Le gouvernement de Mr Talon poursuit son offensive médiatique commencée avec le soit disant « temps des moissons », et ce sans aucune pudeur dans les conditions actuelles ou les populations pataugent dans les eaux saumâtres des inondations qu’on nous avait promis de régler en 2020, dans les conditions de pandémie du COVID-19 qui cause de plus en plus de décès, alors qu’on a proclamé que la situation était « sous contrôle ». La dernière salve fut la conférence de presse du ministre des finances clamant que depuis trois ans ( entendez depuis l’avènement du régime Talon) « les succès s’enchaînent ». On croirait vivre sur une planète autre que celle des gouvernants. Il est vrai que si comme cela se dit, les ministres gagnent 100 fois le salaire des enseignants ( 10 a 16 millions CFA par mois), ils sont effectivement sur des planètes différentes de celle du commun des Béninois.
Puisque c’est la publication par le PNUD de l‘indice de développement humain qui fut l’occasion et le centre de cette célébration tonitruante, nous examinerons les chiffres publiés avec un peu plus d’attention en les croisant avec d’autres avant et sous Talon et en comparaison avec celles de la sous-région pour recadrer le prétendu « exceptionnalisme » du Bénin sous Talon, avant de nous arrêter nous un instant sur la question des réformes.
Evolution de l’Indice de Développement Humain au Bénin et dans l’UEMOA
L’indice de Développement Humain (IDH) est un indice composite calculé par le PNUD ( Programme des Nations Unies pour le Développement ) pour évaluer de façon synthétique le « développement » d’un pays au travers de trois dimensions : Longévité et Santé, Education, Revenu et Niveau de vie. Les pays sont classés en quatre groupes selon le niveau de développement perçu : Très élevé, Elevé, Moyen et Faible. Nous utiliserons les données publiées par le PNUD même s’il convient de prendre avec quelques précautions les statistiques fournies par notre pays, la Banque mondiale elle-même attribuant un indice de 40 -sur une échelle de 1 a 100 – à la « méthodologie des capacités statistiques « du Bénin. Nous nous concentrerons sur deux indices majeurs pour rester sur l’essentiel dans cet article.
Le Bénin, en dépit des rodomontades de notre ministre des finances, qui voudrait nous faire croire que Bénin serait devenu un miracle de Saint Patrice, est toujours classé dans la catégorie à « Faible » niveau de développement. On a du mal à comprendre qu’ayant réalisé si peu, on s’évertue à s’auto-congratuler au lieu de se concentrer sur le long chemin qui reste à parcourir. Mais voyons si le gouvernement Talon a fait beaucoup mieux que les gouvernements passés en matière de développement tel que mesuré par l’IDH. Avec un indice de 0,52 sur une échelle de 0 à 1 , le Bénin se situe en deçà de la moyenne de l’Afrique sub-saharienne qui est de 0,541, dépassant de peu des pays comme le TOGO ( 0,513). Comme on le voit dans les chiffres et le graphique ci-dessous, au cours des trois dernières années, la croissance de l’indice de développement humain a été moindre que la croissance moyenne des deux précédentes décennies, qui elles mêmes n’avaient rien à voir avec les trente glorieuses célébrées ailleurs !
Par ailleurs, le classement du Bénin en termes d’indice de développement humain est resté le même de 2013 a 2018 (dernière année publiée par le PNUD au titre du classement 2019 ) à savoir 163ème sur 189 pays.
Où se trouve donc la performance exceptionnelle du gouvernement Talon ?
Où se trouvent les succès dont on inonde les ondes de Radio Talon ? Indice de Développement Humain non corrigé de l’effet des inégalités
Dans ses élans d’autocongratulation, notre jeune ministre des Finances nous dit que le Bénin est en tête des pays de l’UMOA dans le classement par valeur de l’Indice de Développement Humain. Comme nous l’avons indiqué plus haut, ceci n’est pas le résultat de progrès spectaculaires du Bénin, son classement n’ayant pas varié de 2013 a 2018. Ceci semble plutôt le résultat des problèmes politiques rencontrés par les pays frères, y compris l’instabilité politique ,la rébellion et la guerre en Côte d’Ivoire ou l’instabilité politique au Togo ( les écarts avec ces pays s’inversant en faveur du Benin après 2000, de -0,015 a +0,07 et -0,028 a +0,07 respectivement).
La leçon à tirer est que la stabilité politique et l’ouverture du jeu démocratique sont des facteurs clé du développement et ceux qui tentent de verrouiller l’alternance politique feraient mieux d’en prendre note. Encore une fois ces tendances étaient avérées bien avant le régime de la rupture qui n’y est pour rien ou très peu.
Indice de Développement Humain avec correction de l’effet des inégalités dans l’UMOA
Notre jeune ministre des Finances dans son numéro d’autocongratulation a passé sous silence l’autre Indice de Développement Humain du PNUD, celui corrigé des inégalités. Selon cet indice corrigé, le Bénin se retrouve en milieu de tableau, mais il a la triste médaille d’or en matière d’inégalités !
Il est un de ceux qui consacrent le moins a l’éducation (4,2% de son PIB sur la période 2013-2018, suivis seulement par le Mali et le Niger dans l’UEMOA) avec comme conséquence logique un des taux d’alphabétisation les plus faibles de l’UEMOA (32,9% de la population suivi seulement par le Niger )!
Le résultat de trois années de gouvernement Talon est de nous hisser ou de nous maintenir à la tête des pays de l’UEMOA avec le plus fort coefficient d’inégalité !
Classement des pays de l’UEMOA par Indice de Développement Humain corrigé des inégalités
A propos des réformes
Lors des élections présidentielles de 1996, alors que le Président Soglo présentait son bilan et mettait en avant les voies pavées, une des réponses populaires fut « Pavé mi na dou ah ? » ou « allons nous nous nourrir de pavés ? ». Un quart de siècle plus tard, on est tenté de demander au gouvernement Talon « réforme mi na dou ah ? », tant le gouvernement et ses publicistes nous rebattent les oreilles avec les réformes qu’ils auraient accomplies. Ces réformes pour la plupart sont des reculs politiques ( assemblée monocolore, députés et maires nommés, constitution révisée en catimini…), des impostures juridiques ( tribunaux d’exception, politisation du Conseil Supérieur de la Magistrature…), des régressions sociales ( suppression de facto du droit de grève, des indemnités de licenciement, des contrats à durée déterminée…), ou des déstructurations économiques ( mise en affermage du patrimoine de l’Etat, privatisations larvées ou ouvertes, contrat léonins –PVI-, modification des règles de la concurrence, des marchés publics, suppression du contrôle parlementaire de la dette publique etc…).
Les réformes ne sont pas un but en soi. Elles n’ont d’intérêt et de justification qu’en tant qu’éléments d’une politique économique et sociale dont ils facilitent la mise en œuvre. La politique économique et sociale est jugée sur les résultats qu’elle produit en termes de bien-être des populations.
A ce jour les résultats de trois ans de gouvernement peuvent se résumer à un Revenu Net par Habitant en 2019 inferieur à celui de 2014. une dette galopante, un des plus faibles taux de dépenses d’éducation dans l’UMEOA, se traduisant par un des plus faibles taux d’alphabétisation de l’UEMOA. Pour un recul, c’en est un clair et net !
L’objectif n’est pas de mieux gérer la pauvreté et les inégalités, mais de sortir de la pauvreté et réduire les inégalités !
Certes simplifier les formalités administratives est un devoir des gouvernants et des administrateurs payés à cet effet, et on ne devrait pas tirer gloire de simplement faire le travail pour lequel on est –grassement- payé.
Certes avoir des données sur l’économie est nécessaire aux décideurs économiques à tous les niveaux, mais le Bénin est loin d’être un champion de la transparence des données économiques.
Peu nous importe si les ministres arborent des ordinateurs portables de dernier cri si la politique mise en œuvre par des ministres inefficaces et incompétents accroît la pauvreté et les inégalités. Peu nous importe si la DGI a un système informatique performant si les impôts collectés servent à construire des rues « asphaltées « à ceux qui en ont le moins besoin, les habitants de la Haie Vive et des Cocotiers. Peu nous importe si la CAA publie les statistiques de la dette, si la dette – incontrôlée par ailleurs – sert à acheter des cailloux en Scandinavie pour les immerger au large d’Avlékété pour des touristes imaginaires qui au demeurant dépenseront peu au Bénin et auront un impact limité sur la vie des béninois.
Ce dont le Bénin a besoin, plus que de réformettes tape l’œil, ou d’un « modernisme » teinté d’acculturation, c’est une politique économique et sociale au service des populations, axée sur la conquête de l’indépendance économique, gage d’un développement durable, auto-centré, par et pour des Béninois libres, respectés, éduqués, et en bonne santé.
Jean Chrysostome F. Houessou, MBA
Atlanta, USA
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