Depuis plusieurs mois, Elon Musk et l’Afrique du Sud sont engagés dans un bras de fer aux allures de conflit symbolique entre innovation technologique et exigences sociales héritées de l’histoire. Le cœur de la discorde : l’impossibilité pour Starlink, le service Internet satellitaire du patron de SpaceX, d’opérer sur le sol sud-africain sans se conformer aux lois locales sur l’« empowerment économique des Noirs » (Black Economic Empowerment, ou BEE). Ces règles, conçues pour corriger les inégalités issues de l’apartheid, imposent aux entreprises de télécommunications étrangères de céder jusqu’à 30 % de leur capital à des groupes historiquement marginalisés.
Pour Elon Musk, ces exigences sont discriminatoires. Il les a publiquement qualifiées de « racistes », affirmant que sa société ne pouvait obtenir de licence uniquement parce qu’il « n’est pas noir ». Une déclaration qui a trouvé un écho controversé, d’autant plus qu’elle émane d’un homme originaire précisément d’Afrique du Sud, devenu figure mondiale de la tech américaine. Du côté de Pretoria, les autorités rétorquent que Starlink n’a même jamais déposé de demande formelle. Le ton est monté, renforçant une ambiance déjà tendue entre les gouvernements sud-africain et américain, en particulier après plusieurs déclarations sulfureuses de Donald Trump et d’Elon Musk sur la situation raciale dans le pays.
L’Afrique du Sud face à ses choix
À Pretoria, les pressions s’intensifient. La position de l’Afrique du Sud, historiquement fondée sur une politique de justice économique post-apartheid, se heurte aujourd’hui aux réalités d’un monde numérique dominé par des acteurs globaux puissants. Le gouvernement doit décider s’il maintient une ligne dure sur la question de la propriété noire ou s’il aménage ses règles pour ne pas compromettre l’accès aux technologies émergentes.
Selon trois sources proches du dossier, une dérogation aux règles du BEE pourrait être proposée à Elon Musk afin de lui permettre d’opérer Starlink dans le pays. Une rencontre discrète entre les représentants de l’entrepreneur et des membres de la délégation sud-africaine accompagnant le président Cyril Ramaphosa serait prévue mardi soir. L’idée serait d’apaiser les tensions tout en évitant un isolement technologique, dans un contexte où la connectivité est devenue un enjeu économique et social majeur.
Cette mesure ne viserait pas uniquement Starlink : elle serait pensée comme une adaptation applicable à toutes les entreprises des TIC, y compris celles venant d’Asie ou du Golfe, elles aussi confrontées à des barrières similaires. Il s’agirait moins d’une capitulation que d’un recalibrage stratégique, visant à préserver l’attractivité du pays sans trahir ses engagements historiques.
Un bras de fer aux implications mondiales
L’enjeu dépasse largement les seuls intérêts de Musk. Le cas sud-africain pourrait devenir un précédent pour d’autres pays africains tentés de durcir leurs exigences face aux multinationales technologiques. En cédant à Musk, Pretoria pourrait ouvrir la voie à une série de renégociations avec d’autres géants de la tech. Mais elle pourrait aussi se positionner comme un modèle de compromis entre souveraineté économique et intégration numérique.
Ce qui se joue, c’est aussi la manière dont les États définissent leur rapport au pouvoir technologique. Musk n’est pas un simple entrepreneur : il incarne une forme d’influence qui combine innovation, capital et poids géopolitique. Sa capacité à forcer la main à un État-nation révèle l’asymétrie croissante entre entreprises transnationales et gouvernements, surtout ceux du Sud. Pour l’Afrique du Sud, concéder une dérogation à Musk reviendrait à reconnaître cette réalité, tout en tentant de la canaliser au service de son développement. Reste à savoir si ce pari sera perçu comme un compromis pragmatique ou une reddition politique.
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