Pour une décentralisation profitable à l’Etat et aux collectivités locales (partie 2)

Après avoir identifié les différents handicaps qui plombent la décentralisation nous abordons  dans cette deuxième partie comment  le gouvernement de la rupture pourrait les  surmonter  avec le récent renouvellement des Exécutifs communaux. En attendant la preuve par l’action, on peut déjà relever que la cuvée 2020 n’a pas fait mieux que les précédentes en ce qui concerne la question du genre qui est pourtant cruciale pour le développement local.

En effet, elles ne sont que 70 femmes élues conseillères sur 1815 en 2020, soit 3,9% du total contre 4,5% en 2015. Dans 57% des communes du Bénin il n’y a pas de femmes au sein du conseil communal. Est-ce vraiment faute de femmes compétentes ? Cet état de choses devra aussi changer pour espérer des conseils communaux performants à la hauteur des aspirations des populations.

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Le financement de la décentralisation est inadéquat et insuffisant

Les ressources propres des Communes, faites d’impôts locaux directs ou indirects et de ressources non fiscales (recettes des prestations et services des administrations communales) sont faibles quoique leur recouvrement soit en amélioration par exemple de 8,8% en 2017 et 2018, pour s’élever à 35,64 milliards en 2018 pour l’ensemble des 77 Communes du Bénin. 

En ce qui concerne les transferts financiers de l’État vers les Communes opérés via le FADeC, avec le Gouvernement de la Rupture, ces transferts ont connu une très forte croissance – d’environ 50% entre 2017 et 2020 -, passant de 31,67 milliards en 2017 à une dotation prévisionnelle de 47,24 milliards dans le budget de 2020. Cette performance est à saluer. Cependant, cette dotation représente moins de 3% du budget prévisionnel de l’État pour la même année. 

Ainsi, le total des ressources propres et des transferts équivaut à peine égal à 5% du budget global de l’État. Ceci est largement insuffisant pour booster le développement local et entre autres accélérer l’atteinte des objectifs du développement durable (ODD) dont il faut rappeler que 60% des cibles identifiées comme prioritaires par le Bénin ont un ancrage local, et qu’à peine un ménage sur quatre a accès aux services de base dans notre pays malgré les actions déjà menées à travers l’impulsion indéniable donnée par le Gouvernement aux investissements publics. A titre de comparaison, parmi les pays les plus performants en Afrique en matière de financement de la décentralisation (rapporté au budget global de l’État) figurent l’Ouganda (23%), le Rwanda 20%, l’Afrique du Sud (19,3%) l’Éthiopie (15%) le Ghana 10%. Au Rwanda par exemple en 2014, la part du budget d’investissement du ministère de la santé et du ministère de l’éducation mais exécutée à travers les budgets communaux est respectivement de 35% et 47%. Pour révéler le Bénin et ses territoires le Gouvernement de la Rupture peut légitimement ambitionner de rejoindre ce club de champions de la décentralisation en Afrique.

Que gagnera le Bénin d’une décentralisation effective et efficace ?

La décentralisation, telle que définie dans la Charte Africaines des valeurs et principes de la décentralisation, est « le transfert des pouvoirs, des responsabilités, des capacités et des ressources du niveau national à tous les niveaux sous-nationaux de gouvernement afin de renforcer la capacité des gouvernements sous-nationaux à promouvoir la participation des populations et la fourniture de services de qualités ». 

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La promesse d’une décentralisation effective, c’est donc l’utilisation efficace et équitable des ressources publiques pour améliorer durablement les conditions de vie des populations, booster les économies locales, construire des territoires résilients, en un mot réussir un développement équilibré et durable de l’ensemble du territoire national. Elle permet : a) d’accroître l’implication des populations locales dans le cadrage, la conception, la contextualisation, pour la mise en œuvre des politiques publiques, accroissant de fait l’efficacité et l’impact de l’action de l’État ; b) de réduire la pauvreté, les inégalités et les disparités territoriales grâce à des actions de développement différentiées et plus pertinentes au niveaux des territoires ; c) d’améliorer l’accès aux services de base et d) de libérer les potentialités respectives des territoires et l’innovation de leurs acteurs. Par conséquent, le Gouvernement et l’ensemble de la population ont tout à gagner à veiller à ce que « Les collectivités (territoriales) s’administrent librement par des conseils élus pour un mandat de cinq (05) ans dans  les conditions prévues par la loi. » (Article 151 nouveau) de la Constitution.

Qu’est-ce qui doit changer pour que la décentralisation tienne ses promesses au Bénin ?

Il faudra traduire le principe de subsidiarité dans le fonctionnement de l’Administration publique, les processus de conception et de conduite des politiques publiques et assurer une autonomisation effective des CTD afin qu’elles puissent s’administrer de façon responsable et dans un cadre qui permet d’assurer une gestion axée sur les objectifs et les résultats convenus d’avance et des mécanismes de contrôle et de reddition de comptes efficaces et crédibles.

Une phrase mais tout un programme ! Car tirer les bénéfices d’une décentralisation effective requiert une réforme en profondeur du fonctionnement de l’État à travers son administration centrale. Elle conduirait au sujet des compétences transférées à : redéfinir, clarifier, rationaliser les missions des ministères et des administrations centrales par rapport aux mandats conférés par la loi aux collectivités territoriales (CT) en recentrant leurs missions autour : de la définition des orientations, des stratégies et des mécanismes de régulation des activités,  du renforcement des capacités des CT et du transfert effectif des compétences et ressources y compris à travers une contractualisation entre l’État central et les CT via si nécessaire des agences d’exécution (les Communes exerçant les attributions liées à la maîtrise d’ouvrage), puis de la régulation et le suivi-évaluation de la mise en œuvre des politiques et investissements publics.

Il faudra aussi opérer de façon systématique une territorialisation des politiques publiques pour favoriser les dynamiques ascendantes et le rôle d’acteur de développement des autorités locales dans la conduite de l’action publique ; et relever le défi de l’autonomie et de responsabilisation des exécutifs locaux.

Autonomie et responsabilisation sont deux facteurs essentiels de la capacitation des autorités locales permettant d’assurer l’effectivité de la décentralisation. En effet, « sans une marge d’autonomie substantielle pour ajuster et gérer la mise en œuvre des programmes nationaux sur leurs territoires, les autorités locales ne seraient rien d’autre que des agences déconcentrées de l’administration nationale. Plus important encore, elles ne pourraient pas mobiliser des ressources locales additionnelles si elles ne développaient pas leurs propres politiques et programmes correspondant aux priorités des détenteurs de ces ressources additionnelles. »

La responsabilisation quant à elle s’entend dans un esprit de complémentarité et de redevabilité

« La responsabilisation s’intéresse à̀ la façon dont les autorités locales sont tenues de répondre de leurs actes. En ce sens, trois types de mécanismes de responsabilité́ doivent être considérés : a) responsabilité ascendante (vis-à-vis de l’État central), b) descendante (vis-à-vis des populations/communautés locales) et c) horizontale (vis-à-vis des politiciens locaux et administrations locales). Là où les mécanismes de responsabilité ascendante, descendante et horizontale ne fonctionnent pas, c’est le manque de reddition des comptes qui en découle. »

Autonomie et responsabilisation impliquent donc de doter le Bénin d’un cadre/mécanisme performant pour assurer les contrôles à priori et à postériori qu’une telle délégation d’autorité exige.

La décentralisation, combien de parrains dans le landerneau politique béninois ?

Un État fort n’est pas nécessairement un État fortement centralisé, et certainement pas un État durablement efficace. En effet, pour un État qui se veut fort, stratège et efficace, une décentralisation effective est une nécessité pour l’efficience et l’enracinement de l’action publique. C’est l’autre défi du Gouvernement de La Rupture dans la poursuite de son ambition de révéler le Bénin, car réaliser une telle ambition implique aussi de libérer les énergies et potentialités de chacun des territoires qui composent notre pays, dans le cadre du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. La décentralisation peut aussi être vue comme étant le moyen qui permet à l’État de répondre au précepte politique que Nelson Mandela  a traduit dans sa citation bien connue : « Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi ».

En somme, « les réformes de décentralisation sont invariablement pilotées par des motivations politiques. Une analyse d’économie politique minutieuse est donc nécessaire pour comprendre les motivations, intérêts et incitatifs profonds des différents acteurs et parties prenantes (politiciens, Ministère des Finances, Ministère de l’Intérieur, Ministères techniques, fonction publique aux niveaux national et déconcentré, autorités locales, etc.). Les objectifs et les attitudes de ces acteurs tendent à̀ différer considérablement. Il s’ensuit que l’ampleur et la vitesse des réformes de décentralisation dans un pays donné sont avant tout déterminées par les forces relatives et le pouvoir de négociation de ces différents groupes d’intérêt. » Voilà ainsi résumé le défi et la décentralisation budgétaire est l’instrument privilégié pour le relever.

Il apparaît évident que la décentralisation souffre au Bénin de l’absence d’un vrai portage politique. Elle n’a pas de véritable parrain politique capable de faire bouger les lignes. Le Président Talon dispose là d’un autre chantier à la mesure de son talent.

Luc M. C. GNACADJA 

Président de GPS-Dev
Ancien Ministre (Environnement Habitat & Urbanisme
Ancien Sous-Secrétaire Général des Nations Unies

Une réponse

  1. Avatar de Analyste Senior
    Analyste Senior

    Merci pour cet article complémentaire au précédent et qui est rempli de bonnes propositions.
    Le financement de la décentralisation est effectivement inadéquat et insuffisant, mais le pouvoir central ne saurait en libérer davantage si les crédits actuellement disponibles ne sont pas bien utilisés, pour un impact à la hauteur desdits fonds. Le fait que les partenaires au développement commanditent aussi plusieurs des audits que « subissent » les maires chaque année, est un indicateur que le problème n’est pas que politique. À mon humble avis, la question des compétences est éminemment présente.
    À cet effet, la question du genre est peut-être une piste à ne pas négliger, pas seulement dans le souci d’une meilleure représentativité des conseils municipaux du point de vue genre, mais dans l’espoir que le leadership féminin pourrait changer la donne au niveau du profil des administrations et des exécutifs locaux. Les femmes qui peuvent exercer le pouvoir local existent et il revient aux partis politiques actuels de créer les conditions pour leur émergence à la prochaine occasion.
    Pendant que le Centre Formation de l’Administration Locale (CeFAL) forme les agents des catégories B et C, les partis politiques pourraient être des écoles de leadership pour les futurs exécutifs locaux, en plus d’exiger que les candidatures pour exercer le pouvoir local ne soient pas uniquement tributaires de la popularité, mais aussi des compétences préalables à l’efficacité d’un financement accru et à la territorialisation des politiques en appui à la décentralisation.

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