(Intégralité de l’interview accordée par Robert Dossou à Afrikchrono.tv et lanouvelletribune.info) La situation pré-électorale préoccupe plus d’un. Nous avons à plusieurs occasions sollicité sans succès, un entretien avec Robert Dossou qu’on ne présente plus. L’ancien Bâtonnier et ancien président de la Cour Constitutionnelle tenait visiblement à garder une certaine réserve pour des raisons qu’on peut comprendre aisément. Quel ne fut pas notre étonnement lorsqu’il nous confia au téléphone dans l’après-midi de vendredi dernier, au lendemain de la fameuse interview télévisée du chef de l’Etat qu’il s’apprêtait à recevoir nos confrères de Afrikchrono.tv et qu’il voulait associer lanouvelletribune.info, à l’entretien.
C’est avec empressement que nous nous rendîmes à son domicile sis dans le quartier résidentiel dit de l’ancienne radio nationale, à quelques encablures de la résidence privée du chef de l’Etat et de celle du président de l’Assemblée Nationale. L’occasion était belle pour aborder les sujets brûlants de l’heure, au nombre desquels, le récent entretien télévisé du chef de l’Etat.
Vous avez suivi sans doute avec intérêt, comme tous les Béninois, l’entretien télévisé du chef de l’Etat ce jeudi 10 avril 2019. Quelle lecture en faites-vous?
Personnellement, j’ai été satisfait de l’interview du chef de l’Etat.
Ah bon ? Vous avez été satisfait, dites vous ?
Oui, je l’ai été. Parce qu’après les petites précautions d’usage qu’il a prises au début, globalement, l’entretien montre qu’il assume la situation. Cela montre que les éléments qui s’étaient révélés à nous au travers de certaines lois qui ont été votées, confirment l’impression d’ensemble que nous en avions. Le train de lois qui se sont succédé notamment le code électoral, la charte des partis politiques, la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature, les lois sur les grèves, toutes ces séries de lois participent d’un projet bien pensé, bien ordonné et qui se tient. Et qui n’est pas le projet de « X »ou de » Y » mais bien celui du chef de l’Etat. Donc, le chef de l’Etat n’a pas fait de dérobade. Mais mon impression est que ce programme est un programme qui détricote tout ce que nous avons fait, depuis notre indépendance en 1960, pour construire patiemment à coup d’épreuves pour certaines personnes. Aujourd’hui, ceux qui n’étaient pas nés ne peuvent pas savoir ce que les uns et les autres ont dû endurer pour que tout doucement nous en arrivions à l’Etat de droit. Toute la question est là: l’Etat de droit et la démocratie. Aujourd’hui , j’ai l’honnêteté et le devoir de le dire, nous ne sommes plus en démocratie en République du Bénin.
Dès lors que la presse ne se sent plus libre du tout, dès lors que les lois que nous avons façonnées pour que la Télévision d’Etat et la radio d’Etat soient ouvertes à tous les courants pensées, que ces lois ne sont plus appliquées et que l’organe gardien que nous avons placé, la Haac n’est plus un gardien de la liberté de la presse. Je dis que dès lors qu’il n’y a plus liberté de presse, que les voies et moyens par lesquels le citoyen peut manifester sa joie ou son mécontentement, sont fermés, on n’est plus en démocratie. Dès lors que la séparation de pouvoirs n’est pas respectée, on ne peut pas dire qu’il y a démocratie. Il faut préciser que la séparation des pouvoirs n’est pas et ne doit pas être interprétée comme des pouvoirs qui doivent se regarder en chiens de faïence ou se tourner le dos. Parce que la séparation des pouvoirs n’exclut pas une certaine collaboration de pouvoirs.
M.le Président, pensez vous, comme certains de nos compatriotes que l’impasse électorale que nous vivons provient des incohérences entre les deux lois que sont le code électoral et la charte des partis ?
Il n’existe pas de loi neutre. Et il n’existe particulièrement pas de loi électorale neutre. Le code électoral a été façonné pour conduire au résultat que nous avons aujourd’hui, l’exclusion de certains. Une armée populaire de juristes de tout acabit peut défiler sur les écrans monopolisés de l’Etat ou les écrans bloqués de télévisions privées, cela ne peut pas convaincre. Parce que nous ne sommes pas les géniteurs de la démocratie. La démocratie a un certain nombre de paramètres communs à toute l’humanité entière. Les spécificités de mise en oeuvre de cette démocratie d’un pays à l’autre ne doivent pas exclure les paramètres globaux et communs de l’humanité.
Quant à l’Etat de droit, il suffit de regarder notre système judiciaire aujourd’hui. Pour ceux qui s’y connaissent, quand on regarde l’instrumentalisation dont il est l’objet il y a de quoi s’inquiéter pour l’avenir de notre pays. Mais je suis rassuré que le système qui est là n’est pas séparé du chef de l’Etat. Il l’a assumé hier (jeudi 11 avril 2019 lors de sa sortie médiatique, Ndlr). Au lendemain de notre indépendance, notre génération a été confrontée à une théorie dont on nous a rebattu les oreilles dans toutes les facultés, dans les écoles et dans les cercles politiques africains: c’est le concept de développement. « Il faut développer nos pays », disait on. Et sur ce fondement, on a créé des partis uniques constitutionnalisés ou dominants partout.
Mais, Nelson Mandela a dit que « ce qui se fait pour moi , sans moi, est contre moi». Moi je suis très heureux quand on a réformé l’aéroport de Cotonou. Je suis content quand je vois qu’il y a de l’amélioration au niveau de la présidence avec les grilles qui sont en cours de construction. Je suis très heureux quand je vois ces derniers jours les artères principales de Cotonou propres 24 heures sur 24. Je serai très heureux de bien manger et boire et voir tout le monde bien manger, bien se loger, bien se vêtir. Mais si la liberté, la dignité de l’homme n’est pas au rendez-vous, moi je ne suis pas satisfait. Donc, si un régime ne comprend pas qu’on ne doit pas mettre en place, au nom du droit et par le droit, un système qui brise l’homme, qui l’empêche de s’exprimer librement et qu’on casse les moyens par lesquels le citoyen peut s’exprimer librement, on a beau le nourrir, le vêtir, lui rendre belle la ville, il manquera quelque chose. Et ce quelque chose qui manque sera source de tension.
Le président lors de son entretien a déclaré que faire usage de l’article 68 de la Constitution, c’est arracher une partie des prérogatives de l’Assemblée nationale. Partagez vous son avis ?
Je préfère ne pas réellement intervenir sur ça. La seule chose que je dois dire est qu’il ne me paraissait pas du tout impératif que le président de la République fasse usage de l’article 68 de la Constitution. La question est essentiellement politique et c’est par le canal politique qu’elle pouvait être réglée. Mais comme la volonté politique n’est pas au rendez-vous, cela ne pouvait pas marcher. Dans ce pays, nous avons adopté la Lépi (Liste électorale permanente informatisée) depuis 1999. Mais à l’approche de chaque élection, le parlement votait une loi pour suspendre la mise en oeuvre de la Lépi et retourner à la liste manuelle d’avant. On l’a fait pendant pratiquement 10 ans. Alors, le parlement aurait pu simplement prendre cette voie. Mais la plupart de ceux qui votent les lois électorales le font avec des calculs qui les arrangent.
Pourquoi nous n’avons pas stabilisé nos lois électorales depuis bientôt 30 ans que nous avions terminé notre conférence? C’est parce que à chaque fois, chacun fait son calcul pour que la loi électorale soit orientée dans tel ou tel sens. Je me suis amusé à recenser le nombre de fois que la Cour constitutionnelle est intervenue pour réorienter telle ou telle loi électorale.
La campagne électorale est lancée ce vendredi au moment où le président de l’assemblée nationale exhorte les députés à trouver un consensus au cours de la session parlementaire qui vient de s’ouvrir. Pour vous, y- a-t-il encore des motifs d’espoir de voir les partis exclus revenir dans la course?
Moi je ne perds jamais espoir et je prie pour que la lumière gagne chacun. Mais si je dois rester dans une certaine rationalité, je n’y crois plus. Je souhaiterais être surpris par une décision miracle mais je n’y crois plus.
Si la situation reste telle, quel avenir pour les partis exclus après ces législatives?
J’attendrai la fin des élections et les premiers éléments de mise en œuvre post élection pour apprécier. Mais, la machine qui est mise en place aujourd’hui, a pour finalité d’exclure tout le monde pour n’avoir qu’un mouvement qui puisse aller dans le sens désiré. C’est ce que je crains.
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