L’image des Etats Unis est partiellement sauve. Les élections sont terminées, mais le président sortant refuse de reconnaître sa défaite. Les sondages prédisaient une débâcle des Républicains, mais le tsunami n’a pas eu lieu. La décence, la civilité, et surtout l’intelligence tentent de reconquérir l’arène politique, et de redonner, un (bon) sens à la démocratie, un terme dangereusement galvaudé.
Une interprétation de la démocratie, assez courante et convenable, priorise le processus électoral, et sa capacité d’exécution à échéance. Les États-Unis réussissent à organiser des élections tous les quatre ans depuis sa constitution de 1789, ce qui consacre son succès. C’est souvent cette idée de la démocratie qui prédomine dans l’imagerie populaire et le langage des leaders politiques. Gagner des élections transparentes confère une certaine légitimité au système.
Une autre interprétation, plus profonde, s’appesantit sur la qualité et l’universalité du suffrage, la nature du système électoral (majoritaire ou proportionnel), sa représentativité et plusieurs autres facteurs tels que le rôle des pouvoirs économiques, financiers et militaires. Elle interroge la capacité du processus à représenter effectivement les électeurs, à combattre un statu quo qui pérennise les privilèges et avantages de certaines classes sociales, groupes ethniques ou autres, ou qui renforce les hiérarchies raciales et sociales.
Dans le premier cas de figure, les États Unis séduisent. Selon un groupe d’administrateurs chargés des élections nationales, le pays vient d’organiser les élections les plus sécurisées de l’histoire du pays. Une question que devraient se poser les Africains est comment les États-Unis en sont arrivés à ce stade.
Dans le deuxième cas de figure, la réalité est plus nuancée et complexe. Les États Unis se sont souvent auto-proclamés ‘’berceau de la démocratie, la plus grande nation libre de l’histoire de l’humanité’’ (la liberté y étant érigée en religion comme nous l’avons vu avec les nombreux refus du port de masque contre la Covid-19). Entre mythe et réalité, se trouve un grand trou.
Les Etats Unis révélés au monde
Même si certaines de ces affirmations, plutôt idéologiques, ne sont pas tout à fait fausses, les élections de Novembre 2020 et la Covid-19 ont révélé les États-Unis à ceux qui savent observer. Il s’agit ici d’États-Unis “révélés” (pas comme dans d’autres pays), mais dans le sens où Trump a ôté masque et vêtements. Le garçon s’exclame alors que le roi n’a pas d’habits. 73,110,783 électeurs (47.2%) ont voté pour Trump. Il n’est pas un accident parce que la moitié du pays s’identifie à lui. Au regard de ces élections, quelles leçons pour les Africains qui se lancent, souvent sans trop y réfléchir, sur les chemins superficiels et naïfs d’un type de démocratie que les Etats Unis et l’Europe (surtout les anciens colons) tentent d’imposer?
Premièrement, le suffrage universel n’a pas été systématiquement garanti, principalement parce qu’il mettait en péril certains intérêts économiques. Sous la colonisation, le vote était dangereux pour les colons. Aux États-Unis, pendant environ 176 ans, de 1789, date de la première constitution, jusqu’à 1965, date de promulgation du Voting Rights Act (Loi sur le Droit de Vote), le vote fut discriminatoire. Les multiples instruments du déni du droit de vote étaient variés, selon les époques et les états: propriété privée, éducation, race, origine, citoyenneté, les impôts (capitation), crime et emprisonnement, genre, terrorisme de groupes suprémacistes tels que le Ku Klux Klan, etc. Les Indiens, classifiés comme des “résidents étrangers,” ne sont devenus tous citoyens qu’en 1924 par imposition, et les derniers Etats à leur accorder le droit de vote furent l’Arizona et le Nouveau Mexique en 1948. Les Chinois ne pouvaient devenir citoyens qu’à partir de 1943, environ un siècle après leur arrivée en Californie. Ils furent interdits d’immigration en 1882 par l’Immigration Act, communément connu comme le Chinese Exclusion Act (Loi d’Interdiction d’Immigration Chinoise. Les femmes obtinrent le droit de vote en 1920.
Deuxièmement, les tentatives de suppression de vote existent toujours aux Etats Unis, comme nous l’avons vu cette année. Plusieurs pratiques que l’on déplore dans les pays du sud ont entaché la démocratie aux États-Unis pendant des décennies: découpages électoraux partisans qui visent à procurer un avantage à un groupe, un candidat ou un parti, intimidations et violences physiques sur des ouvriers ou groupes ethniques, bourrages d’urnes, fermetures prématurées ou ouvertures tardives de bureaux, assassinats, lynchings, annulation légale de votes si possible, difficultés à aller voter, etc.
Troisièmement, la prison exclut légalement les citoyens du droit de vote. En 2020, selon le Sentencing Project, 5,2 millions de citoyens en âge de voter, dont 1,1 millions de femmes, ne purent accomplir leur devoir parce qu’ils étaient en prison, coupables d’un crime, ou libérés mais avec un casier judiciaire de criminels. Cela varie d’un état à un autre et affecte en majorité les “gens de couleur” (non-blancs) selon le vocabulaire local.
Quatrièmement, á chaque élection aux Etats Unis, le rôle des finances est amplifié. Les élections (président, sénat et congrès) sont estimées à 14 milliards de dollars, plus du double de ce qu’elle a coûté en 2016. Mike Bloomberg, qui s’est présenté aux primaires du Parti Démocrate et n’a remporté aucun état, a dépensé plus d’un 1 milliard de dollars ($1,051,783,859.43) en 100 jours de campagne. De plus, les lobbys sont très actifs et corrompent légalement le paysage politique. Les candidats sont obligés “mobiliser” en permanence des fonds pour leurs élections et réélections. Par conséquent les individus et corporations contrôlent l’agenda électoral.
Cinquièmement, au fil des années, la corruption politique illégale du 19e et 20e siècle a diminué; les lois sont claires et le système électoral est solide et bien contrôlé. Les systèmes de vérification sont nombreux (enregistrements des électeurs, comptage électronique des votes, présence humaine des opposants dans les salles, etc… Il est devenu très compliqué de frauder à grande échelle sans risquer la prison pour plusieurs années, sans grand bénéfice personnel. Mais tout se joue maintenant, légalement si possible, avant les élections. Trump sait peut-être de quoi il parle (entre ego, simple mensonge, naïveté et ignorance, on n’est jamais sûr avec lui), lorsqu’il dénonce la triche. Elle n’a pas été absente de l’histoire des élections. Lui-même semble avoir souvent triché dans sa vie en business, avant et pendant sa présidence. Tout est possible, mais c’est dur de frauder massivement aujourd’hui aux Etats Unis (comme dans certains pays d’Afrique), lorsque tant d’acteurs sont impliqués dans les élections et que le système a développé ses remparts contre la triche au fil de décennies. Cela viendra en Afrique tant que les peuples se battront pour une vraie démocratie. Tricher existera tant que de solides mécanismes de contrôle ne seront pas établis, et tant que le système judiciaire ne pourra appréhender les malfrats et les traduire en justice. Donc, travaillons sur ces mécanismes.
Leçons pour L’AFRIQUE
Pour terminer, contrairement à ce que nous aimons à dire de nous mêmes Africains, nous ne sommes pas foncièrement plus tricheurs que les autres peuples. Nous ne pouvons continuer de croire que nous sommes plus déficients que les autres, alors qu’un examen critique de l’histoire de ces derniers nous indique clairement que nous sommes pareils. L’enjeu du progrès est aussi psychologique et si nous prenons toujours du plaisir à nous inférioriser, surtout par rapport à ceux qui nous ont assujettis et continuent d’extraire nos ressources pour leur développement, nous ferons peu de progrès. Si nous voulons une démocratie réelle pour nos peuples (je veux dire la grande masse des pauvres), nous devons les mettre au centre de nos politiques, favoriser leur éducation (pas l’acquisition de diplômes) et leur donner un droit de vote entier. Nous sommes passés à une situation où ce sont les plus riches, les plus tricheurs et les plus tripatouilleurs avec la loi et les constitutions qui gagnent nos élections. Une autre “tribu” arrive en politique, avec force, celle des évangéliques pour brouiller le paysage. Les États-Unis présentent un exemple de robustesse, mais selon The Economist Intelligence Unit Democracy Index (Indice de Démocratie), des pays comme l’Uruguay ou le Chili sont mieux placés qu’eux. Les bons exemples dont nous pouvons nous inspirer peuvent émaner de petits pays qui font peu de bruit. En Afrique, le tout politique est rivé à la démocratie (comprise comme organisation d’élections en multipartisme) et au manque de corruption, alors que les examples abondent où le “développement” industriel et le progrès social ne sont pas déterminés par la qualité des élections et une certaine idée de la démocratie.
Dr. Simon Adetona Akindes
Professeur, Department of Politics, Philosophy and Law
Director, Center for International Studies
Université de Wisconsin-Parkside
Email: akindess@uwp.edu
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