J’ai longtemps réfléchi avant d’écrire un papier sur ces deux personnalités béninoises et leur sacrifice. J’entreprends cette écriture pour trois raisons : d’abord le devoir de permettre à la conscience de l’écrivain de s’exprimer par compassion et conviction, ensuite de donner à la philosophie politique un matériau de réflexion pour une problématisation, enfin il est important, à mon sens, de ne pas se taire et de laisser comme mémoire et trace un texte analytique concernant un épisode dramatique survenu, dans notre pays le Bénin, après trente ans d’apprentissage démocratique.
Je considère comme une folie le sacrifice de Madougou et d’Aïvo. Une folie parce qu’ils ont décidé d’éprouver un système politique redoutable. Ils savaient, en conscience, les risques qu’ils couraient. Chacun d’eux a quitté son confort, sa tranquillité, sa quiétude pour se lancer dans un combat que je qualifie de périlleux. N’était-il pas plus cohérent et sage de tenir compte des décisions de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) en restant en marge des joutes électorales de 2021, en se désolidarisant du processus ? Pourquoi se sont-ils engagés alors qu’ils pouvaient utiliser, à bon escient, les cartes de la CADHP qu’ils avaient en leur possession ? Ils ont fait le choix de la folie, un choix courageux et exigeant à un moment où l’opposition politique est désarticulée, infestée et affaiblie. Ils se sont donc engagés sans appareil sûr, sans soutien populaire mordu, et sans compagnons fiables. Ils ont simplement mis en jeu leur stature, leur vie et leur fibre patriotique. Ils sont restés seuls face à un système politique déloyal et ferme dans un contexte anthropologique où le peuple béninois souverain n’a pas appris à lutter. A mon analyse, la lutte pour la démocratie béninoise a été essentiellement menée par les étudiants et les fonctionnaires. Le peuple béninois, dans sa globalité et dans sa souveraineté, n’est pas lutteur. Tout acteur politique avisé, déterminé, téméraire le sait bien et en profite avec dextérité et ironie. Ce tableau de sociologie politique, ce contexte politique actuel et ces décisions de la CADHP devraient les dissuader. Pourtant ils ont pris la voie très risquée : chercher le parrainage et compétir. N’était-ce pas une bataille perdue d’avance ? N’étaient-ils pas face à une porte blindée ? Et pourquoi alors ce grand risque et cette folie ? Sachant bien où cela les conduirait ! Même ayant eu vent de leur arrestation, ils n’ont pas pris la poudre d’escampette, ni même le maquis. Sur quoi comptaient-ils sachant qu’ils étaient dans un tunnel sans issue ? Comment peut-on risquer d’avoir affaire à la pieuvre Criet ? Tout bien pesé, c’est sans doute pour la première fois dans l’histoire politique béninoise que deux personnalités, qui ont tout pour vivre tranquille avec leur famille, se sont lancées à la conquête de la magistrature suprême à un moment non compétitif. Je constate qu’ils ont tenté certainement d’éprouver le système au prix de leur vie. Mais était-ce judicieux ?
Ces procédures judiciaires, ces procès, ces condamnations et cette Criet-sépulcre resteront gravés dans l’histoire de ce pays comme étant un drame tragique, une mort de la démocratie participative et une justice épouvante. Dans ces conditions faut-il faire le jeu du pouvoir en place ? Fallait-il prendre cette folle option ? Fallait-il leur faire aussi tant de publicités à travers ces arrestations spectaculaires et ces procédures judicaires ? Quel impact moral, le sacrifice fou de Madougou et d’Aïvo, peut-il produire à long terme ? Actuellement, leur sort tétanise et fait froid dans le dos. N’est-ce pas là un mécanisme pour inhiber tout engagement politique au Bénin ? Quel exemple démocratique donnons-nous à toute l’Afrique ? Assurément, le débat reste ouvert.
Arnaud Éric Aguénounon
Philosophe politique
Écrivain-Essayiste
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