Virus Lassa au Bénin: témoignage du chef service des urgences de l’hôpital de Papané

«Il y avait un médecin, un homme de Dieu, le docteur Kotchoffa. Il nous traitait, et je peux dire que c’est à cause du docteur Kochoffa que Vito –un infirmier également rescapé du lassa Ndlr- et moi, sommes vivants». Ce témoignage du jeune aide-soignant Francis Dossoumon de l’hôpital Saint-Martin de Papané, qui a survécu à la fièvre hémorragique à virus Lassa en 2016, est revenu chez d’autres rescapés et acteurs de la riposte à cette épidémie, dont la fin a été déclarée le 14 avril 2017 par le ministre de la santé, Dr Alassane Seidou. Dr Jacques Emalin Idjakotan Balogoun Kotchoffa, de son nom complet, ce «médecin et homme de Dieu» dont il s’agit, est en réalité le Chef service des urgences médico-chirurgicales de l’hôpital Saint-Martin de Papané (l’hôpital de zone de Tchaourou).

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Nous avons rendez-vous avec lui cet après-midi du mardi 20 juin 2017, au Centre hospitalier départemental du Borgou à Parakou, où il est de passage. Alors que nous nous attendions à un homme grand de taille, Delphine Kponou, responsable d’hygiène et assainissement avec qui nous venions de terminer une interview, balance sa main droite et indique : «C’est le Dr Kotchoffa».

Notre regard promptement tourné afin de découvrir le célèbre médecin, croise celui d’un jeune homme effacé, vêtu d’une tenue locale ‘’Bomba’’ verte, avec des sandalettes aux pieds. Il s’avançait vers nous comme un « vulgaire » planton. «C’est bien lui !» s’exclame Delphine Kponou, vue notre réaction. L’intéressé a lui-même vite remarqué notre surprise en le voyant venir. Il sourit et accepte sans protocole de nous raconter son expérience avec l’épidémie de la fièvre à virus Lassa.

C’est une expérience de laquelle l’hôpital a tiré d’énormes leçons et pris beaucoup de mesures pour d’éventuels cas de fièvres hémorragiques. Interview.

Lnt : Tout au long de nos entretiens avec les survivants de la fièvre hémorragique à virus Lassa dans la zone sanitaire du Borgou, le nom Kotchoffa est revenu maintes fois. Beaucoup nous ont dit qu’ils vous doivent la vie. Quel sentiment vous anime lorsque ces gens que vous avez traités et sauvés d’un mal aussi dangereux, font de tels témoignages?

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Dr Kotchoffa : Je suis animé d’un sentiment de joie. Mais avant tout, je rends grâce à Dieu parce que nous n’aurions rien fait sans la divine providence. Mais au-delà de tout ça, il y avait des précautions à prendre en son temps et les mesures qui devraient être prises ont été prises ; puis Dieu nous a accompagnés.  Nous avons connu des décès, mais d’autres ont résisté à la maladie… Aujourd’hui c’est de l’histoire ancienne.

Quelle a été votre implication dans tout ceci?

Cette épidémie a été  déclarée dans la dernière semaine du mois de janvier 2016, et le Bénin a connu ses premiers cas à Tcahourou. Cette déclaration tient du fait que c’est le personnel de l’hôpital qui a été touché.  On a assisté a toute une série de cas, l’un après l’autre. En tant que chef service des urgences, j’avais eu le privilège de les recevoir, et je les suivais pour des affections ordinaires. Mais un seul symptôme persistait et revenait à la charge toutes les fois : la fièvre. Une fièvre qui ne les quittait pas. C’est de là que nous avons procédé à une recherche plus approfondie, et nous en sommes arrivés à la déclaration de cette épidémie. Je ne les ai pas quittés, je crois que je n’avais pas le choix. Je suis resté avec eux puisque je les prenais en charge.

Mais on a également appris que ces agents malades ont été abandonnés par leurs collègues.

La déclaration de l’épidémie a déclenché tout un scandale au sein du personnel soignant, avec des réactions diverses. Certains ont cessé de travailler, d’autres ne rendaient plus visite à leurs collègues (ceux qui ont pris en charge le cas index -le premier cas en provenance de la frontière du Nigéria-). Ceux-là ont été victimes de stigmatisation.

C’est en période de maladie qu’on a le plus besoin de ses proches ; mais il n’y avait plus cela. Une autre particularité de cette situation, c’est que l’hôpital n’était pas assez préparé d’un point de vue matériel et technique, car les outils nécessaires pour prendre en charge une fièvre virale hémorragique nous manquaient. Nous avions fait face en régime standard ordinaire, tout en prenant d’énormes risques. C’est pourquoi je dis que Dieu nous a accompagnés, sinon personne ne serait resté vivant, même pas moi.

Quelle a été l’ambiance de travail ?

Le ministère également a réagi avec les partenaires, l’Oms et l’Unicef. Le jour même de la déclaration, ils sont venus nous voir, et nous avons reçu du matériel. Mais nous manquions de formation. Le ministère a rassemblé les élites qui avaient participé à la gestion des fièvres virales hémorragiques dans les autres pays : Guinée, Sierra Léone et Libéria, pour nous appuyer.

Cette équipe a pu former et organiser le personnel. On a délimité une zone et tracé un itinéraire pour les malades, afin de contrôler l’infection et rompre la chaine de contamination. Pendant que je m’occupais des malades suspects, probables et confirmés, le reste de l’équipe qu’occupait des nouveaux cas de malades. Une équipe de la zone sanitaire travaillait en communauté, et nous avons également mené des actions de sensibilisation au niveau de toutes les structures, écoles, églises, etc. concernant les mesures de prévention. C’est toute une équipe bien coordonnée qui a fonctionné.  Nous y sommes arrivés, tous ensemble.

Peut-on dire aujourd’hui que l’hôpital de Papané est un centre de référence pour le traitement de la fièvre hémorragique à virus Lassa ?

Je crois qu’en matière de fièvre hémorragique, nous avons beaucoup appris, et de nombreuses précautions sont désormais en vigueur dans cet hôpital. On n’est jamais totalement prêt. Mais là, nous sommes quand-même assez avertis et outillés pour que dès les tout premiers signes, nous puissions alerter pour une bonne prise en charge de la maladie, et surtout pour éviter une propagation à toute la communauté.

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