Les PPP (Partenariats Public-Privé) : « Profit ou Poison pour les Pays Pauvres » ?

Tirant sûrement leçons de la débâcle du PVI (Programme de Vérification des Importations) qui au-delà du retrait du droit de grève aux douaniers, a abouti plus tard à la rétractation de l’Etat béninois et à la dénonciation du contrat par lui-même signé et attribué par décret à la société Bénin Control S.A …

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du désormais «pestiféré », mais autrefois partenaire sieur Patrice Talon, l’Etat béninois a entrepris des réflexions dans le sens de l’introduction des Partenariats Publics Privés dans la sphère économique béninoise.

En Aout 2010, l’Association Cap Jeunes avait par ma voix, à l’occasion des Rencontres économiques du Cinquantenaire, sensibilisé les collectivités locales, entrepreneurs, banques et autres acteurs économiques, sur le mécanisme des PPP, leurs atouts mais aussi les risques et approches de solution.

Je suis particulièrement heureux de voir ce mécanisme réellement envisagé dans mon pays en 2012 dans le but d’une institutionnalisation, mais le serais encore plus si la profitabilité et l’équilibre financier étaient du côté béninois, chose moins évidente tant dans le principe desdits mécanismes, que dans notre microcosme béninois.

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La notion de Partenariat Public-Privé

Qu’est-ce que les PPP ?

Ce système de passation des marchés publics né en Angleterre et testé depuis l’Ordonnance N° 2004‐559 du 17 juin 2004 en France, s’explique par toutes les formes de coopération de l’administration avec le secteur privé en vue de la réalisation, du financement et de l’exploitation d’un ouvrage ou d’un service public.

Le PPP implique un financement privé et une maîtrise d’ouvrage privée permet en principe aux personnes publiques pour leurs besoins en infrastructures publiques:

  • de ménager la situation budgétaire en souffrance
  • de conserver la trésorerie existante pour des besoins à court terme (année budgétaire en particulier)
  • de bénéficier des savoir-faire, qualité de prestation et surtout ressources financières des personnes privées (préfinancement)
  • une exécution plus rapide que lorsque financée par endettement ou budget national
  • un étalement du coût de la réalisation sur une durée plus ou moins longue de 10 à 30 ans en moyenne, mais pouvant aller jusqu’à un maximum de 70 années.

Comment est rémunérée la personne privée ?

En général, la personne publique, pour rémunérer la personne privée paye à cette dernière un « loyer » sur une durée contractuelle, de manière qu’à l’issue du contrat, la propriété de l’ouvrage est transférée à la personne publique.

La personne privée peut aussi recevoir sa rémunération de l’exploitation de l’infrastructure (selon les cas), et ainsi tirer substantiellement profit des prix et redevances payés par les usagers.

La nouvelle expérience béninoise des PPP et les risques

La décision a été prise d’introduire les PPP dans les habitudes béninoises en matière d’exécution des projets et besoins en infrastructures.

A première vue, rien de plus normal que de danser sur la musique du modernisme dans la gestion publique et l’on devrait applaudir à deux mains cette décision sensée soulager nos budgets fortement perfusés à l’endettement extérieur, et impactés par les actes de mauvaise gestion.

Cependant, derrière l’alléchante apparence de ces mécanismes, leur transposition dans nos économies en développement peut se révéler être le poison suprême pour ces dernières.

Au Bénin, nos craintes auraient été apaisées par le baume de l’abondance des ressources naturelles, ou si nous étions des économies diversifiées, ou encore si nous nous appelions République fédérale du Nigéria, Afrique du Sud, République du Ghana, République du Cameroun…

Bref ces pays sus cités ont abondamment recours aux partenariats public-privé, et leurs situations économiques respectives le leur permettent, quitte à réaliser peut-être à terme échu, sans que cela soit notre souhait, que le coût réel de ces mécanismes leur est défavorable.

Le leurre de la durée

Contrat désormais jugé « exagérément » long en pratique (de 15 à 25 années à minima), les parties en présence, notamment la personne publique, se laissent bercer par la durée et le paiement échelonné, lors de la signature du contrat. Le fait pour la personne publique de ne pas financer le projet en totalité à la signature du contrat, ne doit pas lui faire occulter que la personne privée ne s’inscrit pas dans une optique de philanthropisme.

En effet, en retour de l’immobilisation immédiate de ses fonds propres ou d’un recours à un endettement à grande échelle, la personne privée ne saurait supporter les coûts d’une telle décision, coûts qui sont, logiquement et en toute équité serait-on tentés de dire, refacturés à la personne publique…

Au-delà, le principe de continuité de l’Etat ou de la collectivité territoriale, fait peser les termes et engagements lors de la signature sur la durée, donc de manière intangible.

L’intangibilité des contrats de PPP

Le contrat est la loi des parties dit-on en droit. Le PPP étant un contrat passé entre la personne publique et la personne privée, la présence d’une personne publique ne lui confère pas systématiquement des prérogatives de puissance publique si elle n’est pas attentive en l’espèce.

La récente expérience du PVI au Bénin est encore présente pour nous éduquer à ce propos.

La personne publique engagée pour la durée du contrat ne peut donc, sous peines de pénalités parfois « exorbitantes et suicidaires », se défaire d’un engagement de faire ou de donner sur la durée, au cas où elle réalise à postériori que le déséquilibre entre les obligations/prestations des parties est criard.

Le risque de « surendettement » de la personne publique

Généralement financés par l’endettement classique (Institutions de Bretton Woods, Banques et organismes multilatéraux de développement), les projets d’infrastructures sont par essence les dépenses les plus lourdes pour les Etats et le remboursement de ces concours financiers classiques s’échelonne sur des durées moyennes de 10 à 30 ans.

Les rémunérations des PPP, échelonnés également sur des durées équivalentes, et souvent plus longues, viendraient cohabiter avec l’endettement classique ou chasser cette dernière.

Dans le cas d’un endettement classique, les bonnes performances économiques et de gestion d’un Etat lui ouvrent souvent la voie à un effacement ou une remise de la dette auprès des institutions classiques.

Avec une société privée, il est illusoire de penser à de « telles faveurs ».

Au-delà, les frais liés à l’endettement de ces sociétés privées dans le cadre de l’exécution de ces contrats, ou même les coûts d’opportunité si ladite société recourrait exclusivement à ses fonds propres, seront refacturés au « client ». Avec un endettement classique, la personne publique fait face aux intérêts directs de l’emprunteur, tandis que le PPP le met dans une situation de cumul des intérêts et des marges bénéficiaires de la société privée, ce qui somme toute alourdit la facture.

La tentation est partant, grande pour un pays avec des possibilités d’endettement réduites sur le marché financier international, de contourner ces exigences objectives et recourir à des contrats de partenariat public et privé, qui rappelons le sont passés entre la personne publique et la société privée.

Là où le recours à la dette publique subit la double précaution du respect du ratio d’endettement du pays (étroitement surveillé par les partenaires financiers classiques), et de la ratification parlementaire (obligatoire dans certains cas), le recours aux contrats de PPP peut à contrario être illimité(les personnes publiques peuvent, même si logiquement pas recommandé, signer autant de contrats de PPP, avec autant de partenaires privés qu’il le souhaite), et là réside le nid de l’abus et de l’arbitraire.

Le risque de subjectivité dans le choix des prestataires

Dans les contrats de PPP, le fait que la personne publique ait la maitrise du choix de son cocontractant des révèle un couteau à double tranchant.

D’une part il est légion que le critère du mieux disant n’est pas celui qui gouverne dans les PPP. Il peut donc (et c’est souvent le cas) arriver que le prestataire choisi soit celui qui présente la facture globale la plus lourde, au lieu du mieux-disant comme il est de pratique dans les marchés publics classiques (Cf. Projet Grand Stade Lille Métropole).

Le pouvoir de choix de la personne publique est discrétionnaire et quasiment sans possibilités de recours, comme dans les cas de marchés publics ou le recours pour excès de pouvoir peut être pratiqué.

D’autre part, les autres institutions étatiques, ne disposent d’un pré ou d’un post recours, ou d’une capacité de contrôle de l’adéquation, l’exécution ou la profitabilité du projet.

En bref, tout se passe entre la personne publique et son cocontractant.

La quasi suprématie des personnes privées

Les PPP à échelle d’Etat, sont souvent l’apanage des grands groupes dans tous secteurs économiques.

En termes clairs, les personnes publiques n’ont pas les moyens à consacrer à une infrastructure en l’état actuel de leur budget et sollicitent le savoir-faire et les finances des privés… Le boulevard est donc ouvert à ces derniers pour sécuriser et rentabiliser au maximum leur engagement.

Ce qui n’est que logique et respectueux des objectifs d’une société privée tournée en priorité sur le profit et non la philanthropie.

Les contrats profitent toujours aux privés, mais le risque réside dans la proportion de profitabilité, de manière  ne pas créer un déséquilibre substantiel et nocif aux finances à long terme de la personne publique, finances rappelons le exclusivement alimentées par la contribution économique des agents économiques internes.

L’exclusion macro-économique des PME

Comme indiqué supra, la majorité des PPP est l’apanage des grands groupes dont les bénéfices rivalisent des fois avec les budgets annuels de certains de nos pays africains jugés à revenus intermédiaires. Le recours donc à ces contrats signe le sacrifice des PME locales en principe. Dans le cas béninois, posons-nous la question de savoir combien d’entreprises locales disposent du savoir-faire et des ressources financières pouvant aider à préfinancer sans concours de la personne publique un projet d’infrastructure.

Au-delà donc des PME internes, les grandes entreprises (grandes PME à ma préférence) béninoises ne se verraient pas sollicitées pour de tels contrats.

Dans le contexte qui est le nôtre, du chômage grandissant malgré des mesures balbutiantes dans ce sens, nous ne verrons jamais ces chiffres peu reluisant du chômage se réduire de manière durable avec un recours à des entreprises étrangères, présentes sur le territoire au maximum pour la durée de réalisation de l’ouvrage alors que les loyers à elles versées s’étalent ensuite sur plusieurs années voire décennies.

Les finances internes sortent sans grande contrepartie interne en termes d’emplois et de réinvestissement.

N’occultons pas que, pas d’emplois sans PME et entreprises pérennes en interne.

La perversité du clientélisme et de l’affairisme d’Etat

Peut-être subjectif et prématuré, voire même caricatural, mais réaliste tout de même au regard de la grande implication de la décision et des hommes politiques dans le cadre des PPP.

Nous sommes hélas de grands habitués des « commissions et retro commissions » légales comme occultes, dans les contrats d’Etat. Il est sans nul doute à parier que les frais de cet ordre engagés par la société privée, grèveront forcément sa facture globale.

L’insécurité du climat d’investissement

Il n’est un secret pour personne d’averti, que le climat des affaires et sa fluctuation rendent les investisseurs plus frileux et les plus téméraires d’entre eux beaucoup plus précautionneux et « gourmands ».

Cette « gourmandise » financière a donc un prix, et c’est au travers de la facture que la personne publique, ou du moins ses habitants et populations le ressentent même si c’est à dose homéopathique.

En conclusion, il ne s’agit nullement pour moi, de flageller ou de réfuter l’utilité de ce montage juridico-financier des Partenariats Public-Privé, que j’ai personnellement pratiqués tant en cabinet d’avocat qu’en banque, aux côtés des personnes publiques comme des personnes privées, mais d’alerter sur leur perversité dans notre contexte socio économico politique béninois en particulier.

Les solutions d’encadrement ne manquent cependant pas à la lumière de la pratique éprouvée sous d’autres cieux de ces contrats et des limites qui en ont découlé, solutions que nous présumons connues et exposées par les experts béninois dans le cadre de la rencontre Public-Privé des 29 au 31 Octobre 2012 (sinon prière contacter mon cabinet de conseil…).

J’aurai plaisir, à titre de sensibilisation, à citer Mme Christiane Taubira, actuelle Garde des Sceaux de notre ancien colon, s’offusquant à propos du PPP mettant en présence le Groupe immobilier Bouygues dans le cadre de la construction du futur Palais de Justice, pour lequel elle a d’ailleurs demandé une inspection sur le mode de financement jugé « inacceptable » par elle également, qui déclare que les PPP sont « une manière d’engager l’Etat sur au moins deux générations pour échapper à des crédits aujourd’hui ».

Pour un coût initialement estimé et annoncé de 575 millions d’euros, le PPP du futur Palais de Justice, grèverait en fait lourdement le budget du ministère de la justice français pendant trois décennies estiment les spécialistes de la question.

Les contrats signés en l’espèce prévoient le règlement d’un loyer d’environ 90 millions d’euros annuels à partir de 2017, et cela pendant 27 ans. A l’arrivée, un coût total de l’opération (ratio à votre appréciation) pour l’État, de l’ordre de 2,4 milliards d’euros.

Au-delà donc des déclarations politiques, nous jugerons à travers les actes, surtout que nous voyons mal comment les décideurs publics peuvent se passer de ce genre de montages et de financement des infrastructures publiques.

Eminences grises béninoises génitrices de ce concept en 2012: Quel héritage nous lèguera votre gestion des PPP au Bénin ? Un Profit ou un Poison pour notre Pays Pauvre ?

Gogounou, le 1er novembre 2012
Par Nourou-Dine SAKA SALEY
Consultant juridique et financier

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