Pendant des décennies, la politique étrangère du Sénégal a été bâtie sur des fondations prudentes et mesurées, inspirées par un héritage de stabilité, de démocratie et de prestige. Bougane Guèye, figure politique de l’opposition et président du mouvement Gueum Sa Bopp, rappelait récemment que cette réputation n’est pas le fruit du hasard mais le résultat d’un engagement constant à préserver une certaine orthodoxie diplomatique. Dans cette perspective, toute tentative de réorientation stratégique, surtout vers des régimes militaires ou en rupture avec les cadres régionaux classiques, soulève des interrogations et suscite parfois la crainte d’un virage incertain.
Pourtant, Ousmane Sonko, Premier ministre du Sénégal, s’est récemment rendu au Burkina Faso avec un ton affirmé et une vision qui détonne. Alors que certains redoutaient un isolement diplomatique ou un brouillage de la ligne sénégalaise, cette visite montre au contraire une volonté assumée de redessiner la carte des alliances africaines. À l’opposé d’une prudence passive, Sonko préfère une diplomatie de convictions, prête à traiter avec des partenaires même en dehors des structures comme la CEDEAO, jugées parfois en décalage avec les aspirations populaires.
Entre continuité administrative et nouvelle doctrine politique
La visite au Burkina Faso a permis de mettre en lumière une dynamique bilatérale déjà bien engagée. À ce jour, vingt accords de coopération sont non seulement signés mais également ratifiés entre les deux États. Vingt-trois autres sont en cours de discussion. Ces chiffres révèlent un partenariat qui dépasse les postures politiques ou les conjonctures régionales. Le départ du Burkina de la CEDEAO ne semble pas représenter un frein mais plutôt un catalyseur pour explorer de nouvelles formes de solidarité africaine. Sonko l’affirme : non seulement la coopération se poursuivra, mais elle pourrait même s’intensifier.
Derrière cette affirmation se cache une logique politique bien différente de celle qui prévalait jusqu’ici. Là où certains gouvernements antérieurs misaient sur des approches normatives encadrées par des institutions internationales, le nouveau pouvoir sénégalais choisit de s’appuyer sur la réalité des besoins, des peuples et des souverainetés nationales. L’enjeu n’est plus d’être simplement perçu comme un élève modèle dans les cercles diplomatiques, mais de construire des partenariats ancrés dans la réciprocité, la transparence et la volonté partagée de transformation.
Une redéfinition assumée du leadership africain
Ce déplacement à Ouagadougou, bien qu’inscrit dans un agenda de coopération, a valeur de symbole. Il traduit l’intention du Sénégal d’étendre son influence autrement que par les canaux classiques. Dans un contexte continental marqué par les transitions politiques, les redéfinitions identitaires et les tensions géopolitiques, le pouvoir en place semble vouloir s’affirmer comme un acteur libre, autonome dans ses choix et résolument panafricain dans son approche.
En choisissant de nouer ou de renforcer des liens avec un pays dirigé par une junte militaire, Sonko envoie un message clair : le dialogue entre États africains ne doit pas être tributaire des jugements extérieurs ni des pressions institutionnelles. Ce choix pourrait bousculer certaines habitudes, mais il reflète une volonté de rompre avec des schémas jugés inefficaces ou désuets. Reste maintenant à voir si cette stratégie permettra de consolider durablement la position du Sénégal tout en répondant aux attentes d’un continent en quête de renouveau.
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