Alors que le continent africain cherche à affirmer sa place dans le paysage énergétique mondial, deux projets de gazoducs aux ambitions régionales opposent le Maroc et l’Algérie. Le premier, défendu par Rabat, vise à relier le Nigeria à l’Europe via la côte atlantique ouest-africaine. Le second, porté par Alger, suit un tracé plus central en passant par le Niger et le Sahara. Ces deux initiatives, en concurrence autant géostratégiquement que techniquement, avancent à des rythmes contrastés et soulèvent des défis multiples pour les parties prenantes.
Des trajectoires opposées dans l’exécution
Le projet transsaharien appuyé par l’Algérie s’inscrit dans une dynamique ancienne, relancée avec vigueur ces dernières années. Les partenaires – Algérie, Niger, Nigeria – ont formalisé leur engagement par des accords bilatéraux et des protocoles techniques, dotant l’initiative d’un socle institutionnel robuste. En parallèle, Alger bénéficie d’un réseau d’infrastructures existantes facilitant le raccordement aux terminaux méditerranéens. En revanche, le gazoduc marocain, bien que fortement mis en avant sur le plan diplomatique, connaît des retards importants. Le calendrier initial a été repoussé, les coûts estimés ont grimpé, et les partenaires économiques européens ne se sont pas encore engagés fermement.
Sur le plan logistique, les écarts sont également notables. Alors que le tracé transsaharien repose sur une coopération entre trois États, celui du Maroc traverse treize pays, chacun avec ses régulations et ses priorités. Cette complexité rend le projet plus vulnérable aux imprévus politiques et économiques. En parallèle, les incertitudes régionales, notamment en Afrique de l’Ouest, compliquent davantage la coordination nécessaire à une telle infrastructure.
Tensions diplomatiques et réalités régionales
Le climat régional ne favorise pas la sérénité nécessaire à des investissements énergétiques d’envergure. La récente détérioration des relations entre l’Algérie et les membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) – Mali, Niger, Burkina Faso – illustre ces frictions. L’incident du drone malien abattu par l’armée algérienne a déclenché une réaction diplomatique en chaîne, marquée par des rappels d’ambassadeurs et des fermetures d’espaces aériens. Le Niger, partenaire à la fois de l’Algérie dans le projet transsaharien et de l’AES, se retrouve dans une position délicate, tiraillé entre solidarité politique et intérêts économiques.
Ces tensions pourraient ralentir certains processus de coopération régionale. L’Algérie, historiquement médiatrice dans les crises sahéliennes, fait désormais face à une méfiance croissante de la part de ses voisins du sud. Le retrait du Mali de l’accord d’Alger en 2024 et la rupture de dialogue autour du mécanisme sécuritaire du Cemoc ont fragilisé les bases de concertation. Dans ce contexte, la fluidité nécessaire à la mise en œuvre du gazoduc transsaharien pourrait être compromise si les divergences diplomatiques persistent.
Quel avenir pour ces projets concurrents ?
L’avenir des deux gazoducs dépendra en grande partie de leur capacité à surmonter des obstacles structurels et politiques. Du côté algérien, la solidité des infrastructures existantes, la proximité avec les marchés européens et l’implication active de l’État offrent des atouts concrets. Cependant, la participation du Niger – au cœur des tensions avec l’AES – pourrait à terme devenir un point de blocage si la fracture géopolitique s’approfondit.
Quant au projet marocain, sa réussite repose sur une diplomatie proactive et la capacité à obtenir des engagements fermes d’investisseurs et de partenaires européens. L’ampleur du tracé, bien que prometteuse sur le plan commercial, implique une coordination régionale complexe. Sans garanties d’achats à long terme et sans financement sécurisé, ce projet risque de rester au stade conceptuel.
L’évolution des équilibres politiques régionaux et la position des grandes puissances énergétiques européennes joueront également un rôle décisif. Face aux incertitudes, les deux projets devront ajuster leur gouvernance et renforcer leurs alliances pour espérer voir le jour.
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