Fin mars 2025, un drone malien de type Akinci, acquis auprès de la Turquie, a été détruit par la défense aérienne algérienne près de la ville frontalière de Tin Zaouatine. Alger a évoqué une incursion dans son espace aérien, ce que les autorités maliennes ont formellement nié, parlant d’une opération en territoire national. Cet épisode a rapidement ravivé les crispations entre l’Algérie et les membres de l’Alliance des États du Sahel (AES), regroupant le Mali, le Niger et le Burkina Faso.
En réaction, les trois pays sahéliens ont rappelé leurs ambassadeurs en poste à Alger. L’Algérie a, de son côté, décidé de fermer son espace aérien aux vols en provenance du Mali. Ce bras de fer diplomatique a mis en lumière des divergences profondes sur les orientations sécuritaires à adopter dans la région sahélo-saharienne, à un moment où l’équilibre régional reste fragile.
L’Algérie mise sur la coopération sécuritaire classique
Dans ce contexte tendu, l’Algérie cherche à maintenir son image de puissance stabilisatrice. Lors d’un séminaire consacré aux défis géopolitiques du Sahel, le général d’armée Saïd Chanegriha a rappelé les fondements de la politique étrangère algérienne, axée selon lui sur le bon voisinage, la non-ingérence et le respect de la souveraineté des États. Il a également souligné que l’Algérie restait déterminée à tendre la main à ses voisins pour construire un espace saharien plus sûr et plus stable.
L’armée algérienne met en avant sa participation au Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC), créé en 2010 avec le Mali, le Niger et la Mauritanie. Ce cadre de concertation militaire, aujourd’hui sous présidence algérienne, promeut la coordination des efforts antiterroristes et le renforcement des capacités locales de défense. Alger insiste sur la nécessité d’une réponse régionale concertée, mais structurée selon des mécanismes établis et sous contrôle étatique classique.
Cependant, cette approche est perçue par plusieurs observateurs sahéliens comme figée et peu adaptée à l’évolution rapide des dynamiques sécuritaires locales. Alors que les groupes armés non étatiques multiplient leurs incursions, certaines capitales du Sahel jugent qu’il faut aller au-delà des outils institutionnels anciens et adopter des stratégies de rupture.
Les accusations s’accumulent et la réorientation de l’AES s’affirme
Les relations se sont encore tendues avec la multiplication d’accusations formulées par les autorités de l’AES contre l’Algérie. Bamako, Niamey et Ouagadougou pointent notamment un soutien présumé d’Alger à certains groupes rebelles touaregs actifs dans le nord du Mali. Ces accusations, bien que non étayées par des preuves publiques, ont alimenté un climat de méfiance, d’autant plus que les rébellions touarègues ont historiquement bénéficié d’un accueil ambigu sur le territoire algérien.
Face à ce contexte, les trois pays sahéliens ont décidé d’approfondir leur coopération. Après plusieurs réunions militaires et politiques, l’Alliance des États du Sahel a été érigée en confédération en mars 2024, dotée d’un secrétariat commun et d’un agenda partagé dans les domaines de la sécurité, de la diplomatie et du développement économique. Cette transformation marque une volonté explicite de s’affranchir des cadres traditionnels dominés par des puissances régionales ou anciennes puissances coloniales.
Le Mali, le Niger et le Burkina Faso promeuvent désormais une prise en main directe de leur destin, basée sur une coopération Sud-Sud, une mutualisation de leurs ressources militaires, et une volonté affichée de dialogue avec tous les acteurs locaux, y compris ceux marginalisés par les approches plus classiques. Leur positionnement est clair : sortir de la dépendance sécuritaire pour construire un ordre sahélien nouveau, par et pour les Sahéliens.
Alors que l’Algérie tente de défendre sa légitimité historique dans la région, l’AES poursuit sa redéfinition stratégique. L’affrontement de visions entre les deux pôles révèle une recomposition profonde du paysage géopolitique au Sahel.
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