La démocratie, cette porte étroite : le regard du Père Aguénounon sur la crise française

(Les leçons à tirer pour l’Afrique francophone). La crise politique que traverse actuellement la France, marquée par des démissions successives de Premiers ministres et l’absence de majorité stable à l’Assemblée nationale, offre selon le Père Arnaud Éric Aguénounon une véritable leçon de démocratie. Dans un entretien accordé à La Croix du Bénin, l’essayiste et philosophe politique estime que la démocratie, loin d’être un chemin confortable, est une porte étroite qui demande constance, humilité et respect des règles. À ses yeux, la démocratie n’est pas un confort mais une exigence : un cadre où le débat, la contestation et la responsabilité collective constituent les véritables garanties de stabilité politique.

Une démocratie qui se remet en question

Pour le Père Aguénounon, la succession de crises politiques en France illustre la vitalité d’un système démocratique où les institutions fonctionnent malgré les tensions. Loin d’y voir un signe de faiblesse, il considère qu’il s’agit d’un exercice sain du pouvoir dans une société où les contre-pouvoirs demeurent actifs. L’essayiste rappelle que le président Emmanuel Macron a bâti sa carrière sur une stratégie centriste inédite, se positionnant « ni gauche ni droite ». Mais il souligne une évolution importante : arrivé au pouvoir, Macron « a commencé par appliquer une politique de droite », notamment avec la suppression de l’impôt sur les fortunes en 2017, remplacé par l’impôt sur la fortune immobilière.

Selon l’analyste, cette position d’équilibriste atteint aujourd’hui ses limites. Le chef de l’État français, souvent perçu comme distant et sûr de ses calculs, aurait parfois sous-estimé le poids du mécontentement populaire, amplifié par les crises successives – des Gilets jaunes à la pandémie de Covid-19. Le Père Aguénounon identifie trois faiblesses majeures chez Macron : « la condescendance », le fait d’être « trop sûr de ses calculs », et son goût prononcé pour « prendre des risques ».

Malgré tout, l’analyste reconnaît à Emmanuel Macron une forme de courage politique. En dissolvant l’Assemblée nationale après les élections européennes de 2024, il a choisi de remettre son mandat à l’épreuve du suffrage. Mais cette stratégie, censée renforcer sa légitimité, a débouché sur un Parlement fragmenté : le Rassemblement national (124 députés), Ensemble pour la République (93), La France insoumise (71), sans qu’aucun parti n’obtienne les 288 sièges nécessaires pour la majorité absolue. Pour le Père Aguénounon, le président est « courageux mais prétentieux », et cette situation illustre que « la ruse et la stratégie » ne suffisent plus à garantir la stabilité. Une preuve, selon lui, que la démocratie reste une porte étroite : un chemin exigeant qu’il faut passer tout en prenant l’engagement de respecter les règles établies.

Des leçons à tirer pour l’Afrique francophone

L’observateur béninois invite les dirigeants africains à méditer sur le fonctionnement démocratique français plutôt qu’à s’en moquer. Selon lui, certains pourraient être tentés d’y voir la preuve que la démocratie serait « incompatible avec nos réalités endogènes ». Or, selon le Père Aguénounon, « ce qui se passe dans l’Hexagone est l’expression d’une vitalité démocratique et non d’un chaos démocratique ». Il rappelle que « le socle de la démocratie est la dynamique parlementaire ».

Les pays francophones d’Afrique, insiste-t-il, « doivent rester dans la perspective que la démocratie est une école de formation citoyenne et de vie politique engagée ». Le philosophe plaide pour que les prochaines élections au Bénin « se déroulent dans la paix, la justice, la quiétude, et qu’elles soient ouvertes à tous, équitables et inclusives ». Il déplore qu’« une famille reste au pouvoir pendant deux ou trois décennies ou encore plus » sur le continent africain, soulignant qu’« il y a d’autres intelligences qui peuvent apporter leurs pierres à l’édification de la Nation ».

Une crise révélatrice de défis plus larges

Pour le Père Aguénounon, la crise politique française n’est pas isolée : l’impopularité du président est liée à des « facteurs conjoncturels : la guerre en Ukraine, le conflit israélo-palestinien, la conjoncture économique mondiale ». La question de la dette en France, le fait que « la vie devenant de plus en plus chère, il est difficile pour les citoyens d’assurer les charges », et la grande misère qui règne nourrissent une colère sociale qui pourrait, à terme, déboucher sur « une nouvelle Révolution en France si l’on n’y prend garde ».

Mais l’intellectuel nuance : aucun camp politique n’a de solution miracle. « Il faut humblement reconnaître que la politique ne peut pas régler tous les problèmes de la société », souligne-t-il. « Il s’agit d’une question centrale et transversale qui concerne toutes les familles, les ménages, les associations, le monde rural, les entreprises. Et donc, il y a nécessité d’un dialogue global et d’un travail d’ensemble. » (Source : Entretien du Père Arnaud Éric Aguénounon publié dans La Croix du Bénin)

1 réflexion au sujet de « La démocratie, cette porte étroite : le regard du Père Aguénounon sur la crise française »

  1. La principale leçon à tirer de cette crise pour nous africain, le régime parlementaire ne convient pas du tout à nos mentalités et aux urgences qui sont les nôtres.
    Toutefois, c’est des moments forts d’expressions démocratiques et de confrontations d’idées qui doivent nous enrichir.

    Un régime présidentiel, avec un vice président qui s’implique dans la gestion des affaires publiques au quotidien, pas comme au Bénin.

    Malheureusement dans nos pays, et encore au Bénin, les acteurs politiques ne sont pas à la hauteur. Les textes sont contournés et violés de manière flagrante de plus en plus, ce qui laisse à penser à un retour progressif à des pouvoirs autoritaires, sans légitimité et même sans légalité.

    Les élites déçoivent, et sans élite intègre et engagée, pas de démocratie, et la démocratie reste encore le seul modèle politique qui permet la conduite des affaires publique dans l’égalité, la transparence et la paix, conditions essentielles pour le développement.

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