Kérékou était-il un drame en soi ?

La révolution suffoquait. La grève était déclenchée, générale et illimitée. Cotonou en effervescence. Le peuple dehors et mécontent. Les cadres, ‘‘qui décident de tout’’, lui auraient-ils suggéré de ‘‘marcher sur les cadavres’’ ? Il préféra voir à quoi ressemblait une révolte.

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Il sortit de son palais, et la rue l’accueillit par des jets de pierre. Il interdit à sa garderapprochée de tirer et accepta le refuge que lui offrit lecuré de Saint-Michel.Ce fut l’acte I.

La légende qui, comme le bon Dieu,‘‘sonde les cœurs et les reins’’, ou les coulisses de l’histoire, qui murmurent des choses aux oreilles des curieux et des fouineurs, rapportent qu’á la clôture de la Conférence des Forces vives de la Nation, il avait ‘‘dans sa poche’’ (sic) deux discours possibles : l’un prévu pour rejeter en bloc les conclusions de ladite conférence, l’autre prévu pour les accepter en bloc. Il sortit le second : ‘‘Aujourd’hui mercredi 28 février 1990, nous prenons à témoin le peuple béninois tout entier en affirmant solennellement notre engagement à faire mettre en œuvre de manière réaliste toutes les décisions issues des travaux de la Conférence des Forces vives de la Nation.’’ Ce fut l’acte II.

Les résultats des élections présidentielles de mars 1991 le donnèrent perdant. Il se fit alors invisible et muet, pendant que le pays était saisi d’angoisse et qu’il y avait déjà de la violence. Mgr Isidore de Souza, en sa qualité de président du Haut Conseil de la République, dut s’adresser à lui en pleine nuit, par télévision interposée : ‘‘Oui, monsieur le président, j’ai cherché en vain à vous joindre, à entrer en dialogue avec vous… Votre peuple a besoin de vous entendre, je vous en supplie, sortez de votre silence. Adressez-vous à votre peuple…Vous savez le langage que vous devez leur parler.’’  Il réapparut et sortit de son mutisme : ‘‘ En ce qui me concerne, dans le strict respect des règles du jeu démocratique, j’ai pris acte des résultats provisoires des élections présidentielles tels qu’ils ont été annoncés au peuple béninois par le président du Haut Conseil de la République… J’adresse mes vives et chaleureuses félicitations à Monsieur Nicéphore Soglo qui apparaît d’ores et déjà comme un digne successeur et à qui je passerai le témoin à la magistrature suprême de notre pays dès qu’il sera disponible.’’Ledit digne semourait, et déjà l’on supputait.Ce fut l’acte III.

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Cinq ans plus tard, poussé par d’éminents Béninois chagrins à ‘‘monter en haut’’ à nouveau, mais dans le cadre du Renouveau démocratique, le candidat explicitason principe louvoyantde la gouvernance : ‘‘Si vous êtes prêts, je suis prêt.’’ Il n’est doncpas homme à avoir une vision ni à mettre en avant des opinions à lui. Tantôt autocrate, tantôt démocrate. Anti-héraut, anti-leader. Caméléon et pas lion. Laisser faire, laisser aller. Ce fut l’acte IV.

Vers la fin de son dernier mandat de président démocratiquement élu, il laissa voir clairement qu’il voulait réviser la Constitution pour un troisième mandat. Le peuple se leva et lui opposa une ferme résistance : ‘‘Touche pas à ma Constitution.’’ Il se ravisa, passa le témoin à son successeuret tenta d’esquisser des pas de danse avec lui, comme pour ravaler au loufoque la gravité de l’événement, le sérieux de l’instant. Ce fut l’acte V.

Dans la nuit tragique, où sa disparition feinte avait failli jeter le pays dans le chaos, Mgr de Souza, devenu son ami, lui avait également lancé : ‘‘Je sais que vous vivez actuellement des moments difficiles, où votre cœur se bat contre vous-même, ou vous-même, vous vous battez contre votre cœur…Vous avez été fidèle, restez fidèle et soyez toujours fidèle à votre peuple…’’ Mais que peut être la fidélité pour Le Caméléon ?

Kérékou était-il un drame en soi ? Drame qu’un dramaturged’occasion peut monter en cinq actes, à l’instar des Racine et Corneille, inspirés, eux, par les tragédies antiques ?

Quelle énigme tu fus pour nous, mon Général !Enigme qui nous aura tant marqués

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