La rivalité technologique entre Pékin et Washington s’est intensifiée au fil des années, dépassant le simple affrontement commercial pour devenir une véritable lutte d’influence dans les secteurs stratégiques. La bataille pour la suprématie dans l’intelligence artificielle et les semi-conducteurs incarne cette évolution. Depuis le tournant amorcé en 2018 avec les premières sanctions américaines contre Huawei, les restrictions sur l’accès de la Chine aux technologies de pointe se sont multipliées. Washington cherche à contenir la montée en puissance d’un concurrent qui développe ses propres champions nationaux, accélérant ses investissements dans la recherche et la production autonome. Mais les derniers choix de l’administration Trump, visant à restreindre drastiquement les exportations de puces vers la Chine, suscitent des doutes jusque dans les rangs des analystes les plus prudents.
Une stratégie américaine jugée contre-productive
Pour tenter de freiner les progrès chinois dans le domaine de l’IA, les États-Unis ont décidé de durcir le ton. L’interdiction faite à Nvidia, AMD et d’autres fabricants américains de vendre leurs composants les plus avancés à la Chine a été présentée comme un levier de pression destiné à ralentir Pékin. Mais cette approche, selon plusieurs experts, pourrait au contraire catalyser l’innovation locale. Privées d’accès à certaines technologies, les entreprises chinoises comme DeepSeek ont déjà démontré leur capacité à concevoir des alternatives, avec des modèles d’intelligence artificielle performants reposant sur des ressources matérielles limitées.
Le pari américain repose en partie sur le rapatriement de la production. Nvidia a annoncé son intention de fabriquer pour la première fois aux États-Unis des puces dédiées aux superordinateurs d’intelligence artificielle. Mais ce virage industriel se heurte à des obstacles majeurs. Le coût de construction d’une fonderie avoisine les 40 milliards de dollars et les délais s’étendent sur plusieurs années. S’y ajoute un déficit de main-d’œuvre spécialisée, aggravé par une politique migratoire restrictive. Les ambitions de relocalisation paraissent donc irréalistes à court terme.
Le rôle clé des ressources et des chaînes d’approvisionnement
Un autre facteur renforce la position de la Chine : sa maîtrise des matières premières essentielles. Si les États-Unis disposent de gisements de terres rares, ils ne possèdent ni les infrastructures adaptées ni l’expérience nécessaire pour les exploiter efficacement. Les coûts d’extraction élevés, combinés aux préoccupations environnementales, rendent improbable un rééquilibrage rapide. Pékin conserve ainsi un levier stratégique qui pourrait s’avérer décisif dans la course aux semi-conducteurs.
L’approche de l’administration Trump semble aussi négliger l’importance des chaînes d’approvisionnement mondialisées. Jensen Huang, PDG de Nvidia, a rappelé cette semaine depuis Pékin l’importance du marché chinois pour son entreprise, soulignant que la société y a réalisé 17 milliards de dollars de ventes en 2024. Interdire l’accès à ce marché revient à affaiblir des entreprises américaines clés, au risque de compromettre leur capacité à investir dans la recherche et le développement. Les répercussions sont déjà visibles : Nvidia prévoit une charge exceptionnelle de 5,5 milliards de dollars pour le trimestre en cours, tandis qu’AMD anticipe une perte de 800 millions.
Pékin accélère son autonomie technologique
Plutôt que de freiner le développement chinois, les restrictions américaines pourraient avoir l’effet inverse. En forçant les entreprises de l’Empire du Milieu à intensifier leurs efforts de conception de puces avancées, Washington risque de voir émerger un écosystème concurrent capable de produire, puis d’exporter massivement. Une fois ce seuil atteint, regagner des parts de marché deviendra extrêmement difficile. L’histoire industrielle montre qu’une chaîne d’approvisionnement réorientée est rarement réversible.
Ce constat alimente le scepticisme de nombreux spécialistes qui considèrent la stratégie actuelle comme un pari risqué. L’analyste Jack Gold évoque une politique “magique” déconnectée des réalités économiques, où pénaliser les acteurs américains serait contre-productif. Plutôt que de restreindre les exportations, certains plaident pour un soutien accru aux entreprises nationales, afin de maintenir leur avance technologique par l’innovation plutôt que par l’isolement.
Alors que Donald Trump espère contenir l’essor technologique de la Chine par des mesures unilatérales, les signaux du terrain dessinent un scénario plus complexe. Si la Chine parvient à tirer parti de cette pression pour renforcer sa souveraineté technologique, elle pourrait non seulement surmonter les restrictions actuelles, mais aussi consolider une position de leader mondial, au détriment des objectifs affichés par Washington.
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