Rivalité au Maghreb : comment la Russie est devenue le centre du jeu saharien

L’équilibre diplomatique entre le Maroc et l’Algérie autour du Sahara occidental a connu un nouvel épisode à Moscou. En l’espace de quelques jours, les deux puissances du Maghreb ont multiplié les échanges avec la diplomatie russe, chacune cherchant à faire entendre sa voix sur un dossier qui reste l’un des plus sensibles du continent africain.

La diplomatie russe courtisée des deux côtés

Le 21 octobre 2025, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, a téléphoné à Sergueï Lavrov à son initiative précise un communiqué du ministère russe des Affaires étrangères russe. Selon le ministère russe des Affaires étrangères, les deux responsables ont évoqué le renforcement du partenariat stratégique entre Moscou et Alger, tout en accordant une attention particulière au programme de travail du Conseil de sécurité des Nations unies, présidé ce mois-là par la Russie. Le communiqué russe précise que les discussions ont porté notamment sur le processus de règlement du Sahara occidental, sujet sur lequel Alger défend le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui.

Cette démarche algérienne intervient cinq jours après une visite officielle à Moscou du chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, reçu par Sergueï Lavrov le 16 octobre. L’entretien a abouti à la signature d’un protocole d’accord créant un comité de travail russo-marocain entre leurs ministères des Affaires étrangères. Ce nouvel organe doit renforcer la coopération politique et économique et assurer un suivi régulier des engagements bilatéraux.

Les deux ministres ont réaffirmé la solidité du partenariat stratégique entre leurs pays, établi en 2016 entre le roi Mohammed VI et le président Vladimir Poutine. Moscou et Rabat affirment vouloir élargir leur coopération à des domaines tels que la pêche, l’énergie et la formation diplomatique. Ce rapprochement a été interprété comme une tentative marocaine d’obtenir une oreille attentive au sein du Conseil de sécurité, alors que la Russie en assure la présidence mensuelle.

Une rivalité ancienne aux résonances internationales

Depuis des décennies, le Maroc et l’Algérie s’opposent sur l’avenir du Sahara occidental, ancienne colonie espagnole que Rabat considère comme partie intégrante de son territoire. Alger, de son côté, soutient le Front Polisario, mouvement indépendantiste sahraoui. Cette divergence a transformé la région en un échiquier diplomatique où chaque geste compte. Les alliances extérieures sont devenues des leviers stratégiques : Rabat s’appuie sur des partenaires comme les États-Unis et les pays du Golfe, tandis qu’Alger entretient des liens historiques avec Moscou et Pékin. Cette rivalité explique pourquoi la Russie, aujourd’hui au cœur de la scène, devient une destination incontournable pour les deux voisins maghrébins.

L’initiative d’Ahmed Attaf de contacter Sergueï Lavrov peu après la visite de Nasser Bourita illustre ce jeu d’équilibre. Moscou, qui entretient des relations solides avec les deux capitales, semble bénéficier d’une position de médiateur implicite, capable d’écouter sans s’engager ouvertement. La Russie cherche à préserver cette équidistance, tout en consolidant ses propres intérêts économiques et géopolitiques au Maghreb.

Un nouvel axe diplomatique en formation ?

Le fait que la question du Sahara occidental ait été évoquée à la fois lors de la visite de Bourita et dans l’appel téléphonique d’Attaf témoigne de son importance dans les calculs régionaux. Pour Rabat, convaincre Moscou de reconnaître la pertinence de son plan d’autonomie renforcerait sa position sur la scène internationale. Pour Alger, maintenir la neutralité russe est essentiel pour empêcher un basculement diplomatique susceptible d’isoler davantage le Front Polisario.

La Russie, consciente de cette rivalité, semble jouer la carte du pragmatisme : multiplier les partenariats économiques tout en évitant de s’aligner sur un camp. Ce positionnement pourrait lui permettre d’accroître son influence dans une région où les intérêts occidentaux demeurent dominants. En quelques jours, Moscou est ainsi devenue le carrefour diplomatique du Maghreb, où se croisent ambitions nationales et stratégies globales. Dans ce jeu à plusieurs bandes, la Russie avance ses pions avec prudence, consciente qu’au Sahara, chaque mouvement est observé comme un signal politique.

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