L’Aïd al-Adha, également connu sous le nom de fête du sacrifice, représente l’une des célébrations les plus importantes du calendrier musulman. Commémorant le sacrifice qu’Ibrahim (Abraham) était prêt à faire de son fils par soumission à la volonté divine, cette fête réunit traditionnellement les familles autour du sacrifice d’un mouton. Au Maroc, comme dans tous les pays musulmans, l’Aïd al-Adha revêt une dimension à la fois religieuse, sociale et économique majeure, transformant les marchés et mobilisant divers secteurs d’activité pendant plusieurs semaines avant la célébration.
Les éleveurs pris au dépourvu
La recommandation du roi Mohammed VI de ne pas célébrer l’Aïd al-Adha cette année a frappé le secteur de l’élevage tel un séisme inattendu. Les professionnels, déjà engagés dans la préparation de leurs bêtes et lourdement endettés, font face à une crise sans précédent. Selon les propos recueillis par le journal Achkayen, certains membres du secteur ont contracté des prêts atteignant un demi-million de dirhams, tandis que même les moins exposés supportent des dettes d’au moins 200 000 dirhams. Le porte-parole interrogé par ce média ne remet pas en question la nécessité potentielle d’annuler la fête, mais déplore l’absence de mesures d’accompagnement qui auraient pu atténuer le choc économique. Des voix s’élèvent également pour alerter sur le risque d’emprisonnement pour dettes qui menace de nombreux éleveurs incapables d’honorer leurs engagements financiers auprès de leurs fournisseurs.
L’effondrement alarmant des ressources animales
Cette décision exceptionnelle intervient dans un contexte de pénurie aiguë touchant l’ensemble du cheptel marocain. Lors de sa communication officielle du 13 février, le responsable du portefeuille de l’Agriculture a dévoilé des statistiques préoccupantes: le nombre d’animaux d’élevage a chuté de près de deux cinquièmes par rapport aux données collectées en 2016. Les conséquences se font déjà sentir sur l’approvisionnement national en viande et sur l’inflation des prix alimentaires. Le pays, qui abattait traditionnellement plus de 200 000 bêtes en période normale, peine aujourd’hui à atteindre les 140 000, malgré le recours aux importations. Cette diminution dramatique reflète une crise structurelle profonde dans un secteur vital pour l’économie rurale.
Par l’intermédiaire du ministre des Habous et des affaires islamiques, le monarque a fondé sa recommandation sur des considérations à la fois religieuses et sociales, rappelant le caractère conditionnel du sacrifice et son impact potentiellement néfaste sur les ménages aux revenus modestes dans le contexte économique actuel. Bien que certains observateurs rapportent une réception favorable de cette mesure par une partie de la population, les répercussions économiques sur toute la chaîne de valeur – des producteurs de fourrage aux commerçants de charbon – soulèvent des inquiétudes majeures quant à la viabilité future du secteur sans intervention gouvernementale rapide.
Analyse: une décision symptomatique des défis agricoles maghrebins
Cette situation exceptionnelle au Maroc illustre parfaitement les tensions croissantes entre traditions religieuses, réalités économiques et défis environnementaux dans la région. La décision royale, bien que présentée comme une recommandation religieuse, révèle en filigrane la vulnérabilité du modèle agricole face aux changements climatiques et à la raréfaction des ressources. La sécheresse persistante qui frappe le Maghreb depuis plusieurs années a progressivement affaibli le secteur de l’élevage, rendant le pays de plus en plus dépendant des importations. Cette fragilisation structurelle expose particulièrement les petits éleveurs, majoritaires dans le paysage rural marocain, aux chocs conjoncturels.
L’absence de mécanismes d’anticipation et d’adaptation témoigne d’un besoin urgent de repenser la gouvernance du secteur agricole et la gestion des risques climatiques pour garantir à la fois la sécurité alimentaire nationale et la protection des acteurs économiques les plus vulnérables.
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