Le fascisme, c’est le mépris. Inversement, toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme( Albert Camus)Le président Talon a transmis à l‘Assemblée Nationale un projet de révision de la constitution qui modifie une quarantaine d’articles de la constitution de 1990 et en ajoute une dizaine.De nombreux experts se sont prononcés contre ce projet, notamment les Professeurs Ahanhanzo-Glèlè, Topanou et Aivo.
Le syndicat des magistrats a clairement martelé son opposition à la réduction de l’indépendance des magistrats que scelle le projet Talon – Djogbenou. Le Front pour le Salut la République a initié plusieurs actions de protestation contre ce projet. Des personnalités politiques comme le Professeur Tevoèdjrè, l’ancien député,Sacca Fikara ont également clairement indiqué leur opposition. Le silence des autres sachants –comme les anciens présidents de la cour constitutionnelle – Dossou Robert et autres- ne saurait être interprété comme une approbation ,mais plutôt comme un signe de réserve .
Continuant dans son style de « forcer un peu », le Président Talon oppose à ces oppositions un mépris souverain. Son ministre de la justice, imbu de son titre d’agrégé, balaie d’un revers de la main les observations de ses collègues avocats, qui ,selon lui ne seraient mus que par la déception de n’avoir pas été bénéficiaires des 10 millions alloués aux membres de sa commission. Ce mépris souverain du peuple, de son opinion, de ses réactions s’est déjà illustré dans l’affaire des déguerpissements.
Le mépris du peuple et de son opinion semble être à la base de la philosophie politique du président Talon, mépris qui fonde sa proposition de mandat unique qu’on pourrait traduire de façon simple en ces termes « que m’importe ce que vous dites ou pensez, je suis élu , je fais ce que je veux et vous n’y pouvez rien. Vous n’avez ni sanction, ni recours.Ma volonté , c’est celle de Dieu sur terre ou plus trivialement « causes toujours » ». Une autre version plus cynique et plus corrosive du fameux « YINWE » (c’est moi) du président YAYI.
Au -delà des avis d’experts, il est important que les citoyens lambda –comme nous- expriment clairement leur opinion –négative en l’espèce sur ce projet-, même si ce président continue de mépriser royalement ces opinions avec son slogan « nous on avance » ( peut être à reculons dans le mur).
Révision ou nouvelle constitution
Le gouvernement est conscient de l’importance de cette question et pour cela, il a fait écrire dans l’article 2 du projet soumis au parlement « : La présente loi constitutionnelle ne constitue pas l’établissement d’une nouvelle Constitution ».
Mais comme l’a souligné le Pr Topanou dans son article, il ne suffit pas de dire qu’on n’écrit pas une nouvelle constitution pour qu’il en soit ainsi.
La jurisprudence de la cour constitutionnelle a établi ce qu’elle a appelé le socle constitutionnel qui ne peut être soumis à révision . Ce socle inclut –entre autres- la durée et le nombre des mandats, le régime présidentiel, la forme républicaine de l’état etc… ( voir DCC 06-74 du 8/7/06 et DCC 11-067 du 20/10/11).
Ce socle peut-il être changé dans le cadre de la constitution actuelle ?
La réponse de la cour est NON. Pour changer des éléments du socle constitutionnel il faut une nouvelle constitution.
La raison d’être de la position de la cour est que ce sont là des éléments fondamentaux qui sont issus du consensus établi par la constituante auto-proclamée de 1990, la conférence nationale souveraine.
Cela signifie-t-il que le peuple souverain ne peut changer la constitution ?
Certes NON. La souveraineté appartient au peuple, et en tant que tel, le peuple peut changer de constitution , dans le cadre d’une nouvelle constituante qui dégagera un nouveau consensus.
Mais la souveraineté déléguée au parlement et au président ne s’étend pas au changement de la constitution, mais à la mise en œuvre de politiques dans le cadre de cette constitution.
Des révisions sont certes possibles et nécessaires, mas celles-ci ne sauraient remettre en cause le socle constitutionnel, ni constituer un recul du point de vue des principes constitutionnels comme la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, la liberté des citoyens …
La nécessité d’une nouvelle constitution est généralement dictée par des situations de crises aiguées, de guerre, etc… La situation du Bénin en 1989 s’apparentait à cela. Que la situation actuelle du Bénin appelle une nouvelle constitution peut être débattue. Si on répond par l’affirmative, il faut alors réunir une constituante, qui produira après larges débats nationaux un nouveau projet, lequel sera soumis à référendum. La cour constitutionnelle, le parlement et le gouvernement devraient probablement être dissous et réélus après l’adoption de la nouvelle constitution. Il s’agit là –on le voit- d’une entreprise sérieuse et complexe, dont la nécessité ne s’impose forcément à tous, même si l’opportunité d’assises nationales pour repartir sur des bases saines après 27 ans de renouveau a un attrait certain.
Révision constitutionnelle et instabilité institutionnelle
Dans son projet de révision, le gouvernement prévoit la limitation du nombre de mandats présidentiels, l’allongement de la durée des mandats du président, des députés et autres élus locaux.
Imaginons un instant que de telles dispositions soient adoptées par le parlement ou par un référendum organisé par le gouvernement.
Pensons- nous vraiment que cette disposition s’imposera aux futurs présidents ?
La première des choses que fera le président suivant sera d’initier lui aussi sa révision constitutionnelle, parce que –estimera-t-il avec des raisons qui peuvent se défendre tout aussi bien que celles invoquées par le président Talon- un mandat de 6 ans ne suffit pas à mettre en œuvre la politique et les transformations qui lui paraissent nécessaires…
Peut -être proposera-t-il un mandat unique de sept ans !
Peut- être proposera- t-il deux mandats de sept ans !
Et qu’adviendra-t-il si à l’issue des deux mandats, comme le président Kagame, il estime avoir encore du pain sur la planche ? L’assemblée qu’il peut contrôler n’hésitera pas alors à lui voter une révision–avec ou sans référendum opportuniste- qui étend son mandat comme le souhaitait secrètement le président YAYI ( au vu de ses déclarations à Malabo )
Permettre le changement des durées et nombre de mandats par un président et une assemblée, c’est ouvrir la boite de Pandore qui permettra aux futurs présidents de changer à volonté le nombre et la durée des mandats.
Une jurisprudence -négative – aura été établie
Personne ne pourra –légitimement- interdire aux futurs présidents ce que l’on aura permis à Talon et Djogbénou et alors ce sera la porte ouverte à l’instabilité institutionnelle. Personne ne saura à l’avance pour combien de temps un président est élu et si oui ou non il peut être réélu. Idem pour les autres élus.
Problèmes inexistants et mauvaises réponses aux problèmes existants
Le président Talon s’est présenté aux élections avec en toile de fond ses conflits personnels avec le président Yayi. Il en a conclu que la « persécution » dont il s’est cru l’objet découlait des pouvoirs excessifs concentrés dans les mains du président Yayi
Il y aurait beaucoup à dire sur la collusion entre les présidents Yayi et monsieur Talon et sur la réalité des complots dont ils s’accusent mutuellement, mais tel n’est pas notre objet.
Ce qui est inacceptable, c’est que l’avenir de notre pays, le mode d’organisation de notre société soit défini à partir de conflits de personnes sur fond de vendettas.
Aucun régime n’est parfait, et les constitutionnalistes débattent sans fin des mérites respectifs des régimes présidentiels, parlementaires, ou semi-présidentiels, chaque modèle ayant ses succès et ses échecs.
Mais il n’y a aucune preuve tangible que les problèmes essentiels du Bénin découlent des pouvoirs excessifs du président ou de son désir de se faire réélire.
La pratique actuelle du président Talon qui après avoir juré ne vouloir faire qu’un mandat, a érigé le clanisme en mode de gestion de l’Etat, établi l’affairisme au sommet de l’Etat, avec des marchés de gré à gré attribués aux amis et fils d’amis ( exemple Safran et Kagnassi), des ambassadeurs nommés dans la famille ( Vatican, Maroc, Brésil etc…), des contrats avec les sociétés du président et/ou sa progéniture ( PVI avec Benin Control) montre à suffisance que la limitation du nombre de mandat n’est pas un antidote au clientélisme et au népotisme.
Certes le fonctionnement des institutions peut être amélioré et les contre-pouvoirs renforcés.
Mais les réponses offertes par la loi de révision sont mauvaises. Citons de façon non exhaustive :
- Les pouvoirs du parlement au lieu d’être étendus sont réduits : si ce projet passe le gouvernement pourra engager notre pays pendant des générations –accords de prêts-sans l’accord du parlement.
- Dilution du contrôle parlementaire avec la primauté accordée aux corporations sans légitimité politique ( désignation de juges constitutionnels par les avocats !)
- L’indépendance des juges est réduite : les magistrats du siège au lieu d’être inamovibles le seront seulement pour une durée limitée, les exposant aux pressions du gouvernement qui nomme !
- L’impunité renforcée avec des garanties supplémentaires offertes aux présidents et ministres en matière de poursuites pénales notamment par rapport aux garanties de présentation ( garde à vue, détention provisoire) mettant ceux-ci au-dessus de la loi pour des crimes que la loi punit !)
Au total, il nous paraît que le projet de révision constitutionnelle soumis au parlement consacre une violation de la souveraineté populaire, des reculs en matière d’équilibre des pouvoirs et ne comporte aucune avancée en matière de protection des libertés ou de punition des crimes économiques et politiques par les gouvernants.
Il semble offrir un appât aux députés et à leur partis en insérant dans la constitution des promesses de financement public déjà prévues dans la charte des partis et qui sont du domaine de la loi.
Il serait opportun que les députés rejettent ce projet de la loi portant révision de la constitution, afin de nous éviter une crise institutionnelle qui naitrait du rejet fort probable par la cour constitutionnelle, ou une crise sociale qui naitrait du rejet par la société si elle devait passer avec « un peu de force ».
Il sera temps de faire ensuite, une vraie révision limitée de la constitution, d’adopter des lois et décrets d’application sur la charte des partis, les modalités du financement public et la lutte indispensable –mais passes sous silence dans la projet Talon-Djogbénou – contre la corruption de la politique par l’argent.
Jean Chrisostome F. Houessou
Consultant Atlanta (Usa)
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