Le mercredi 6 mars 2019, le Président de la République, Monsieur Patrice Athanase Guillaume TALON avait solennellement constaté que le pays était dans l’impasse du fait que, par l’inapplicabilité des lois électorales, seuls deux partis politiques, le Bloc Républicains et l’Union progressiste, tous deux proches de lui, avaient été retenus par la CENA pour concourir lors des prochaines élections législatives devant conduire à l’installation de la huitième Législature de l’ère du Renouveau démocratique.
La sélection de ces deux partis n’a d’ailleurs été rendue possible que parce la CENA avait jugé « mineures et légères » les fautes retenues contre ces deux partis. Pour sortir de cette impasse, le Président de la République a chargé le Président de l’Assemblée Nationale, deuxième personnage de l’État, à l’effet d’ouvrir un processus politique devant aboutir à une solution de sortie de crise. Cette solution dite consensuelle devrait être consacrée par le vote de nouvelles lois qui ouvriraient la voie à une nouvelle légalité.
Il nous semble que beaucoup dans les rangs du Président de la République, qu’ils soient acteurs politiques ou universitaires, n’ont pas compris la portée réelle de cet acte présidentiel. C’était un acte de courage politique et de hauteur de vue ; une première dans notre histoire politique contemporaine. Il signifie que le Président de la République a pris toute la mesure de sa responsabilité devant l’histoire en anticipant sur les conséquences prévisibles et imprévisibles de cette impasse qui peuvent aller du simple impact négatif sur l’image du pays et de sa démocratie jusqu’à une crise ouverte faite de violence aveugle avec à la clé des victimes. Les prémisses de cette crise étaient déjà réunies avec les violences recensées à Kilibo, Tchaourou et dans une moindre mesure à Abomey-Calavi, Porto-Novo, Ouidah et ailleurs sans compter les violences verbales déjà perceptibles sur les réseaux sociaux ainsi que la première grande marche dite d’avertissement de l’opposition du lundi 25 février 2019. Le Chef de l’État sait surtout qu’hier, pour moins que ça, la Tunisie de Ben Ali, l’Egypte de Moubarak, la Côte d’Ivoire de l’ivoirité de Bédié à Gbagbo et le Burkina Faso de Blaise Compaoré ont sombré dans une violence incontrôlée et qu’aujourd’hui l’Algérie de Bouteflika risque, si la crise en cours n’était bien gérée, de basculer. C’est qu’en effet, le Président de la République dans notre pays est le seul à incarner la continuité de la légitimité populaire. Contrairement aux Députés qui, chacun en ce qui le concerne, incarne seulement une partie de la légitimité limitée à leurs circonscriptions électorales, le Président de la République, lui, est élu au suffrage universel direct par l’ensemble des Béninois. Il est donc en tant que tel, il est l’incarnation par excellence de la légitimité au Bénin. C’est pourquoi, nous nous sommes permis de le féliciter, au cours d’une émission télé, pour cette sagacité dont il a fait preuve afin que « plaise à Dieu qu’aucun bain de sang ne nous éclabousse ».
C’est sans doute parce que beaucoup, autour du Chef de l’État, n’ont pas compris la portée de cette initiative présidentielle qu’ils continuent de lui opposer la légalité, qui plus est, la légalité qui a conduit à l’impasse actuelle. Or, cette initiative est d’abord et avant tout une initiative hautement politique qui pose en termes très clairs la recherche d’une nouvelle légitimité (I) même s’il est bien évident que la mission confiée au Président de l’Assemblée Nationale ne constitue pas la voie unique de sortie de crise car le Président de la République pour atteindre ses objectifs peut encore compter sur le dispositif prévu par les articles 68 et 69 de la Constitution (II).
I / La recherche d’une nouvelle légitimité
Dans l’histoire de l’humanité, toutes les fois que la légalité a conduit à une crise, voire à une impasse, seule la légitimité retrouvée a permis de reprendre le droit chemin. La légitimité a toujours été dans l’histoire supérieure et antérieure à la légalité. La légalité est consubstantielle à la légitimité qui la crée et de laquelle elle tire sa source. Les élus qui créent le cadre légal sont, eux-mêmes, préalablement investis de la légitimité. Il n’y a donc pas de légalité en dehors de la légitimité, d’où toutes les réflexions sur la légitimité du cadre légal. La légitimité dans la République est immanente parce qu’elle plonge sa source dans le Peuple qui l’exerce par le vote à la légitimité transcendantale des Monarques supposés avoir été choisis par Dieu. Est légitime ce qui est moralement accepté par les citoyen et est légal ce qui prévu par le cadre juridique (constitution, lois et actes réglementaires).
C’est pourquoi, en ouvrant la voie au processus politique de recherche de consensus le Président de la République mettait entre parenthèse le cadre légal qui a conduit à l’impasse pour rechercher une nouvelle légitimité qui serait la source d’une nouvelle légalité. Aucune solution de sortie de crise ne peut donc être un retour à ce cadre légal qui a failli. Le Président de la République a donc ordonné une première mission, que nous appellerons « mission Houngbédji » du nom du Président de l’Assemblée Nationale à qui il a demandé de consulter toute la classe politique afin de trouver un consensus dans le cadre conventionnel prévu par la CEDEAO à travers son « Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance ». Mais l’échec de cette mission ne signifiera pas la fin du processus politique ouvert par le Président de la République. N’en déplaise aux acteurs politiques, notamment le Député Jean-Michel Abimbola et des universitaires dont nous tairons les noms par mépris. Ni l’un ni les autres n’ont pris l’initiative de la recherche du consensus, il ne leur revient donc pas d’en déterminer la fin, pas plus que d’inviter le Peuple à « aller voter massivement le 28 avril prochain » : ils peuvent juste en constater l’échec ainsi que l’a fait vendredi dernier le Député Jean-Michel Abimbola.
Dans tous les cas, il faudra attendre que le Président de l’Assemblée Nationale aille rende compte des résultats de sa mission au Président de la République qui en est le commanditaire. Deux solutions s’offriront à lui, soit avant la fin de la session extraordinaire, les Députés trouvent un consensus et ils votent les nouvelles lois, soit il s’en tient au constat d’échec et dans cette seconde hypothèse, le Président de la République pourrait explorer de nouvelles voies. En tout état de cause, il ne revient ni au Député Abimbola ni aux universitaires qui soutiennent le pouvoir en place de conclure qu’après l’échec des discussions à l’Assemblée Nationale, il ne reste plus au Peuple qu’à aller accomplir son devoir citoyen le 28 avril 2019 : ils n’ont pas qualité pour cela ; c’est trop prétentieux de leur part. Cette prérogative revient de façon exclusive et discrétionnaire au Président de la République.
En effet, il revient au Président de la République, dans l’hypothèse où le Président de l’Assemblée Nationale lui ferait un compte rendu d’échec, de constater l’incapacité des Députés à remplir convenablement avec succès la mission.
Dès lors, il pourrait choisir une autre voie pour sortir de l’impasse, à savoir celle que lui offre l’article 68 de la Constitution complétée par l’article 69.
II / L’article 68
L’article 68 dispose :
« Lorsque les Institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national ou l’exécution des engagements internationaux sont menacés de manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et constitutionnels est menacé ou interrompu, le Président de la République de la République, après consultation du Président de l’Assemblée Nationale et du Président de la Cour Constitutionnelle, prend en conseil des Ministres les mesures exceptionnelles exigées par les circonstances sans que les droits des citoyens garantis par la Constitution soient suspendus.
Il en informe la Nation par un message.
L’Assemblée Nationale se réunit de plein droit en session extraordinaire ».
L’Assemblée Nationale est une Institution de la République et un pouvoir constitutionnel qui est menacé de manière grave et immédiate dans son fonctionnement si rien n’est fait pour organiser des élections inclusives et à bonne date. Il revient donc au Président de la République de prendre les mesures exceptionnelles qu’exige cette circonstance sans que les droits garantis par la Constitution ne soient suspendus. L’article 69 vient compléter le dispositif de l’article 68 ; il dispose que :
« Les mesures prises doivent s’inspirer de la volonté d’assurer aux pouvoirs publics et constitutionnels dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission.
L’Assemblée Nationale fixe le délai au terme duquel le Président de la République ne peut plus prendre des mesures exceptionnelles ».
Ici, l’idée d’assurer au pouvoir constitutionnel qu’est l’Assemblée nationale dans les moindres délais les moyens d’accomplir sa mission se justifie par les délais qui se rétrécissent chaque jour un peu plus. Ainsi, toutes les conditions sont réunies pour l’utilisation de l’article 68 à savoir la menace grave et imminente sur le fonctionnement de l’Assemblée Nationale et l’incapacité de la classe politique à trouver un consensus.
Par le passé, cet article avait été utilisé dans des circonstances, sans doute de menace moins imminente encore. En effet, la pratique de l’utilisation de l’article 68 a pris corps avec le Président Nicéphore Dieudonné Soglo et s’est poursuivie avec le Président Mathieu Kérékou avant de se renforcer avec le Président Boni Yayi qui l’a utilisé quatre fois en cinq ans, soit deux fois plus que le Président Nicéphore Dieudonné Soglo qui ne l’a utilisé que deux fois en cinq ans et quatre fois plus que le Président Mathieu Kérékou qui ne l’a utilisé qu’une seule fois en dix ans. Les trois Présidents ont pris cinq ordonnances pour adopter leurs budgets. Les Présidents Soglo et Yayi ont pris sept ordonnances pour adopter des autorisations de ratification d’accords de prêt, trois pour adopter des textes de loi, notamment le Code des marchés publics et deux pour contourner des lois existantes, notamment la loi n° 92-023 du 6 août 1992 portant détermination des principes fondamentaux des dénationalisations et des transferts de propriété d’entreprise du secteur privé. Ces différentes utilisations ont fini d’instaurer ce qu’il convient d’appeler une coutume constitutionnelle dite interprétative ou additive, entendue comme une coutume qui ne fait que « compléter à la marge une Constitution écrite ».
La situation actuelle est toute aussi grave si ce n’est plus grave encore. L’utilisation de l’article 68 constitue donc pour le Président de la République, une seconde voie, à nos yeux, la voie royale ou plutôt la voie présidentielle pour sortir de l’impasse et organiser à bonne date des élections que lui-même a voulues « inclusives et dignes de son mandat ». Jean-Baptiste ELIAS, Président du Fonac l’a dit hier dimanche 31 mars sur une chaîne de radio ; nous le pensons aussi. Lui, a souhaité limité son utilisation à la modification du seul article 56 de la Charte des partis. Nous pensons que le Président de la République pourrait saisir l’occasion pour modifier également les dispositions du Code électoral qui ont conduit à l’impasse, notamment les dispositions relatives au quitus fiscal, au cautionnement, ainsi qu’à l’article 242 sur les 10% qui rendent éligibles les listes. Le Président de la République pourrait également en profiter pour raccourcir les délais, qu’il s’agisse de la période de dépôt des dossiers de candidature que de la campagne électorale. Il pourrait s’inspirer des avants projets de lois modificatives qui ont servi de base pour les discussions à l’Assemblée Nationale sous l’égide du Président Adrien Houngbédji. Si le Président de la République prenait cette initiative le 2 ou le 3 avril, la CENA aurait encore une bonne quarantaine de jours pour organiser des élections inclusives et transparentes le 12 mai 2019.
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