Dossier spécial conférence nationale

 

 

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Entretien avec Lazare M. Séhouéto, député à l’Assemblée nationale : «Le débat démocratique a reculé considérablement…»

Quels étaient les enjeux de la conférence nationale?

Le premier enjeu était la proclamation de la souveraineté de la conférence. Le Président Kérékou avait convoqué la conférence, mais la plupart des délégués étaient déterminés à ne pas le laisser-faire des résultats, ce qu’il veut. On a réussi à proclamer cette souveraineté, le 25 février. C’était un moment pathétique. Le sentiment était fort que le pays se remettait debout. L’autre enjeu, c’était le contenu des débats. Il était question pour le gouvernement, de collecter des recettes pour sortir le pays de la crise économique. La détermination des délégués était forte d’aborder les conditions politiques qui avaient favorisé l’impasse au plan économique. Il fallait sortir de la mauvaise politique, ouvrir la voie à un nouveau régime où la séparation des pouvoirs –exécutif, législatif et judiciaire– soit assurée, ainsi que les libertés publiques. La conférence avait dégagé une certaine vision de l’homme, de sa dignité, de l’égalité de tous, peu importe les origines sociale, régionale, religieuse. Ces conditions politiques étaient les meilleurs remèdes aux difficultés économiques.

 

Vingt deux (22) ans après quelles leçons tirez-vous?

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Vingt deux ans après, nous avons eu un succès majeur. Dans les discours, il n’arrive plus à l’esprit de quiconque de remettre le régime démocratique en cause. Il fut des moments dans ce pays, déjà en 1961, où on a opposé de façon factice, démocratie et développement. Avant l’intervention des militaires, «pour mettre de l’ordre», les gouvernants avait déjà balisé le terrain. Ce discours revient à la mode. Aujourd’hui, on sent visiblement que des gens ont envie d’enterrer la démocratie, mais ils n’osent pas le dire. C’est là une réussite extraordinaire. Il va être difficile aujourd’hui de dire aux Béninois de ne pas dire ce qu’ils pensent. On peut les empêcher d’être audibles. Mais on ne peut pas les faire taire. C’est un acquis. Mais notre démocratie a cessé de fonctionner en vérité. Et je constate que le débat démocratique a reculé considérablement. Le débat politique, en démocratie, fait appel aux idées, aux visions et aux programmes des partis ou groupes de partis. Aujourd’hui, on n’entend qu’un seul son de cloche qui produit un tel tintamarre, qu’il tue tout débat. Dans le fond, la croupe de discussion qui existe n’aborde pas les problèmes essentiels de notre pays et des citoyens. L’autre problème est la tendance à ne pas accepter qu’il faut une majorité et une minorité, dont les droits doivent être reconnus et promus. La démocratie n’est vivante que s’il y a une majorité et une minorité, chacun des camps, jouissant effectivement des libertés requises, afin que dans leur confrontation, ils éclairent les citoyens. Il n’y a plus de démocratie quand l’objectif de la politique se ramène à rassembler toute la classe politique dans une sorte de kermesse unanimiste. Le peuple ne peut en sortir que perdant.

Il n’y a pas non plus de démocratie quand les trois principaux pouvoirs fonctionnent de manière à perdre leur pertinence propre. Qui peut croire aujourd’hui que l’Assemblée nationale ne fonctionne pas comme un instrument d’aide à la décision du gouvernement? Peut-on dire aujourd’hui que le fonctionnement de la Cour constitutionnelle la crédibilise dans son rôle d’arbitre impartial des conflits inévitables en démocratie, entre les acteurs? En démocratie, le pouvoir arrête le pouvoir. Quel est le pouvoir qui arrête aujourd’hui le pouvoir de Boni Yayi?

 

Que faut-il faire?

Le plus urgent aujourd’hui, c’est de baisser la tension dans le pays. Les citoyens sont dans l’angoisse. L’économie se porte mal. Le pouvoir d’achat des citoyens s’érode gravement. Tous les secteurs essentiels sont plongés dans une décrépitude inquiétante. Jetez un coup d’œil sur l’université qui est censée produire une bonne partie de notre élite nationale. Il faut des initiatives hardies pour redonner confiance à notre peuple. Libérons notre peuple de l’angoisse. Le gouvernement a la plus grande part de responsabilité sur ce chemin. Ramenons le débat de la séparation des pouvoirs. On ne peut pas renforcer la confiance du peuple en démocratie, si la séparation des pouvoirs est fictive. Tant que le citoyen gardera le sentiment que le président de la République ou toute autre personne de son entourage est au-dessus de la loi, tant que chacun peut craindre d’être jeté en prison et y croupir sans fin, sur simple décision du chef, en violation ou en application sélective de la loi, nous ne sommes pas en démocratie. Il faut promouvoir le respect de la loi. La bonne gouvernance commence par le respect de la loi. Mieux, il n’y a pas de bonne gouvernance politique sans bonne gouvernance administrative ou sans bonne gouvernance financière. L’un des grands problèmes qu’il nous faut résoudre nous ramène à une malheureuse donne où, encore une fois, le président Yayi Boni, doit donner le bon exemple. Il s’agit de l’injection massive de l’argent en politique. N’est-ce pas de la corruption? A l’allure actuelle des choses, le Bénin n’aura plus de classe politique, mais des chefs de gangs, pillant allègrement ou vivant du rêve de piller un jour les ressources publiques pour financer leurs campagnes électorales.

Il faut des dispositions réglementaires pour valoriser le rôle de l’opposition, mettre en œuvre les lois relatives au financement des partis et des activités politiques. Au niveau des partis politiques, la formation des militants à la citoyenneté et à la lutte politique s’impose comme une donne incontournable. Nous devrions assainir l’environnement partisan.

Notre démocratie est de plus en plus dévoyée. Elle a besoin de réformes hardies si nous ne voulons pas faire reculer notre pays. C’est la condition même de la prospérité économique. C’est l’une des leçons essentielles d’il y a 22 ans.

Réalisé par Arthur Sélo

 

 

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