Sénégal : Société civile, ce qui va changer (Premier ministre)

La cérémonie d’installation du Conseil national de Pastef a été bien plus qu’un événement interne au parti au pouvoir. Pour Ousmane Sonko, Premier ministre et chef politique de la majorité, l’occasion était trop stratégique pour ne pas adresser les lignes de tension qui traversent aujourd’hui l’espace public sénégalais. En s’exprimant devant ses soutiens, il a choisi de s’attaquer frontalement à un acteur longtemps perçu comme neutre : la société civile. Dans son discours, Sonko a dénoncé ce qu’il considère comme une tentative de prise d’ascendant idéologique et politique par certains groupes se réclamant de cette sphère, au détriment, selon lui, de la légitimité démocratique issue des urnes.

Le chef du gouvernement va plus loin en qualifiant certaines postures d’acteurs civiques de comportement autoritaire, accusant ceux-ci de vouloir imposer un cap aux institutions élues, sans jamais avoir été mandatés pour cela. Une forme de pouvoir parallèle, estime-t-il, qui échappe au contrôle citoyen tout en influençant les orientations majeures de l’État. C’est dans ce contexte qu’il annonce une mesure destinée à bouleverser en profondeur les règles du jeu.

Une proposition de loi sur le financement externe

L’un des éléments les plus marquants de cette prise de parole concerne le futur encadrement des financements alloués aux organisations de la société civile. Le Premier ministre a annoncé qu’un projet de loi sera prochainement déposé à l’Assemblée nationale pour interdire aux structures civiques de recevoir des fonds étrangers, au même titre que les partis politiques. Cette disposition, si elle venait à être votée, constituerait un tournant majeur pour un secteur dont la majorité des ressources financières provient justement de partenaires internationaux.

Ce projet soulève déjà de nombreuses interrogations. Comment les associations locales pourront-elles continuer à fonctionner sans ces appuis extérieurs ? Quels critères permettront de distinguer les organisations concernées par cette interdiction ? Et surtout, quelle sera la portée réelle d’une telle mesure sur les dynamiques de veille, de plaidoyer et d’alerte menées depuis plusieurs décennies par les ONG sénégalaises ? Dans un pays où les structures de la société civile jouent un rôle actif dans l’éducation citoyenne, la transparence électorale, ou encore les droits humains, cette annonce suscite autant d’attente que d’inquiétude.

Un rapport de force en mutation

En prenant cette décision, Ousmane Sonko ne se contente pas de légiférer sur un point technique. Il engage un bras de fer plus profond autour de la définition du rôle de chacun dans l’arène publique. Le pouvoir élu entend reprendre la main sur l’agenda national et réaffirmer sa prééminence sur les acteurs non étatiques. À travers cette posture, le Premier ministre tente aussi de répondre aux critiques dont il fait l’objet, en pointant une forme d’acharnement orchestré par ce qu’il décrit comme des « officines camouflées en ONG ».

Mais ce choix pourrait avoir un effet boomerang. Une société civile fragilisée, privée de moyens, pourrait laisser place à une méfiance accrue vis-à-vis de l’État. À moins que cette mesure, loin de museler, ne pousse les organisations à se réinventer, à s’ancrer davantage dans des logiques de financement local et communautaire. Quoi qu’il en soit, le débat est désormais ouvert. Et il promet d’être aussi technique que politique, entre défense de la souveraineté nationale et préservation des libertés fondamentales.

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