Affaire Parfaite de Banamè : non à toute guerre de religions au Bénin

(Réponse aux internautes et aux articles produits dans le journal) Le lundi 24 février 2014, j’ai commis dans les colonnes du quotidien La Nouvelle Tribune un article intitulé « Coexister pacifiquement avec le schisme catholique de Banamè ».

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J’ai lu avec intérêt toutes les réactions que cet article a suscitées et je puis dire que j’ai provoqué un débat. C’est réjouissant : un pays où l’on débat, on l’on discute, où l’on se parle, où l’on s’insulte même, c’est un pays qui vit et qui se donne les moyens de résoudre ses contradictions.

Les réactions ont été les plus nombreuses sur le site internet du journal même. Beaucoup voulaient faire passer l’idée que l’important, c’est que Parfaite et ses fidèles laissent aux catholiques les signes extérieurs qui sont les leurs : et il n’y aurait plus d’histoires. D’autres voulaient montrer comment Parfaite n’est pas ce qu’elle dit être et que son mouvement n’a aucun fondement rationnel, crédible. Moi, je dis que tout cela est sans importance en l’occurrence. Quand il s’agit des croyances, il faut éviter des pièges trop bien connus : tel a raison, tel a tort ; tel est dans le vrai, tel est dans le faux ; tel est dans son bon droit, tel est usurpateur. Tout ce qu’il y a à faire, c’est de prévenir. Ici le rationalisme n’est pas de mise contrairement à ce qu’on pourrait croire. S’il y a des adeptes, des fidèles, c’est qu’il y a des croyances, des sentiments, des passions. L’Eglise catholique romaine est déjà en confrontation verbale avec les fidèles du culte de Banamè, et pas seulement. Des coups leur sont portés ici et là, notamment à Porto-Novo pour ce qui est parvenu à ma connaissance. Ainsi commencent les guerres de religions et il s’agit d’arrêter immédiatement de tels agissements, de dire non dès maintenant à ce fléau. Après, il pourrait être trop tard !

Ce que j’ai voulu dire aux catholiques mes coreligionnaires, c’est de ne pas tomber dans cette dérive. Dans l’histoire, nous en avons assez fait en matière de guerre de religions. Et puis nos différentes pratiques, souvent à l’encontre de ce que nous prescrit l’Evangile, exigent de nous de faire profil bas et de ne pas avoir le front de nous ériger une fois de plus en donneur de leçons.

Schisme ou hérésie?

Dans le journal La Nouvelle Tribune même, j’ai lu deux textes qui, selon toute vraisemblance, étaient des réactions à mon article. Le premier, en date du 3 mars 2014, est signé du Professeur Denis Amoussou-Yéyé. Tout ce que j’ai lu me concernant, c’est ceci : « Contrairement aux inexactitudes débitées par le Professeur Albert Gandonou, il ne s’agit pas à Banamè d’un schisme, […]. Nous sommes ici en face d’une hérésie sanctionnée comme telle par l’excommunication latae sentenciae de l’autorité apostolique. » Le cadre catholique est dans son rôle. Ce n’est pas un schisme dans le jargon de l’Eglise catholique mais une hérésie qui est sanctionnée par l’autorité apostolique… Le cadre catholique que je n’ai pas cessé d’être de mon côté réaffirme que rien n’empêche qu’avec le temps, et en dehors de tout jargon spécialisé, schisme veuille simplement dire séparation. Et je demande en outre à mon coreligionnaire si nous les catholiques ne finirons jamais d’excommunier, d’anathématiser, d’exclure et d’être fauteurs de guerre au nom de notre vérité. Aussi bien, grâce à ce collègue, j’ai pu relire 1 Corinthiens 9, mais je ne me suis pas contenté des versets allant de 1 à 8. J’ai lu tout le chapitre et je n’ai pas vu que l’Apôtre Paul avait une femme ou encore moins une concubine, « comme (…) les apôtres, les frères du Seigneur et Pierre ». Paul pouvait bien faire comme les autres mais il ne l’a pas fait. Ceci ne l’a pas empêché de recommander sans sa première lettre à Timothée que l’évêque soit un homme à qui l’on ait rien à reprocher : « Il faut qu’il soit le mari d’une seule femme, qu’il soit sobre, raisonnable et convenable, (…) ; il ne doit pas être attaché à l’argent ; il faut qu’il soit capable de bien diriger sa propre famille et d’obtenir que ses enfants lui obéisse avec un entier respect » (1 Tim 3, 2-4). Paul de Tarse pouvait vivre de l’autel ou de l’annonce de la Bonne Nouvelle comme les autres mais il a choisi de travailler de ses mains : il était fabricant de tentes. Il avait les mêmes droits que les autres mais il s’en est volontairement privé et c’est ce qu’il dit dans l’ensemble de ce chapitre : « Mais je n’ai usé d’aucun de ces droits, et je n’écris pas cela pour demander à en profiter. J’aimerais mieux mourir ! Personne ne m’enlèvera ce sujet de fierté ! » (1 Co 9 v. 15). Pour le reste, le Professeur Denis Amoussou-Yéyé s’est désintéressé de mon sujet et s’est répandu dans des abstractions creuses, une espèce d’histoire de l’Eglise qui se voulait savante. Le sujet, il faut y revenir, c’est de prévenir toute guerre de religions, non pas dans la Grèce ou la Rome antiques, mais aujourd’hui, ici même au Bénin si voisin du Nigéria de Boko haram.

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Sonnette d’alarme

Le sujet, c’est le deuxième texte qui y vient, l’article du Père Martin Aïnadou, paru dans la livraison du vendredi 7 mars 2014 et intitulé « Quelle croyance pour quelle foi chrétienne ? ». Cette interrogation suffit pour indiquer que tout reste à faire ou à refaire en matière de foi chrétienne. Et c’est pour ne pas dormir sur nos « lauriers » que je tire la sonnette d’alarme. C’est pour cette même raison que je vais proposer aujourd’hui un autre extrait des réflexions actuelles du mouvement « Chrétiens pour changer le monde ».

« Nous réfléchissons aussi et méditons librement sur les malheurs que l’Homo Sapiens a répandus sur la terre, à travers les âges, au nom de Dieu, notamment depuis l’apparition et le développement des religions dites du salut. « Les « nouvelles » religions qui émergent en parallèle [au tournant axial jaspérien] optent d’emblée pour le principe d’universalité : leurs dieux ne sont pas ceux des habitants de la cité, mais de tous les hommes auxquels s’appliquent les mêmes règles éthiques. Leurs messages respectifs [..] s’adressent aux êtres humains de toutes les provenances, de toutes les catégories sociales, qui, indépendamment des déterminismes de la naissance et de l’hérédité, sont identiquement à même de prétendre au salut qu’elles proposent et qui est ouvert à tous. […]  – Il me paraît important d’insister ici sur le tournant majeur que constitue l’introduction, dans l’histoire des religions, de la conversion, un phénomène inédit, impliquant l’abandon des croyances antérieures au profit d’une nouvelle croyance qui les remplace. La conversion résulte d’un choix certes libre, mais radical : sages et prophètes exigeront de ceux qui les suivent une totale fidélité. Une exclusivité qui se révélera rapidement source d’intolérance, chacune des nouvelles voies considérant qu’elle constitue la seule ou la meilleure voie de salut, et qu’elle est donc intrinsèquement supérieure aux autres. L’autre fait inédit découlant de la nouvelle ambition des religions à vocation universelle est l’émergence d’un prosélytisme qui devient parfois agressif. Quelques siècles plus tard, le « choc des vérités » entraînera les premières guerres de religions . » L’universalisme de ces prétendues grandes religions « a séduit les empires, se voyant eux-mêmes universels, et y voyant un moyen d’unifier les peuples différents qui les constituaient  ».  Dans ce contexte, il nous paraît bon de rappeler que le christianisme est l’un des tout premiers promoteurs de la violence au nom de Dieu : « celle-ci, confirme, par exemple, saint Augustin dans Contre Faustus, est un mal nécessaire pour ramener les païens et les hérétiques dans le droit chemin et leur assurer le bonheur éternel  » ! Les Africains ont subi de plein fouet, après d’autres peuples du monde ou en même temps qu’eux, la déstructuration du tissu social que cause inévitablement l’intrusion de ces religions nouvelles, telles que le christianisme et l’islam. Au terme d’un tel parcours au cours duquel on s’est prétendu indument les seuls détenteurs de la vérité et les meilleurs, et au cours duquel visiblement la politique et les intérêts des puissances de domination ont pris le pas sur la mystique et la pureté d’intention des grands réformateurs religieux, il y a lieu d’inventer de nos jours une autre manière de parler de ces religions dont le passif est devenu trop lourd et surtout inoubliable. Les chrétiens, par exemple, ne devraient plus parler à personne en oubliant qu’au nom d’une prétendue « persécution juste  », ils ont perpétré divers saccages, des croisades, l’Inquisition, l’extermination des Amérindiens, la colonisation de l’Amérique et de l’Afrique, l’esclavagisme transatlantique, la négation des valeurs culturelles et humaines des Africains, etc. Ces temps sont révolus mais il faut s’en repentir en faisant preuve d’humilité, en renonçant à l’arrogance des donneurs de leçons, en renvoyant chacun à sa liberté de choix, en renonçant à toute contrainte c’est-à-dire à tout prosélytisme ; et surtout en prêchant par un comportement en adéquation avec l’exemple et l’enseignement du Maître que l’on prétend suivre.

Non au prosélytisme

Les chrétiens devraient se repentir aussi d’avoir rétabli les rites, les sacrifices, les sacrificateurs, leurs pouvoirs de prétendus intermédiaires entre Dieu et les hommes, leurs richesses, tout le formalisme de la religion du chacun pour ses angoisses et ses désirs, dont précisément Jésus a voulu libérer l’humanité. La religion à l’ancienne a été un véhicule grâce auquel Jésus a été porté jusqu’à nous. Mais le temps est venu pour que le véhicule cesse de prendre toute la place au détriment du principal : la mise en application, la mise en pratique, au plan comportemental, des enseignements philosophiques et spirituels du Maître de vie Jésus. Cela ne va pas de soi, loin s’en faut. C’est plus facile à dire qu’à faire. Mais reconnaissons-le, c’est cela le principal, apprendre à aller au-delà de ce que nous prescrivent nos ancêtres et nos traditions, nous atteler à notre perfectionnement spirituel, monter en humanité : « Vous savez fort bien rejeter le commandement de Dieu pour vous en tenir à votre propre enseignement » (Mc 7, v. 8). « Vous annulez ainsi la parole de Dieu au profit de votre tradition » (Mt. 15, v. 6). « Le culte que ces gens me rendent est inutile, car ils enseignent des règles humaines comme si c’étaient mes prescriptions » (Mc 7, v. 7). Un des signes que les temps ont changé, c’est ce propos du pape François : « Le prosélytisme est une absurdité  »  mais aussi cette démarche de son prédécesseur, Jean-Paul II, qui est venu rencontrer au Bénin les grands prêtres du culte Vodun pour leur témoigner son respect et sa considération. Respecter, proposer et ne plus jamais contraindre. Ne pas prétendre, comme, par exemple, Benoît XVI dans son regrettable discours de Ratisbonne , que ce sont seulement les musulmans qui sont enclins à la contrainte, à la conversion de leur prochain par la force.»

Dr Albert Gandonou
Recteur de l’Institut universitaire du Bénin (Iub)

Qui est Parfaite?

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