La perte de la nationalité française est une procédure exceptionnelle et rarement appliquée en France. Elle intervient généralement lorsqu’une personne est accusée d’adopter volontairement une nationalité étrangère, ou s’engage dans l’armée d’un autre pays, ou agit de manière préjudiciable aux intérêts de la France. La procédure est encadrée par des dispositions légales strictes et fait l’objet d’un examen minutieux par les autorités compétentes, notamment le Conseil d’État, afin de garantir le respect des droits fondamentaux et d’éviter les situations d’apatridie.
Ce mardi 9 juillet 2024, un décret publié au Journal officiel de la République française (et relayé par la presse française) a officialisé la perte de nationalité française de Kemi Seba, de son vrai nom Stellio Capo Chichi. Cette décision, prise par le Conseil d’État, marque l’aboutissement d’une procédure initiée par le ministère de l’Intérieur en début d’année. L’activiste de 42 ans, connu pour ses positions panafricanistes et ses critiques virulentes envers la politique néocoloniale française en Afrique, avait défrayé la chronique en brûlant publiquement son passeport français lors d’une conférence de presse à Fleury-Mérogis.
Des tensions avec l’état français
La démarche des autorités françaises s’inscrit dans un contexte de tensions croissantes entre Kemi Seba et l’État français. Accusé par certains responsables politiques d’être un « relais de la propagande russe » et de servir les intérêts d’une puissance étrangère, Seba a vu ses activités scrutées de près. S’il n’a pas nié rechercher des partenaires dans sa lutte pour la souveraineté de l’Afrique, l’activiste très apprécié sur le continent africain a toutefois nié relayer une quelconque propagande. Son engagement dans des manifestations critiquant la présence française en Afrique et ses prises de position sur les réseaux sociaux ont été perçus par le gouvernement français comme une menace pour les intérêts nationaux.
Pour Kemi Seba, l’annonce de la procédure entamée contre lui était loin d’être vécue comme un revers. Il y voyait plutôt une reconnaissance de l’impact de son combat anticolonialiste et une tentative de museler une voix dissidente. Se présentant comme un « Béninois libre », il revendique son identité africaine et considère la perte de sa nationalité française comme une étape dans une lutte plus large contre ce qu’il qualifie de politique néocoloniale.
La procédure de perte de nationalité a été engagée en vertu de l’article 23-7 du code civil français. Les autorités ont souligné que Seba, né en France de parents d’origine béninoise, possède également la nationalité béninoise, écartant ainsi le risque d’apatridie. Cette précision est cruciale dans le cadre légal de la procédure, la France étant tenue de prévenir les situations d’apatridie conformément à ses engagements internationaux.
Les limites de la liberté d’expression ?
L’affaire Kemi Seba soulève des questions fondamentales sur la liberté d’expression dans le pays des droits de l’homme, l’identité nationale et les relations postcoloniales entre la France et l’Afrique. Elle met en lumière les tensions persistantes liées à l’héritage colonial et aux mouvements anticolonialistes contemporains. Pour Seba, cette décision ne marque pas la fin de son combat, mais plutôt une nouvelle étape dans ce qu’il considère comme une « guerre politique » contre les intérêts français en Afrique.
Cette affaire pourrait avoir des répercussions significatives sur la scène politique française et africaine. Elle alimente le débat sur la place de la France en Afrique et sur la manière dont l’État français gère les voix critiques issues de la diaspora. Pour Kemi Seba, désormais privé de sa nationalité française, cette situation pourrait paradoxalement renforcer son influence auprès de certains publics en Afrique et au sein de la diaspora africaine en France. Pour certains de ses soutiens, cette initiative de la France montre un double-standard notamment lorsqu’on sait que des voix françaises (de souche) critiquent également la politique française en Afrique depuis belle lurette.
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