Après cinq jours de discussions intenses, le Dialogue national, tenu du 28 mai au 4 juin 2025, a laissé entrevoir les contours d’une réforme politique d’envergure. Sur les 36 thématiques débattues dans les trois grandes commissions, 27 ont fait l’objet d’un consensus — un chiffre significatif, mais pas encore suffisant pour lever toutes les incertitudes. Si les participants ont trouvé un terrain d’entente sur les piliers du système électoral et les libertés fondamentales, plusieurs nœuds stratégiques restent à démêler. Et c’est désormais au chef de l’État, Bassirou Diomaye Faye, que revient la responsabilité d’arbitrer les sujets sensibles qui ont divisé les participants.
Parmi les points les plus salués, la proposition de création d’une autorité électorale indépendante — la future CENI — marque un tournant. Elle devrait remplacer l’actuelle Direction générale des élections. Dotée d’une autonomie réelle et d’un ancrage constitutionnel, elle serait composée de profils divers : représentants de la majorité, de l’opposition, de la société civile, de magistrats et d’anciens fonctionnaires. La gestion du fichier électoral, l’organisation des scrutins et le règlement des contentieux lui seraient transférés, offrant un contrepoids institutionnel fort à l’exécutif. La volonté de rompre avec une centralisation critiquée depuis plusieurs cycles électoraux a trouvé ici un consensus rare.
Les réformes électorales entrent dans le dur
L’ambition ne s’arrête pas à la CENI. Le processus électoral tout entier est visé par une refonte : révision du Code électoral, mise en place d’un système de parrainage révisé, inscription automatique des citoyens majeurs sur les listes, et encadrement plus strict du financement politique. Ces mesures, saluées à 94 % par les participants, traduisent une volonté d’assainir la compétition démocratique. Dans ce paysage réaménagé, les médias et la justice seraient également appelés à jouer un rôle renforcé et plus indépendant dans le contrôle du processus.
Toutefois, le chantier reste semé d’embûches. Plusieurs points majeurs n’ont pas trouvé de solution consensuelle, à commencer par le mode de scrutin aux élections législatives et territoriales. L’opposition réclame une révision en profondeur, avec un retour vers davantage de proportionnelle, tandis que la majorité se montre plus réservée. De même, le statut du chef de l’opposition, sujet longtemps repoussé, cristallise les blocages : quelle place dans le protocole républicain ? Quels moyens allouer ? Faut-il un encadrement légal ou constitutionnel ? À ces questions, les discussions n’ont pas permis de répondre clairement.
Les arbitrages présidentiels en ligne de mire
Certains éléments, jugés structurants mais sensibles, ont été renvoyés à l’arbitrage présidentiel. Le sort des détenus d’opinion figure parmi les demandes politiques majeures. Si l’esprit du dialogue appelait à l’apaisement, aucune feuille de route n’a été arrêtée sur les conditions ou les modalités de libération. Autre point suspendu : la réforme de la Haute Cour de Justice, instance censée juger les ministres et le président de la République en cas de manquements. Sa composition, son fonctionnement et sa légitimité soulèvent encore de nombreuses réserves.
De plus, la rédaction finale du « pacte de pacification politique » n’a pas été tranchée. L’opposition veut des garanties concrètes contre les arrestations arbitraires et les interdictions de manifestations, là où certains acteurs préfèrent maintenir des marges de manœuvre sécuritaires. En toile de fond, se pose également la question des ajustements institutionnels pour rendre cohérentes les futures réformes constitutionnelles avec l’arsenal législatif existant. Il faudra redessiner les équilibres entre les pouvoirs, clarifier les rôles du parlement et du président, et préciser les compétences de la nouvelle CENI, une fois légalisée.
L’avenir des 27 points de consensus dépend donc de la transformation de ces idées en textes de loi ou décrets exécutifs. L’Assemblée nationale sera appelée à légiférer sur des aspects clés : le statut juridique de la CENI, la refonte du Code électoral, le financement des partis ou encore les garanties judiciaires. Mais sans impulsion présidentielle claire sur les points restés en suspens, ce nouveau socle politique pourrait rester lettre morte. À quoi faut-il s’attendre désormais ? À une phase décisive où la parole devra céder sa place à l’action, et où la crédibilité des institutions dépendra de leur capacité à se réformer sans détour ni demi-mesure.


