Tout juste adopté, le nouveau règlement intérieur de l’Assemblée nationale redistribue les cartes du contrôle parlementaire. Fruit d’un consensus politique rare, ce texte accorde aux députés de nouveaux leviers d’action, notamment à travers la révision en profondeur des règles encadrant les commissions d’enquête. Du seul article qu’elles occupaient jadis, elles s’étendent désormais sur six dispositions précises, encadrant la convocation de témoins, la levée de secrets professionnels et la possibilité de saisir la justice en cas de découverte d’infractions.
C’est dans ce nouvel arsenal qu’émerge l’article 56, désormais au cœur d’une controverse institutionnelle majeure. Il ouvre la voie, sous conditions, à l’audition de magistrats en exercice par les parlementaires. Une disposition que certains voient comme une avancée démocratique, et d’autres, comme une menace voilée sur l’équilibre des pouvoirs.
Deux conceptions de l’indépendance judiciaire
Le premier à sonner l’alerte fut le magistrat Mamadou Yakham Keita, juge au pool financier et judiciaire. Pour lui, faire d’un ministre — même magistrat de formation — le filtre unique entre le parlement et les juges revient à politiser indirectement la protection de l’indépendance judiciaire. Il évoque l’instabilité de cette fonction ministérielle et s’appuie sur le précédent controversé de l’audition du juge Burgaud en France, pour souligner les risques de dérive symbolique. L’audition d’un magistrat en activité devant une commission politique ne serait pas seulement une entorse protocolaire ; elle deviendrait un moment de tension institutionnelle, capable d’ébranler la confiance dans la justice elle-même. Son propos, ferme mais argumenté, s’est rapidement mué en catalyseur de débat public.
Une réponse assumée et structurée du législatif
Le député Amadou Ba, membre de la commission ayant rédigé ce nouveau règlement, a répondu point par point. Il insiste sur les garde-fous prévus : autorisation du ministre de la Justice, exclusion automatique des affaires judiciaires en cours, impossibilité d’utiliser la force publique contre un juge. Pour lui, l’article 56 n’est pas une brèche mais un cadre, pensé pour éviter l’impunité tout en respectant la séparation des pouvoirs. Il cite les exemples étrangers où les magistrats, au même titre que les ministres, sont entendus pour éclairer le fonctionnement de la justice, et non pour s’expliquer sur des affaires en instance. Il rappelle également que ces auditions ne peuvent porter que sur l’organisation du service public de la justice, comme la détention préventive ou l’encombrement des tribunaux.
Si les opinions divergent, le fait est là : le Sénégal expérimente un élargissement des prérogatives parlementaires inédit. Ce débat, loin d’être accessoire, interroge la manière dont le pays entend réguler les rapports entre pouvoir judiciaire et pouvoir législatif à l’ère de la redevabilité renforcée. Ce qui est en jeu, ce n’est pas un article de plus ou de moins, mais la ligne de crête entre transparence républicaine et respect des équilibres institutionnels. Une ligne que le pays s’apprête à explorer, sous les yeux d’une opinion désormais plus vigilante que jamais.
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