Olivier Boko et Patrice Talon sont des noms bien connus au Bénin. Figures emblématiques du monde des affaires, ces deux personnalités ont marqué l’histoire du pays au cours des deux dernières décennies, et ont toujours été présentées comme des amis fidèles. Toutefois, cette complicité légendaire semble aujourd’hui fragilisée par une affaire d’État qui a éclaté il y a quelques jours.
Amis de longue date, Patrice Talon et Olivier Boko sont des magnats du coton. Il est impossible de parler de ce secteur sans évoquer ces deux noms, ainsi que celui de Martin Rodriguez. Au fil des années, ils se sont imposés comme des acteurs majeurs de la filière, surpassant leurs concurrents. Leur rival, Martin Rodriguez, a souvent reproché à Talon son éviction du secteur. Dans les milieux politiques, Talon et Boko ont une grande influence, même s’ils n’occupaient pas de fonctions officielles dans l’appareil d’État. En tout cas, pas jusqu’en 2016, année où Patrice Talon, élu Président de la République après des années d’exil, a mis en place un dispositif de gestion avec son cercle restreint. Olivier Boko, son fidèle allié, y jouait un rôle central.
Une amitié hors pair
L’histoire ne situe pas précisément le début de cette amitié que beaucoup leur enviaient. Toutefois, ce qui est certain, c’est que Patrice Talon et Olivier Boko se sont rapprochés dans les affaires, au sommet de l’État. Ils partagent une vingtaine d’années d’amitié et des liens forts. Le second a toujours été considéré comme le bras droit du premier. Patrice Talon avait même l’habitude de dire : « Olivier m’a vu nu », selon le magazine Jeune Afrique. Cela illustre bien l’harmonie dans laquelle ils ont travaillé pendant de longues années. Leur destin s’est encore davantage lié sous le régime de l’ancien Président Thomas Boni Yayi avec l’éclatement de l’affaire de tentative d’empoisonnement, suivie de celle de tentative de coup d’État. En 2012, après l’éclatement de l’affaire d’empoisonnement, les deux amis prennent le chemin de l’exil. D’après certaines rumeurs, ils auraient quitté le Bénin en utilisant des stratagèmes après avoir été informés de ce qui se préparait contre eux.
La bataille judiciaire qui a suivi a vu Patrice Talon bénéficier d’un non-lieu. Des mois plus tard, Boni Yayi accorda son pardon à Olivier Boko et Patrice Talon, dans le cadre d’une réconciliation socio-politique largement souhaitée par le pays. Le second a commencé à nourrir des ambitions présidentielles et ne les cachait plus. Dès 2015, il les affiche publiquement et commence à avancer ses pions pour être sur la ligne de départ pour les élections présidentielles de 2016. Le slogan choisi par le magnat du coton pour sa campagne était : Le Nouveau Départ. Le candidat Patrice Talon prônait une « Rupture » avec les anciennes pratiques.
Patrice Talon met en place une équipe choc pour s’installer à la Marina. Entouré de jeunes comme Oswald Homeky, devenu Ministre par la suite, Olivier Boko et d’autres compagnons de Patrice Talon ont mouillé le maillot pour que les portes de la Marina s’ouvrent au magnat du coton. Patrice Talon remporte la présidentielle au second tour après avoir réussi à rallier presque toutes les voix de l’Opposition à sa cause à travers un protocole d’accord de la Coalition de la Rupture. Son challenger Lionel Zinsou, dauphin du Président Boni Yayi s’est incliné en le félicitant dès l’annonce des résultats après un premier tour qui a vu arriver en tête le candidat de la mouvance d’alors, suivi de Patrice Talon et de l’homme d’affaires Sébastien Ajavon. Un nouveau chapitre s’ouvrait alors pour les deux amis, qui avaient connu des années d’exil difficiles.
Depuis l’investiture de Patrice Talon, Olivier Boko a toujours été présenté comme une figure influente du système. On lui prêtait une certaine puissance au sein du dispositif, même plus que certains Ministres et amis fidèles du chef de l’État. Pourtant, Olivier Boko n’avait aucune fonction officielle dans l’appareil d’État. Pendant de nombreuses années, il accompagnait le numéro un béninois lors de ses voyages et, selon certaines indiscrétions, était celui qui « gérait » certaines affaires du magnat du coton devenu Président de la République, Patrice Talon, aux côtés de ses enfants.
Des différends récents
Leur complicité semblait inébranlable, et personne n’aurait pu prédire la tournure des événements. Patrice Talon, devenu Président de la République en 2016 et réélu en 2021, avait toujours à ses côtés son fidèle ami, Olivier Boko, qui s’effaçait progressivement de la scène. Cela, surtout après que plusieurs observateurs ont commencé à s’interroger sur le rôle que M Boko jouait dans l’appareil d’État. Bien que des rumeurs circulaient dans certains cercles sur une éventuelle brouille entre les deux hommes, c’est au cours des derniers mois que ces tensions sont devenues plus visibles. En effet, depuis quelques mois, des mouvements soutenant la candidature d’Olivier Boko pour la présidentielle de 2026 ont vu le jour. Plus le temps passait, plus des regroupements se formaient autour de l’homme d’affaires, qui, jusqu’à ce jour, n’avait jamais affiché publiquement d’ambitions présidentielles. Cependant, cela n’aurait pas été bien accueilli par Patrice Talon, qui, chaque fois qu’il évoquait sa succession, estimait qu’il était encore trop tôt pour aborder ce sujet. Cette situation a même poussé Oswald Homeky à démissionner de son poste de Ministre.
Patrice Talon, au cours d’une interview, a révélé comment il avait rappelé son Ministre à l’ordre. Il estimait qu’il n’était pas normal que des responsables politiques de haut niveau, membres du gouvernement et acteurs de la réforme du système partisan, encouragent la candidature d’une personnalité pour la présidentielle de 2026, au mépris de cette réforme. Pour le Président béninois, cette initiative devait nécessairement provenir des partis politiques. Dans la même interview, interrogé sur l’éventualité d’une candidature de son ami Olivier Boko, Patrice Talon déclara : « Moi, je ne sais pas s’il est candidat. ». Il est important de rappeler qu’Oswald Homeky avait affirmé qu’Olivier Boko était la meilleure alternative pour succéder à Patrice Talon en 2026. Après l’intervention du Président béninois, les rassemblements des mouvements appelant à la candidature d’Olivier Boko se sont faits plus rares. Cependant, les théories sur une brouille entre les deux amis de longue date ont commencé à se renforcer. Puis, coup de théâtre ! Le 24 septembre 2024, une affaire de « coup d’État » a éclaté, révélant au grand jour la crise entre les deux hommes.
Une rocambolesque affaire d’État avec des zones d’ombre
Ce jour-là, les Béninois se réveillent avec une nouvelle qui fait l’effet d’une bombe. Olivier Boko, ami intime du Chef de l’État, aurait été interpellé dans la nuit du lundi 23 au mardi 24 Septembre 2024 puis conduit vers une destination inconnue. Dans la foulée, l’opinion publique apprend, via les réseaux sociaux, que l’ancien Ministre Oswald Homeky, qui ne cachait plus son désir de voir Olivier Boko à la Marina depuis sa démission du gouvernement, a également été interpellé, en compagnie d’un Commandant de la Garde républicaine. Mais que se passe-t-il ? se demandaient la plupart des Béninois ce jour-là. L’information, d’abord une simple rumeur, a rapidement été confirmée. Dans la soirée du 24 septembre 2024, les Avocats de M. Boko et M. Homeky montent au créneau et confirment les arrestations. Ils n’ont pas été en mesure de dire exactement où M Boko était retenu. Il n’a pas fallu longtemps avant que les autorités ne prennent la parole. Le lendemain, lors du point de presse qui a suivi le Conseil des ministres du 25 Septembre 2024, le Porte-parole du gouvernement, Wilfried Léandre Houngbédji, a invité l’opinion publique à attendre les conclusions que la justice pourrait livrer sur ce dossier.
Quelques heures plus tard, le Procureur spécial de la CRIET (Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme) a donné une conférence de presse au cours de laquelle il a révélé certains détails de l’affaire. Le Procureur spécial a déclaré qu’il s’agissait d’une « tentative de coup d’État » impliquant les trois personnalités citées. « Dans la nuit du 23 au 24 septembre 2024, un peu après une heure du matin, l’ancien Ministre des Sports, Oswald Homeky, a été interpellé au moment où il transmettait six sacs remplis de billets de banque au Commandant de la Garde républicaine », révèle le Représentant du Ministère public Mario Metonou qui précise que Mr Boko a été interpellé l’heure qui a suivi.
Les déclarations du Procureur ont certes permis d’éclairer un peu plus l’opinion, mais des zones d’ombre subsistent. En effet, la veille, les Avocats de M. Boko, s’appuyant sur des sources familiales, avaient révélé que leur client avait été interpellé aux alentours de 23h 47. « Selon la famille de M. Olivier Boko, ce dernier se rendait, comme à l’accoutumée, sur invitation, au domicile du Président de la République aux environs de 23h 47. Alors qu’il se trouvait en compagnie de son épouse, il a été intercepté à hauteur de l’ancien siège de la Sonacop, en face de la Direction de Moov (réseau de téléphonie mobile), à Cotonou, par un véhicule banalisé dont la plaque d’immatriculation n’était pas visible », précise le communiqué des Avocats.
De leur côté, les Avocats de M. Homeky ont révélé que leur client et le Commandant de la Garde républicaine avaient été interpellés aux alentours de 2h du matin. « Dans la nuit du 23 au 24 septembre 2024, aux alentours de 2h du matin, les éléments de la Brigade criminelle d’Agblangandan ont fait irruption au domicile de M. Oswald Homeky, où il se trouvait en compagnie de M. Dieudonné Tévoédjrè. Il sied de préciser que ces deux personnalités sont connues pour leur amitié de longue date », peut-on lire dans le communiqué.
En recoupant les différentes déclarations sur les horaires des interpellations des personnalités impliquées, une question reste posée : de quel côté se trouve la vérité ? Une autre interrogation taraude les esprits : où se trouve actuellement M Olivier Boko ? Hier jeudi 26 septembre 2024, le groupe NSIA a réagi à travers un communiqué signé de son Président, dans lequel il affirmait vouloir « contribuer à la manifestation de la vérité aux côtés des autorités béninoises ». Le communiqué précise qu’« aucun compte n’a été ouvert au nom ou pour le compte du Commandant de la Garde républicaine du Bénin dans les livres de NSIA Banque CI ». Toutefois, le concerné dispose d’un contrat d’assurance s’élevant à 55 millions de FCFA.
Ce nouvel élément renforce les zones d’ombre autour de cette affaire. En attendant les réponses aux nombreuses interrogations lors d’un éventuel procès où les personnes citées pourront présenter leurs arguments de défense, il est important de souligner que cette affaire de « tentative de coup d’État » présente de sérieux risques d’implosion au sein de la mouvance présidentielle. À moins de deux ans de la fin de son mandat, Patrice Talon pourrait se retrouver face à une situation qu’il avait pourtant tenté d’éviter en rassemblant sa majorité autour d’un objectif commun il y a quelques mois. Ces « petites » guerres internes pourraient fragiliser l’image de la majorité qui a dominé la scène politique ces dernières années.
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