Maghreb : une spéculation sur les BRICS prend de l’ampleur

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Alors que les équilibres géopolitiques mondiaux évoluent, les BRICS poursuivent leur transformation. Créé en 2009, ce groupe composé à l’origine du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud ambitionnait une refonte de la gouvernance économique mondiale. À mesure que les tensions entre grandes puissances se sont exacerbées, il a élargi ses rangs : l’Iran, l’Égypte, l’Éthiopie et plusieurs autres pays ont récemment été intégrés ou invités à rejoindre cette coalition. Pour soutenir leur vision, les BRICS ont lancé en 2015 une institution financière commune, la Nouvelle Banque de développement (NDB), conçue comme une alternative aux structures dominées par le FMI ou la Banque mondiale. Forte de 122 projets financés à hauteur de 39 milliards de dollars, la NDB cherche désormais à élargir sa base d’action, et ses regards semblent se tourner vers le Maroc.

Un intérêt discret mais calculé

Au cœur des spéculations, Rabat demeure silencieux. Aucune démarche officielle n’a été engagée, mais les signaux se multiplient. Lors d’un colloque international tenu le 26 mai dans la capitale marocaine, la NDB a pris la parole de manière inhabituelle. Anand Kumar Srivastava, son directeur général adjoint, a déclaré que la présence du Maroc « serait la bienvenue », évoquant une possible adhésion à la banque. Même s’il a souligné que cette décision devait venir de Rabat, cette ouverture publique alimente les hypothèses sur un repositionnement stratégique du Royaume.

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Le choix de rester en retrait ne relève pas d’une absence d’intérêt, mais bien d’un calcul diplomatique. Le Maroc, tout en conservant des liens étroits avec les États-Unis et l’Union européenne, explore depuis plusieurs années des voies parallèles. Pékin est devenu un partenaire incontournable, notamment à travers les projets d’infrastructure liés à la Belt and Road Initiative. Parallèlement, des accords ont été tissés avec l’Inde, la Russie et de nombreux pays africains, traduisant une volonté de multiplier les leviers d’influence.

Rabat entre prudence et ambition

Adhérer aux BRICS, ou même à la seule NDB, serait un acte politiquement chargé. Dans un climat marqué par la fragmentation des alliances traditionnelles, rejoindre un groupement perçu comme un contrepoids à l’Occident pourrait être interprété comme une inflexion de cap. Cette lecture potentielle explique la retenue marocaine, bien que les avantages pratiques d’une telle alliance soient loin d’être négligeables.
La NDB n’est pas simplement un guichet de financement : elle incarne une logique de coopération hors des standards imposés par les institutions financières occidentales.

Pour un pays comme le Maroc, dont les ambitions de développement nécessitent des capitaux et de la marge de manœuvre, cette alternative n’est pas sans attrait. D’autant plus que d’autres pays africains, comme l’Égypte ou l’Éthiopie, ont déjà sauté le pas, montrant que l’intégration dans cette dynamique peut se faire sans rupture brutale avec les partenaires historiques.

Cette prudence stratégique s’inscrit également dans un contexte régional marqué par une rivalité persistante avec l’Algérie, où chaque avancée diplomatique est scrutée comme un mouvement sur l’échiquier maghrébin. L’éventualité d’un rapprochement entre le Maroc et les BRICS ne manquerait pas de résonner de l’autre côté de la frontière, d’autant plus que l’Algérie a elle-même multiplié les tentatives pour rejoindre ce bloc sans succès.

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Une ouverture régionale sous observation

Les efforts algériens pour intégrer les BRICS se sont heurtés à des obstacles notables. Alger avait exprimé publiquement son intention de rejoindre le groupe, misant sur ses ressources énergétiques et sa posture non-alignée pour séduire les membres fondateurs. Malgré une campagne diplomatique active, sa candidature n’a pas été retenue, notamment en raison d’une économie peu diversifiée, d’une contribution financière jugée insuffisante pour intégrer la NDB, et d’un manque de clarté dans ses partenariats économiques extérieurs. Ce revers a suscité des critiques dans la presse locale, certains y voyant une occasion manquée de repositionner le pays sur la scène internationale.

Dans ce contexte, le Maroc pourrait bénéficier d’un effet comparatif : en adoptant une approche plus graduelle, en soignant ses partenariats stratégiques et en restant discret dans ses ambitions, Rabat semble renforcer sa crédibilité auprès des acteurs du Sud global. Une éventuelle adhésion à la NDB, voire à terme aux BRICS, offrirait au Royaume un levier diplomatique supplémentaire face à son voisin, tout en consolidant ses ambitions économiques sur le continent africain.

Reste à voir si Rabat décidera de franchir officiellement le pas, ou si le Royaume continuera à maintenir une posture d’équilibriste, entre diversification des alliances et fidélité à ses engagements traditionnels. Dans ce jeu à plusieurs niveaux, chaque mouvement est scruté avec attention, car il peut entraîner un effet domino bien au-delà des frontières marocaines.

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