Accusé par Donald Trump de promouvoir la haine raciale, Julius Malema s’est retrouvé au cœur d’une polémique transcontinentale. Le président américain a interpellé son homologue sud-africain lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche le 21 mai, exigeant des explications sur le fait que Malema ne soit pas arrêté pour avoir entonné le chant “Tuez le Boer”. Faisant référence à cette chanson controversée scandée lors d’un rassemblement politique, Trump a suggéré que ses paroles incitaient à la violence contre les descendants des colons blancs. Cette intervention a aussitôt soulevé une onde de choc, tant pour sa méconnaissance des institutions sud-africaines que pour la manière dont elle caricature un débat historique complexe.
Un chant, des tribunaux, une mémoire
La chanson visée par Trump, associée à la lutte contre l’apartheid, a été plusieurs fois portée devant les tribunaux en Afrique du Sud. En 2010, elle avait été interdite, avant que la justice ne tranche dans un sens opposé, reconnaissant sa valeur symbolique dans l’histoire de la résistance. En 2024, la Cour constitutionnelle a définitivement confirmé qu’elle ne constituait pas une incitation à la haine, rejetant les arguments avancés par le groupe identitaire Afriforum, qui demandait son interdiction. Cette décision repose sur une lecture ancrée dans la mémoire collective sud-africaine, où les chants de lutte sont perçus comme des témoignages de résistance et non comme des appels à la violence actuelle.
Face aux accusations de Trump, Julius Malema, leader des Economic Freedom Fighters, n’a pas tardé à riposter. Lors d’un discours électoral dans la province de l’État libre, il a dénoncé l’attitude du président américain, tout en critiquant le manque de fermeté de Cyril Ramaphosa. Selon lui, le chef de l’État sud-africain aurait dû rappeler que le pays fonctionne sur la base de décisions de justice et que les institutions ne se plient pas aux injonctions extérieures. Il a également réaffirmé son attachement personnel à la chanson, la liant à l’héritage de Winnie Mandela, et assurant qu’y renoncer reviendrait à renier les sacrifices du passé.
Entre instrumentalisation politique et posture idéologique
L’intervention de Donald Trump soulève des interrogations quant à ses motivations. En ciblant Malema, il touche à une figure de l’opposition radicale sud-africaine. Le chef des EFF, qui a obtenu 9,5 % des suffrages lors des élections de 2024, incarne une critique virulente du système économique hérité de l’apartheid, et s’attaque régulièrement aux élites blanches. En le désignant comme une menace, Trump semble inscrire ce discours dans une logique de confrontation idéologique, où la mémoire des luttes africaines est redéfinie selon les repères occidentaux.
Pour Malema, cette attaque représente également une opportunité de redynamiser sa base. En se présentant comme victime d’une pression étrangère, il ravive une rhétorique souverainiste et renforce son image de défenseur d’un héritage révolutionnaire. Le contraste avec Ramaphosa, jugé trop conciliant, lui permet de se démarquer à l’approche de nouveaux scrutins. Mais cette mise en scène d’un affrontement entre Washington et Pretoria détourne aussi l’attention des défis économiques et sociaux qui alimentent les tensions internes.
Cette controverse dépasse donc les simples paroles d’un chant. Elle révèle les lignes de tension entre mémoire et pouvoir, entre justice et instrumentalisation politique, dans une Afrique du Sud encore travaillée par les héritages du passé et les projections extérieures. En affirmant qu’il continuera de chanter, Malema ne s’adresse pas seulement à ses partisans : il lance un défi à ceux qui voudraient dicter depuis l’étranger les termes de la mémoire sud-africaine.
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