L’escargot se mange sans sa coquille : episode 8

Résumé : ayant fui la brigade à la suite du malaise cardiaque du Commandant, Jérémie et Josée se retrouvent dans un bus où les passagers traitent de tous les sujets. Mais voilà qu’une patrouille routière surgit et fait arrêter le bus pour contrôle. Le chauffeur refuse d’obtempérer et traite les gendarmes de nom d’oiseau. 

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Le patron de la patrouille, un sergent, borgne jusqu’à la séduction, fit mine d’avoir été outré par les propos du chauffeur. Il grogna, jura, pointa un index hargneux sur le conducteur et porta son sifflet à la bouche. Un bruit strident griffa aussitôt l’air.

Mais le chauffeur avait d’autres cabris à caillasser. Ayant déjà démarré, il embraya à fond. Le bus bondit, exécuta lourdement une farandole avant de reprendre la route. Piqués à vif, les trois gendarmes se hissèrent à bord de la Toyota qui hurla de fureur, dépassa à nouveau le « dindon fata » et  lui fit une redoutable queue de poisson. D’instinct, le conducteur freina. Quoiqu’ayant consommé vingt ans de conduite dans les bras, il ne pouvait rien dans une telle situation, il n’avait que ses fesses à sauver.

Lancé comme un hippopotame ivre, son véhicule vint s’abattre sur les vendeurs de kpayo alignés le long de la chaussée. Des étals voltigèrent, des jerricanes d’essence se brisèrent et quelques tibias qui avaient moins de zèle à s’esquiver, furent écrasés. Alors, en bout de course, le bus alla s’encastrer le nez dans la rambarde métallique.

Sauve-qui-peut parmi les passagers. Ils hurlèrent comme des singes pris dans un feu, s’agrippèrent les uns aux autres, lancèrent des appels au secours, cherchant, en même temps, à s’échapper. Dans cette confusion, quelques vicieux hasardèrent des mains sur des seins en divagation. D’autres, plus entreprenants, risquèrent leurs doigts crasseux dans les jupons.

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Le chauffeur, lui, avait abandonné volant et véhicule pour solliciter la vitesse de ses jambes. Tout comme Josée et Jérémie qui réussirent à ouvrir la portière-arrière du véhicule, laissant derrière eux des passagers désemparés.

Non loin de là, sur la bande cyclable, des zems attendaient. Les deux amants les rejoignirent, sautèrent sur le siège-arrière de leurs motos et leur indiquèrent leur point de destination. Les motos-taxis s’enragèrent et démarrèrent. Bientôt, l’enseigne arquée, posée à l’entrée de Cotonou, leur souhaita la bienvenue.

Ah, Cotonou ! Cité grouillante de vie et de pagaille ! Cité folle qui ne connaît que le mot « indiscipline » agrippé à tous les secteurs de la vie.

A travers trous, crevasses et ordures, les zems les conduisirent à Saint Martin, un des quartiers pourris d’Akpakpa, au bord d’une voie pavée, dans l’encolure d’une maison lépreuse. C’était là, son antre à la Josée. La jeune femme descendit et y entraina son chéri.

Au fond, s’alignaient des chambres, des espèces de cages à pigeons construites à la militaire. C’était une cour commune avec, à l’extrémité gauche, la chambre de Josée. Des mères de famille, mamelles au vent, faisaient la vaisselle. D’autres, abîmées par le « bodjou », apprêtaient le repas du soir . A voir la façon dont elles accueillirent du regard la nouvelle venue, Jérémie devina l’ambiance qui régnait entre elles.

Dès qu’elle le fit entrer dans sa chambre, Jérémie, sans apéritif, se jeta sur Josée. Le fait de l’avoir salivée pendant un siècle, d’avoir imaginé mille et une positions avec elle, était pour lui déjà suffisant pour aller à la consommation directe. Mais une femme, elle a beau être salope ou nymphomane, quand il s’agit de céder son bifteck, a besoin de petites garnitures. En plus, toute cette histoire à la brigade, l’accident avec le bus, la fuite sur les zems, les émotions, les urines, tout ce qu’elle avait subi exigeait digestion progressive. Mais Jérémie avait le pantalon trop tendu pour être diplomate. Il s’accrocha au fameux gogo, le palpa, le tritura, s’attaqua à ses lèvres et voulut introduire ses microbes dans sa bouche.

Mais la jeune femme le repoussa, lui demanda d’attendre, qu’elle avait besoin de lui poser des questions, qu’ils avaient toute la nuit pour grimper au sommet du Kilimandjaro. A ce moment même, une sonnerie résonna dans son sac à main. Réflexe conditionné. Elle sortit aussitôt son téléphone, en regarda le cadran. Le numéro ne lui disait rien, bof, elle décrocha :

-Allo, crépita une voix, c’est bien, toi, Josée ?

La jeune femme avait du mal à identifier la personne.

-Oui, fit-elle, d’un ton hésitant.

-Excuse-moi, je suis Etienne Gbomitan, un ami de Jérémie. Est-ce qu’il est à côté de toi ? Je peux lui parler ?

Sans comprendre ce que son numéro cherchait chez cet homme, Josée se tourna vers Jérémie et lui tendit l’appareil. L’ex-escroc ne se fit pas prier pour prendre l’appel. Malheureusement, le mobile, réglé sur haut-parleur, répandait tout. Et quelque effort que fit le jeune homme pour rendre discrète la conversation, l’appareil demeura rebelle.

-Etienne, s’énerva-t-il, mais où t’as eu ce numéro ?

-J’arrivais pas à te joindre, je ne sais pas où t’as jeté ton téléphone…Et comment veux-tu que j’aie de tes nouvelles ?

-Bon, maintenant, qu’est-ce que tu veux ?

-Ah, mon cher, t’as la voix brouillée, je sens qu’il se passe des choses. Alors, tu l’as déjà défoncée, la salope ?

-Ecoute, je ne peux pas te parler maintenant.

-Je comprends, mais dis-moi, et ma moto ?

-Elle est…là !

-Je t’ai dit que j’y tiens plus qu’à ma propre vie. Bon, je te laisse, tout en savourant de loin le paquet que tu es en train de lui enfoncer. Bisse pour moi, mon salaud !

Le rire d’Etienne fusa de sa gorge comme une alerte à la bombe. Embarrassé, Jérémie éteignit le téléphone et le remit à Josée. Celle-ci paraissait scandalisée par ce qu’elle venait d’entendre.

-Donc, s’alarma-t-elle, tu as raconté à la terre entière ce que tu es venu faire avec « ta salope ».  

-Ecoute, je…bafouilla Jérémie…

-Tu sais quoi ? Je t’emmerde, toi et le muscle idiot que tu as entre les jambes. D’ailleurs, j’ai besoin de rester seule.

-Comment ?

Elle se déchaussa, cassa sa silhouette en deux et alla se jeter dans le petit canapé en rotin de la pièce. Jérémie sentit aussitôt de l’abattement dans les reins, mais bon joueur, il voulut voir jusqu’où iraient les caprices de la coquine.

-Très bien, fit-il, mais si je dois vraiment m’en aller, faudrait qu’on s’entende sur un truc.

-Quoi ?

-Faut que tu me donnes ma part de l’argent que tu as volé chez le Commandant.

Josée eut un petit sourire ironique. Son échine, telle la coquille de l’escargot en émoi, se hérissa en arc, puis de ses yeux pleins de reflets, elle le fixa.

-Si c’est à ce jeu que tu veux jouer, souffla-t-elle, tu n’as aucune chance. Maintenant excuse-moi, j’ai des choses à faire !

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Cette série est protégée par les droits d’auteurs et appartient à Florent Couao-zotti, écrivain béninois. Toute copie ou reprise sur un site ou sur tout autre support est strictement interdite et peut faire l’objet d’une poursuite judiciaire.

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