Maghreb : fuyant son pays, un célèbre auteur boude un festival

Alger (ABDO SHANAN - L'OBS)

Depuis plusieurs années, la figure de Kamel Daoud divise autant qu’elle fascine. Ancien chroniqueur du Quotidien d’Oran, devenu romancier de renom, il s’est imposé sur la scène littéraire internationale par une plume incisive et des prises de position tranchées. L’écrivain algérien s’est particulièrement illustré par sa critique sans détour du conservatisme religieux et de l’autoritarisme politique dans son pays. Ces interventions publiques, notamment à travers ses essais et tribunes dans la presse française, lui ont valu une notoriété certaine mais aussi une animosité persistante au sein de certains cercles en Algérie, où il est aujourd’hui poursuivi pour « atteinte aux symboles de l’État » et « offense à l’islam ». Depuis la parution de Houris, roman couronné du prix Goncourt en 2024, sa visibilité a encore grimpé – tout comme les risques auxquels il est exposé. Et ces menaces ne se cantonnent plus à l’Algérie.

Un choix dicté par la crainte d’une arrestation

Kamel Daoud a annulé sa participation à un grand rendez-vous littéraire en Italie, la Milanesiana, où il devait intervenir autour de son dernier roman. Cette décision, révélée par Corriere della Sera et confirmée par Le Figaro, découle d’une préoccupation majeure : l’éventualité d’être appréhendé dès son arrivée à Milan, puis présenté à la justice italienne en vue d’un transfert vers l’Algérie. Bien qu’il vive en France et jouisse d’une large reconnaissance, l’écrivain craint qu’un déplacement dans un autre pays européen ne le mette en position de vulnérabilité judiciaire.

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Ce renoncement ne semble pas lié à une impossibilité logistique ou à un désaccord culturel, mais bien à une stratégie de précaution dans un contexte de tension judiciaire et diplomatique. L’annulation de sa venue s’inscrit dans une série de décisions personnelles visant à éviter toute situation susceptible d’entraîner une remise aux autorités algériennes. Elle met en lumière les dilemmes auxquels peuvent être confrontés certains intellectuels, même protégés par la notoriété.

Le prix Goncourt n’efface pas les procédures en cours

Bien que couronné par l’un des prix les plus prestigieux de la littérature francophone, Kamel Daoud demeure exposé à des procédures engagées par les autorités de son pays natal. Son parcours, entre engagement public et création littéraire, n’annule en rien les poursuites judiciaires dont il fait l’objet. Celles-ci persistent et semblent exercer une influence directe sur sa liberté de déplacement.

L’Italie, en tant que territoire extérieur à la France, ne présente pas les mêmes garanties de non-extradition selon l’écrivain. Ce point suffit à transformer une invitation culturelle en une source d’inquiétude. Il ne s’agit plus simplement de présenter un ouvrage, mais d’évaluer le degré de sécurité que peut offrir un pays européen dans un contexte de tensions internationales. Cette situation souligne les limites concrètes du rayonnement littéraire face aux réalités juridiques.

Déplacements sous surveillance et prudence renforcée

L’affaire illustre la complexité du statut d’auteur dans un environnement où la parole publique peut avoir des conséquences judiciaires. L’espace culturel, pourtant considéré comme un lieu d’échange et de liberté, se révèle ici contraint par des logiques étatiques. Pour Kamel Daoud, voyager ne relève plus seulement d’un engagement littéraire ou médiatique, mais d’un calcul stratégique.

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L’annulation de sa participation à un festival ne signifie pas nécessairement un repli ou une censure, mais elle montre que certaines décisions artistiques s’articulent désormais avec des considérations juridiques et sécuritaires. Ce cas soulève, de manière implicite, la question de la protection effective des auteurs poursuivis au-delà de leurs frontières d’origine.

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