la notation du risque crédit… Alors, Wadagni et Talon veulent emprunter plus, non pour aider les béninois a traverser la crise, mais pour rembourser la dette préexistante qui ne génère pas assez de revenus pour payer, surtout en période de choc sanitaire et/ou économique comme actuellement.
Evolution de la dette et du taux d’endettement sous le régime TALON
Les statistiques publiées par la CAA s’arrêtent au 30/9/2019 et montrant un total de dettes de 3734 milliards de dettes, contre 2101 milliards a son arrivée en Avril 2016 soit une augmentation de 78% en trois ans et demi. Depuis la situation ne semble pas s’être améliorée. Au quatrième trimestre 2019, toujours selon la CAA, il y avait 777 milliards d’engagements nouveaux, de prêts supplémentaires. Depuis le début de l’année 2020, le Benin a émis 780 milliards supplémentaires d’obligations et bons du Trésor.
Ceci porterait le total de l’encours de dette à 5284 milliards dont il faut soustraire le remboursement de capital qu’on peut estimer de façon généreuse à 284 milliards (ils étaient de 331 milliards sur les neuf premiers mois de 2019). L’encours de dette serait don d’environ 5000 milliards de CFA soit près de 2 fois et demi ce qu’il était à l’arrivée du régime TALON ! Selon le journal financier américain Bloomberg, n’eut été la pandémie, le gouvernement de Mr Talon s’apprêterait à lancer une autre émission d’obligations en devises (Euro ou Dollars) de plus de plus 500 Millions de dollars !
Les taux d’endettement continuent de grimper s’approchant de la limite théorique de 70% édictée par les critères de convergence de l’UMOA récemment jetés au panier. Nous ne publions que les ratios d’endettement Dettes / PIB de 2016 a 2018, les chiffres du PIB pour 2019 n’étant pas encore certifiés.
Une gestion hasardeuse de l’économie et de son financement sous Talon
La dette ayant augmenté de 150% ou ayant été multipliée par 2 et demi, Le béninois va-t-il vu sa condition s’améliorer de 150% ? Même de 15% ? On est en droit d’en douter. Selon les dernières statistiques de la banque mondiale pour 2017 (derniers chiffres publiés, mais la tendance ne semble s’être inversée vu le vécu quotidien), le revenu net ajusté par habitant n’a augmenté que de 0,4% après avoir baissé de 2,15% au cours de la première année au pouvoir du régime Talon !
Le PAG avait identifié un besoin de financement prive de 5120 milliards et un financement public de 2435 milliards. A un an de la fin du mandat présidentiel et environ 5000 milliards d’encours de dettes (dont environ 3000 milliards de dettes nouvelles), quel est le taux de réalisation des 45 projets du PAG ? Les emprunts prives ont-ils servi au financement qui devait être public ?
Wadagni et Talon ont conduit une gestion hasardeuse de l’économie se traduisant par, entre autres, de mauvaises utilisations des financements, et de mauvais choix d’instruments de financement.
- Mauvaise utilisation des prêts : Le régime de la rupture à mal utilisé les financements en dépensant sur des projets non générateurs de revenus additionnels et durables et pire, il les concentrent sur des secteurs qui n’entrainent pas d’autres. On investit dans des projets d’infrastructures touristiques , comme la baie artificielle d’Avlékété, dont le retour sur investissement est douteux.
- Le tourisme est un des premiers secteurs d’investissement du PAG si l’on compte le nombre de projets (13 sur 45) et le montant cumule des investissements specifiques au secteur et ceux indirects atteint 1063 milliards soit 14% des besoins de financement du PAG (voir notre article précèdent sur l’analyse du PAG):
En l’absence de point d’exécution précis, autre que les vidéo-pub, il est difficile de connaitre le cout réel de ces projets et leur niveau d’exécution. L’industrie, qui génère en moyenne 3 emplois pour un emploi directement créé est le parent pauvre du PAG. De façon ironique, la crise sanitaire actuelle démontre l’inanité d’une stratégie basée sur le tourisme, sur la demande externe en général, les flux touristiques Nord – Sud ou Sud- Sud étant pour le moins incertains au présent et dans le futur proche.
- On fait de l’asphaltage dans des quartiers huppés comme les Cocotiers et la Haie vive au lieu de privilégier la desserte rurale qui permet aux paysans d’écouler la production, et les routes inter états qui permet l’accès au marché régional, routes dont certaines avaient déjà été réfectionnées en tout ou partie du temps de YAYI ( Cotonou – Hilacondji, et Cotonou – Bohicon notamment). Dans ses lubies de transformer Cotonou en une copie des capitales scandinaves, le régime de la rupture a d’abord détruit ou fragilisé les tissu économique informel par des casses sauvages de Toboula et autres. Là où on promettait d’ »asphalter » toutes les rues de Cotonou, on voit a l’arrivée quelque quartiers. Ce choix d’ »embellir » les villes au lieu de faire un maillage routier couvrant le pays et d’assurer une distribution optimale de la production notamment agricole, relève de la myopie car ces investissements ont un impact plus faible sur l’activité économique, la génération de revenus supplémentaires, ou la régularité des revenus qui permet la résistance aux chocs comme on en a tristement besoin en ces temps de pandémie.
- On continue de privilégier la production et commercialisation de cultures de rente comme le coton, que nous vendons à l’état brut, sans bien sur en maitriser le cours. Quand les cours étaient orientés à la hausse passant de $1,53 le kg en Avril 2016 a $2,03 en Avril 2018, soit près d’un tiers de hausse, on a célébré sans se préparer à la baisse cyclique qui se manifeste maintenant avec un cours redescendu à $1,5 en Mars 2020. Pire, les revenus supplémentaires générés par de meilleurs cours mondiaux sont allés majoritairement aux oligopoles qui contrôlent la filière coton, la société contrôlant les procédures d’import-export, les fournisseurs d’engrais. Par exemple, ces oligopoles se sont octroyé 50% d’augmentation des frais prélevés par eux contre quelque 10% aux motoculteurs exposés aux risques de cancer.
- Financement opaque par recours extensif à la dette privée : La dette privée coute plus cher (6,1% en moyenne contre 1,2% pour la dette officielle). Les conditions de financement de la dette privée sont complétement opaques : commission payées aux banques intermédiaires pour le placement des obligations, frais payes a la Banque Mondiale pour l’obtention de garantie, toutes choses qui peuvent ouvrir la voie a des détournements sophistiques et des conflits d’intérêts.
- En 2019, le régime annoncera a coup de publicité et d’effets d’annonces un emprunt obligataire en euro depuis la bourse de Dublin en Irlande, avec comme intermédiaires financiers/placiers des banques comme Citibank. Comme d’habitude c’est l’opacité sur les frais financiers payes a ces intermédiaires, frais qui grèvent le cout du crédit. Auparavant le régime de la rupture fera la publicité du refinancement d’une partie de la dette auprès de banques privées. Là encore des intermédiaires notamment locaux –rarement étrangers aux cercles du pouvoir. Les institutions financières internationales offriront des garanties financières contre des payements allant jusqu’à 0.5% du montant des prêts, payés d’avance, er grevant le cout réel des financements.
- Ils ont financé dans l’opacité la plus totale, des investissements longs avec des financements à moyen, voire court terme (1 a 3 ans, 6 ans maxi pour les bons et OAT). La durée moyenne de l’obligation est d‘environ 6 ans. Pour l’encours de 1660 milliards d’obligations, en moyenne, le temps restant pour les rembourser est de 2,7 ans et en plus il faut commencer à rembourser sur la même période une partie des 780 milliards levés en 2020. Et ils n’ont pas fini d’emprunter ! Une règle de la finance est l’alignement sur la durée des prêts sur la durée de vie utile des équipements et /ou investissements. Au Benin de Talon, les mauvais alignements concernent les locations couteuses de centrales électriques, l’extension de centrale électriques etc… et les investissements routiers ou dans le parc animalier.
- Ils ont privilégié le financement prive sans prévoir la résistance aux chocs. Le régime de la rupture a choisi dès le départ d’emprunter massivement sur le marché domestique des obligations.
L’heure de vérité sonne
Pendant des années, le régime Talon aurait effectué des gymnastiques financières pompeusement baptisées reprofilage de la dette, se traduisant entre autres par « emprunter pour payer des prêt existants ou nouveaux ». La crise actuelle et les tensions sur le marché financier obligent le gouvernement à faire face a ses choix hasardeux. En effet, l’appétit grandissant qui existait pour les émissions obligataires des pays de la périphérie du capitalisme s’estompe et une plus grande attention est prêtée aux risques. A titre d’illustration les fonds de placement occidentaux ont retiré plus de $80 milliards de dollars des marches des pays dits émergents. Ceci expliquerait les fanfaronnades de notre gouvernement qui dit refuser les moratoires et annulations de dette, prêche dans le désert pour une augmentation des Droits de tirage spéciaux (DTS), et découvre subitement les bienfaits des prêts concessionnels (officiels non prives) qu’ils avaient délaissé. Ce discours serait recevable si les financements supplémentaires recherchés étaient destinés à alléger les peines du peuple par des mesures de soutien à la consommation et une prise en charge médicale améliorée. Mais il est permis d’en douter :
Les Zems n’ont reçu aucune aide, même symbolique, comme au Togo voisin. Chômeurs et pauvres ne sont l’objet d’aucune attention ou soutien financier. Les soins médicaux sont aussi chers et même les dons de masques reçus sont revendus au lieu d’être distribués !
La solution n’est donc pas d’ouvrir les vannes du crédit à un gouvernement qui l’utilise à mauvais escient et laisse aux générations futures un fardeau qu’il ne pourra payer. Un moratoire et une annulation de dettes permettra d’allouer les ressources prévues pour le remboursement des dettes officielles (47 milliards pour les neuf premiers mois de 2019 ) a l‘allègement partiel des souffrances des béninois. Ceux-ci, une fois libérés de la chape de plomb du régime Talon pourront réévaluer la stratégie de financement de l’économie dans le cadre d’une vision centrée sur l’homme. Toute autre alternative ne servira qu’à creuser un peu plus le trou dans lequel Talon et Wadagni enfoncent le Benin et ses habitants.
Le Benin et ses fils survivront
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