Dossier spécial conférence nationale

 

Entretien entre le président Kérékou et Mgr de Souza

Dans la nuit du samedi 24 février, à quelques jours de sa clôture, la conférence a failli basculer dans l’incertitude. Cette nuit-là, le président Mathieu Kérékou convoqua le prélat au palais où il tenta de changer l’évolution des événements en sa faveur. Il a fallu la foi et la sagesse de Mgr Isidore de Souza pour contourner les écueils qui pouvaient faire échec à la réussite de cette conférence. Lisez ce document.

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Samedi 24 février 1990, dans la nuit. Mgr Isidore de Souza entre dans le bureau du président de la République. Son hôte, debout, les yeux rouges, la mine grave, lui lance au visage: «Qu’est-ce que vous êtes en train de faire là-bas? Ce n’est pas ça que je vous ai demandé. Quelle est cette affaire-là?» Mgr de Souza explique plus tard: «J’ai été cueilli à froid, assez violemment. Avant même qu’il ne m’autorise à m’asseoir». Cette nuit-là, le président Kérékou avait demandé à voir le prélat à cause du débat sur la souveraineté de la conférence et la force exécutoire de ses décisions.
On s’en souvient. A cette rencontre historique, les délégués se sont demandé si les conclusions de leurs travaux seront prises en compte par le gouvernement militaire révolutionnaire. Une question fondamentale mais délicate au regard du contexte houleux des débats. On a même eu peur au cours des assises au point de mettre la charrue devant les bœufs en mettant en place le présidium de la Conférence avant l’adoption de son règlement intérieur. Le professeur Pierre Métinhoué affirme: «Habituellement, dans une rencontre de ce genre, c’est après l’adoption du règlement intérieur que l’on met en place le présidium. Si cela ne fut pas le cas à la Conférence nationale, c’était précisément à cause du débat sur l’article 3 du projet du règlement intérieur. Cet article stipule: «la Conférence nationale proclame sa souveraineté et la suprématie de ses décisions. Elle a pour mission essentielle de créer les conditions d’un consensus national en vue de l’instauration d’un Etat de droit et du pluralisme démocratique». Sur cette préoccupation sérieuse, l’un des délégués se prononce: «lorsque les pouvoirs d’Etat manifestement désavoués font appel aux forces vives de la Nation, leur conférence est souveraine et les décisions sont exécutoires». Face à la complexité de la question, le présidium que préside Mgr de Souza ajourne le débat, le reprend le samedi 24 février 1990. Cette nuit du samedi a été «la nuit la plus longue», explique Mme Lydie Akibodé Pognon, déléguée à la conférence nationale.
Après cet accueil violent et constatant que Mgr de Souza ne dit rien, le président Kérékou se confond en excuses: «Ah! Monseigneur, excusez-moi, veuillez vous asseoir». Il s’assoit. Et pendant un bout de temps, le président de la République, d’un ton ferme, rappelle à son interlocuteur les buts prescrits à la Conférence: «ce n’est pas pour des décisions politiques. La mission de la Conférence, c’est pour trouver des portes de sortie économiques au pays». Peu de temps après, il se ravise à nouveau. Parce que, une fois encore, Mgr de Souza est resté à l’écouter, sans mot dire. Quelques instants après, encore plus embarrassé par ce silence de l’homme de Dieu, le président reprend, tête baissée: «Ah! Monseigneur, excusez-moi. Mais pourquoi je vous dis tout ça? Pardonnez-moi Monseigneur. Pardonnez-moi. Alors, qu’est-ce qu’on fait maintenant?»
Et le prélat de lui répondre: «M. le président de la République, est-ce que vous savez ce que veut le peuple réuni à la conférence nationale? Est-ce que vous savez ce que veulent les délégués ici et maintenant?».
-«Non».
-«Que vous me donniez votre démission et votre nom sera inscrit en lettres d’or dans les annales du pays».
– «Ah! Non, non, Monseigneur, ce n’est pas possible»
Subitement, le ton du président change à nouveau; mais cette fois-ci, il n’y a plus le dérapage verbal du début. Il faut négocier. Au cours de ce tête-à-tête historique, le prélat a tout de suite compris que rien ne doit être laissé au hasard. Sur injonction du Général, il commence à prendre minutieusement notes de tout ce que disait le président de la République. Soudain, celui-ci l’arrête et lui dit: «Pourquoi écrivez-vous ce que je vous dicte? Vous êtes un président, vous aussi. Vous êtes le président de la conférence nationale. Pourquoi écrivez-vous ce que je vous dicte? Déchirez. Déchirez tout ça». Mgr de Souza s’exécute. Et Pierre Métinhoué explique: «Mgr de Souza venait ainsi de déchirer le texte qui devait mettre un terme aux travaux de la conférence, mais il ignorait ce qui allait se passer, une fois que le chef de l’Etat et lui se seront séparés». Il pose donc la question fatidique à son interlocuteur.
– «Monsieur le Président, que dois-je leur dire ?»
– «Dites-leur ce que vous voulez».
– «Ce que je veux»?, s’interroge Monseigneur.
– «Oui, dites-leur ce que vous voulez», répète le président de la République.
– «Je leur dirai, Monsieur le président, que vous avez dit que la conférence nationale peut continuer ses travaux».
– «Oui, dites-leur ce que vous voulez», conclut le Président Kérékou.

 

48 heures avant la clôture de la conférence

Les travaux sont bloqués. Dans la salle, beaucoup commencent à souhaiter que les choses changent radicalement et définitivement. Certains exigent même la démission du pouvoir en place et de son chef. Les critiques deviennent de plus en plus vives sur le régime du Prpb, sur ses échecs et notamment sur ses graves atteintes aux libertés publiques et aux droits de l’homme. Mgr de Souza a de plus en plus de mal, mais il réussira encore à calmer les ardeurs. Il demande une suspension des travaux et se retire de la salle de conférence, puis s’en éloigne. En ces années où le téléphone cellulaire n’était pas répandu, Mgr de Souza se rend dans la cabine téléphonique la plus proche. Il entre en contact téléphonique avec Kérékou. L’entretien a duré suffisamment long pour qu’on puisse s’imaginer que l’évêque tentait d’expliquer la situation à son interlocuteur ou de le convaincre. A la fin de cette conversation téléphonique, Mgr de Souza déclare: «le président va venir pour assister à la suite des travaux». L’inquiétude se lit sur son visage. Puis brusquement, il se ravise: «je vais le rappeler pour lui dire de ne pas venir, il ne faut pas qu’il vienne». Mgr de Souza rappelle le chef de l’Etat. On lui fait savoir que le cortège présidentiel est déjà en direction du PLM Alédjo. Mgr de Souza, visiblement préoccupé, déclare: «il est parti, je pense que ça va être une catastrophe s’il assiste aux travaux». Un quart d’heure plus tard, le chef de l’Etat arrive sur les lieux. On comprend qu’on est à quelques doigts de passer à une étape plus tragique des événements qui se déroulent au Plm.

Kérékou descend de sa voiture, accompagné de sa garde rapprochée, en tenue de combat. La troupe se renforce au niveau de Plm. L’atmosphère est lourde. A la descente, le président est dans ses jours sombres. Il salue tout le monde d’un ton très sec en ne serrant que la seule main de l’évêque, évitant tous ceux qui étaient autour de lui. Il se dirige vers la salle de conférence. Soudain, une intuition de l’évêque va imprimer un autre cours aux événements. Il lui dit:
– «M. le Président, nous n’irons pas dans la salle de conférence».
– «Pourquoi? Je suis venu pour assister aux travaux. Je me rends dans la salle».
– «Non! Il faut d’abord que vous alliez dans la salle d’attente».
Il y avait une petite salle, en effet, aménagée pour les entretiens en tête-à-tête avec le président du présidium. Et le Général d’insister: «Non, je ne veux pas aller dans la petite salle. Je suis venu pour assister aux travaux de la conférence nationale».
– «Nous irons dans la salle de Conférence, mais donnez-moi quelques minutes car j’ai mis les participants en récréation; laissez-moi le temps de rappeler tous les délégués car si vous allez dans la salle maintenant, vous ne trouverez pas grand nombre».
– «Mais, je vois des gens qui sont dans la salle de conférence».
– «Oui, mais tout le monde n’est pas là, car j’avais suspendu la séance».
A contre cœur, Kérékou accepte finalement de se rendre dans la petite salle. C’est ici que Mgr de Souza réussit à le convaincre au bout de deux heures d’horloge. Que se sont-ils dit au fond, en ces heures pathétiques? Personne ne le sait. Mgr de Souza convoque ensuite les délégués et les travaux reprennent. En ce moment-là, la tension a sérieusement baissé. Et les propos beaucoup plus modérés. C’est ce soir-là que le Général, prenant la parole, prononce cette fameuse phrase qui va être répétée tout au long de l’histoire: «qu’on ne nous dise pas: démissionne!»

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