Entre 2021 et 2024, le Sénégal a traversé une période marquée par une répression politique d’une intensité inédite depuis les décennies postindépendance. Selon Amnesty International, au moins 65 personnes ont perdu la vie, la plupart sous les balles, et près de 1 000 autres ont été blessées, sans compter les 2 000 arrestations recensées. Ces chiffres ne sont pas que statistiques. Derrière chacun d’eux, une histoire brisée, une famille meurtrie, un espoir interrompu. Malgré cette réalité sanglante, les autorités judiciaires n’ont jusqu’ici engagé aucune procédure sérieuse pour établir les responsabilités, nourrissant un sentiment d’injustice profonde au sein de l’opinion publique.
Un collectif pour briser l’omerta et exiger des comptes
Face à cette inertie prolongée, un nouveau front a vu le jour le 1er juillet : le collectif Izi – pour Initiative Zéro Impunité. Cette organisation regroupe des survivants, des familles de victimes, des juristes et des activistes. Leur objectif : mettre fin au silence institutionnel et obliger les autorités à rendre des comptes sur les actes commis sous le régime précédent. Pape Abdoulaye Touré, lui-même victime de torture et figure connue du mouvement “Sénégal Notre Priorité”, a adressé une lettre au ministre de la Justice. Dans ce courrier, il dénonce l’inaction du Parquet malgré les alertes répétées et les décisions du Conseil constitutionnel. Sa campagne, baptisée KUÑU CII RAAY YA PERTE (« ne sont perdants que les morts »), cible la banalisation des exactions perpétrées sous couvert de maintien de l’ordre. Ce slogan, acide et percutant, exprime une colère sourde contre un appareil d’État resté sourd aux appels à la justice.
Un combat pour la vérité, pas pour la vengeance
Le lancement du collectif Izi ne vise pas à alimenter une dynamique de revanche, mais à garantir la transparence et la réparation. Ses membres demandent l’ouverture immédiate d’enquêtes sur les homicides, les cas de torture, les traitements inhumains ou dégradants, et les disparitions signalées. Ils rappellent que le refus d’agir sur ces dossiers n’est pas seulement une faute morale, mais un affront à l’État de droit. Dans un pays où les séquelles des violences restent visibles, le devoir de vérité devient un impératif républicain. Le collectif promet de continuer ses actions jusqu’à ce que la lumière soit faite sur chaque victime, chaque nom oublié dans les interstices de l’impunité.
Le Sénégal est à la croisée des chemins : reconnaître les erreurs d’hier pour ne pas les répéter demain, ou accepter de vivre avec des plaies ouvertes sous les habits d’une paix apparente. Le choix n’est pas seulement politique, il est éthique.
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