Bénin : De la Nécessité de Dépasser Nos Mythes « (Re)fondateurs »

Je suis resté relativement silencieux durant toute la saison électorale parce que je me suis toujours demandé, en toute humilité, si étant aussi loin et suivant de manière assez irrégulière les tourbillons de la politique et de la vie au Bénin, je pouvais vraiment me prononcer sur “la réalité” du pays.

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Maintenant que les élections sont terminées, je peux m’offrir quelques réflexions, un peu détachées certes, qui peuvent sembler, ne pas coller aux “réalités,” comme on dit chez nous pour évacuer les possibilités d’échanges d’idées fructueux, la réflexion et l’audace du contre-courant. Ce sont les hommes et femmes qui font les « réalités », et non le contraire.

De toute évidence, je salue la capacité de notre pays à honorer ses engagements, à faire tout simplement ce qu’il a dit qu’il fera: organiser des élections où chacun s’exprime librement. C’est remarquable dans la marée des trois mandats forcés, des intimidations et violences qui accompagnent le vote sur notre continent.

Je salue la probité (respect des règles) du leadership politique qui, malgré leurs intérêts voraces, ont su garder un certain bon sens, même si la plupart des partis politiques ne fonctionnent pas sur des idéaux, mais plutôt sur des personnalités.

Devrais-je saluer le peuple? Bien sûr. Depuis vingt-cinq ans que les élections se déroulent, il est normal que nous y soyons habitués et que nous le fassions bien. Les valeurs qui ont engendré la conférence nationale en 1990 s’enracinent profondément, même si le vote n’est plus porteur de changement comme à l’époque. Le peuple bouillant mais conservateur, frondeur et fort de ses opinions qu’est celui du Bénin, s’est encore révélé au monde. Plus personne ne peut lui enlever ces attributs.  

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Ainsi nous renforçons avec beaucoup de détermination les mythes fondateurs de la nation, et dans notre cas, ce sont des mythes authentiques et non trompeurs: l’exemple du respect de l’alternance politique, des libertés individuelles, de la liberté de presse, de religion et d’association; l’absence de prisonniers politiques et d’assassinat politique grossier ces dernières années, le sens aigu de la critique sociale. A cela s’ajoute notre capacité à reconnaître et pratiquer nos religions traditionnelles.  De nos jours, Bénin signifie vaudoun, démocratie (après la réputation des coups d’état) et intelligentsia brillante. Cela ne rate pas, quel  que soit le pays dont je foule le sol.

Cependant, je me pose des questions. A propos de religions traditionnelles, le pays est vieux de plusieurs millénaires et elles survivront. Il semble que le Bénin les  intègre bien dans son quotidien et refuse de poursuivre la vieille œuvre missionnaire ou coloniale. Quant aux mythes de la démocratie et des intellectuels, ils collent certes à l’identité du pays, mais je ne suis pas satisfait personnellement parce qu’ils sont des domaines dans lesquels nous nous complaisons et qui ne nous permettent pas de faire des progrès notables.

Une démocratie pauvre

Les dernières élections révèlent un peu la pauvreté de notre démocratie où la vigueur et l’originalité de grandes et fortes idées novatrices pour le pays font défaut. Il semble que l’opposition n’existera pas ou ne sera pas différente des gouvernants, contrairement à ce qui se passe en Amérique Latine par  exemple, où la vigueur du débat et de l’action politiques est intense et crée des bifurcations bourrées d’espoir et de vraies tentatives de rupture. C’est malsain pour une société démocratique qui prétend être en rupture avec le passé de s’accrocher à une pensée presque unique, comme si elle était faite de moutons de Panurge allant tous dans la même direction, avec des chefs différents. Ni Talon, ni Zinsou ne constituent une rupture sur le plan des hommes et sur celui des grandes orientations politiques ou économiques du pays.

La démocratie, pour nous, est devenue seulement la possibilité d’organiser des élections et de les mener jusqu’au bout. En réalité, les cinq prochaines années ont de fortes chances de demeurer celles de la continuité. Ces élections sont aussi la preuve que l’argent, certes nécessaire pour la politique, gangrène de plus en plus notre système politique comme il l’a fait dans des pays comme les Etats Unis, un pays dont la démocratie a refusé le vote, la citoyenneté et les droits civiques à des millions de ses hommes et femmes pendant 135 ans au moins après sa création. Mais dans ce pays, à la longue, les institutions font partiellement rempart contre les dérives.

L’élection de Patrice Talon à ce stade de notre évolution consacre cet état de la démocratie, et c’est maintenant que nous devrions limiter les forces de l’argent  paralysantes de l’idéal démocratique qui, à long terme, renforceront inévitablement les divisions et classes sociales et créeront des conflits qui ne se résoudront que par la violence. Malheureusement, les joueurs et les gagnants actuels ne pensent pas en ces termes. Les inégalités sociales qui mobilisent des mouvements sociaux de par le monde, et l’arrogance et le mépris des classes politique, d’affaires et possédante ne sont pas la préoccupation de nos dirigeants qui balkanisent l’électorat juste pour leurs votes. Par la suite, tout redevient « business as usual », avec son cortège de népotisme, de corruption, d’opacité et de manque de créativité.

Dans cinq ans, on en reparlera

Cela devrait être une fierté d’un état démocratique que ses citoyens soient bien soignés, aient un accès à une éducation de qualité et à une qualité de vie (possibilité de s’exprimer par les arts, les loisirs, le sport, i.e. de pouvoir  bénéficier d’installations abordables pour les plus pauvres). Ces objectifs doivent accompagner la démocratie et la croissance économique, mais il semble que, comme je l’ai entendu quelquefois lors des exposés de projets sociaux, l’objectif est de privatiser tous les secteurs de l’économie.Cette politique, qui a prévalu avec les ajustements structurels en Afrique, a permis à quelques individus proches des pouvoirs de s’enrichir, aux multinationales de s’accaparer des pans vitaux de nos économies, en laissant nos états et ses institutions exsangues et nos populations dans une extrême pauvreté. Nous nous en remettons à peine. L’Etat, nous dit-on, ne développe pas un pays, alors que les exemples des dragons d’Asie et même du Japon, des Etats Unis et de l’Angleterre, nous démontrent qu’un Etat clairvoyant reste au centre du processus.

En ce qui concerne les intellectuels béninois dont je fais peut-être partie, nous nous délectons beaucoup plus dans une illusion de gloire, lorsque des pays tels que le Nigéria, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Sénégal ont une production scientifique beaucoup plus étoffée, diverse et active que le Bénin.

Je ne sais pas si cinq années suffiraient à nous faire prendre conscience que, entre deux élections, nous avons besoin de vision solide, de créativité politique et économique, et non du vocabulaire traditionnel et du langage dominant dont notre classe politique s’abreuve sans se poser des questions. Il faut une certaine clarté, beaucoup d’éducation politique, du travail et de l’audace. Dans cinq ans, on en reparlera.

Simon Adetona Akindes
(Professeur, Department ofPolitics, Philosophy and Law University of Wisconsin-Parkside Kenosha, USA)

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