« Il faut faire la nuance. Cette décision, la cour n’a fait que dire ce qui est prévu. Maintenant, à la portée de la décision, notre université n’a pas trop de professeurs du rang magistral. »Après la décision de la cour constitutionnelle du 13 avril dernier statuant sur la méconnaissance de la constitution par le ministre Djogbénou(à lire ici), le juriste Serge Prince Agbodjan apprécie et analyse la situation au regard du régime d’incompatibilité au Bénin. Joseph Djogbénou cumulais jusque là les fonctions de ministre de la justice et celle d’enseignant du supérieur. Face à la décision rendue par la cour, le juriste pense que c’est désormais une jurisprudence en la matière.
L’intégralité de ses propos
J’aimerai que nous dépersonnalisions le débat. Cela ne veut pas dire qu’avant le professeur Djogbénou, certains n’ont pas pu faire ce qu’il a fait. La cour constitutionnelle, à travers cette décision, nous invite toujours à nous conformer aux dispositions qui fondent l’Etat de droit. Dans le livre « Le juge constitutionnel et l’Etat de droit en Afrique » du professeur Djogbénou, que j’aime bien rappeler aux citoyens béninois, il est dit à la page 135 que, « la justice constitutionnelle est essentiellement juridictionnelle et ne peut avoir que seul support le droit donc le bloc de constitutionnalité« .
Il faut d’abord comprendre que le Bénin de manière générale, a opté pour le non cumul des fonctions. Le régime d’incompatibilité a été prévu à l’article 54 de la constitution à l’alinéa 5 qui dit que les fonctions de membres du gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, de tout emploi public, de toute fonction civile ou militaire. Il ne peut donc pas exercer une activité professionnelle.
Cet article a été édité dans l’esprit que nul n’est indispensable et dans l’esprit que, ce n’est pas parce qu’on a des gens très puissants qu’ils sont partout à la fois. On peut supposer que le constituant en le faisant, ce n’est pas d’une analyse politique de la situation. C’est de dire : « Monsieur, vous êtes membre du gouvernement, vous vous consacrez uniquement aux activités du gouvernement ».
Une décision qui prive l’université d’un enseignant de rang magistral ?
Il faut faire la nuance. Cette décision, la cour n’a fait que dire ce qui est prévu. Maintenant, à la portée de la décision, notre université n’a pas trop de professeurs du rang magistral. Du coup, c’est forcément une difficulté pratique sur le terrain qui fait que les professeurs qui sont très performants, très aimés, pour ce qu’il faut, ils sont obligés, lorsqu’ils vont dans des fonctions politiques, à s’en tenir à la décision de la cour.
Si je me réfère à la réalité de l’université aujourd’hui et si nous restons dans ce régime d’incompatibilité, ces universitaires sont exclus d’aller faire les formations qu’il faut. Si vous voyez par exemple le régime d’incompatibilité au niveau des députés, ils peuvent donner des cours.
De la saisine de la Cour Constitutionnelle
Certainement que des gens ont toujours enseigné sans avoir un problème. Contrairement aux autres constitutions du monde, tout citoyen est compétent pour saisir, au Bénin, la cour constitutionnelle. La seule chose que vous faites, vous signez votre requête, vous donner votre adresse et la cour s’en saisit. Donc on comprend que la cour constitutionnelle n’a pas statué sur la question par le passé, simplement parce qu’elle n’a pas reçu une requête en la matière.
L’auto saisine de la cour, comme on aime le dire, malheureusement, elle est bien limitée. Nous n’avons que deux régimes qui permettent à la cour de s’auto saisir. C’est-à-dire en matière d’élection du président de la république et en matière de respect des droits de l’homme et des libertés publiques.
Un gouvernement mauvais élève ?
C’est vrai qu’il peut avoir un problème par rapport au fonctionnement global. Mais, il ne faut pas aussi faire de la fixation. Nous sommes au début du mandat, donc le mécanisme peut ne pas être très bien maîtrisé par tout le monde. Je voudrais attirer l’attention des uns et des autres sur le fait que c’est normal. Vous avez une session extraordinaire de 15 jours où vous avez 5 ou 6 lois qui passent.
S’il n’y avait pas autant de lois, il n’y aura pas autant de rejets. Ce qui gène un peu, c’est qu’il y a des décisions qui ont été déjà rendues, et qui sont des décisions de principe. Le gouvernement et les différents responsables, qui animent ces structures, sont censés savoir déjà la position de la cour constitutionnelle sur la question. Donc, il y a des pièges dans lesquels le gouvernement peut éviter de tomber.
Serge Prince AGBODJAN
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