Président du Groupe d’étude et de recherche sur la démocratie et le développement économique et social en Afrique (Geddes-Afrique) et leader d’opinion, Me Sadikou Alao fait son analyse du dialogue politique que propose le président de la République Patrice Talon. Dans cet entretien, l’avocat estime que «tout dialogue devrait être inclusif» et ne peut pas être que l’apanage des seuls politiques.
Le dialogue politique tel que organisé actuellement respecte-t-il les normes?
Vous savez qu’en matière de dialogue, il n’y a pas de normes figées. Il y a des normes qui conviennent à chaque situation précise. Donc, pour parler précisément du dialogue auquel le chef de l’Etat a convié certains leaders politiques, il faut dire que l’invitation n’est pas à la hauteur des enjeux. Si vous suivez toutes les lois qui ont été prises pour exclure une partie des partis politiques du processus électoral, si vous suivez les massacres qui ont eu lieu au quartier Cadjêhoun les 1er et 2 mai, si vous suivez ce qui est encore plus grave depuis lors, le problème de la fermeture des frontières, ça fait qu’il y a des arguments endogènes et exogènes qui font que la crise au Bénin a atteint un niveau très élevé avec des éléments internes et des éléments externes qui font qu’il ne peut pas avoir de dialogue entre seuls les partis politiques ( encore que là, il n’y a qu’une partie des partis politiques). S’il s’agit des questions d’intérêt national, s’il s’agit de sauver le pays, tout dialogue devrait être inclusif pour nous permettre de laver notre linge sale et de regarder l’avenir de manière plus radieux et non faire un conclave entre un certain nombre de politiciens.
Dialogue politique annoncé au Bénin: Gerddes-Afrique y voit une ruse et fait des suggestions
Dans quelles conditions alors vous auriez voulu que ce dialogue se tienne pour qu’il puisse faire foi ?
Non, les dégâts sont énormes depuis 2016. On ne peut pas ruser avec un dialogue et faire comme si c’était de rafistolage. Si l’on veut sauver le Bénin, chacun doit mettre de l’eau dans son vin. Mais on doit le faire en toute honnêteté et non, donner l’impression qu’on ruse. Nous connaissons les problèmes et nous pouvons, ensemble, en établir la liste. Il ne s’agit pas de faire une chasse aux sorcières. Mais, si l’on veut vraiment travailler dans l’intérêt du Bénin, il faut appeler tout le monde à l’apaisement. Il faut que tout le monde se retrouve et qu’on parte d’un nouveau bon pied et non qu’on sélectionne ceux avec lesquels on veut parler.
Le débat actuel, c’est comme si on voulait atteindre certains résultats pour donner satisfaction à quelqu’un. On ne dirait pas que c’est un débat qui s’intéresse aux vrais problèmes du Bénin. On dirait qu’il y a de la ruse, des combines et qu’il s’agit de faire un petit arrangement pour donner satisfaction à un maître ou à un patron. Mais le dialogue dont nous autres nous parlons, c’est le dialogue qui réconcilie tous les Béninois et fasse que le Bénin reparte sur du bon pied. Mais celui-là (actuel) est un dialogue d’arrangement, ce n’est pas bon. Ce n’est pas sincère et ça ne peut pas résoudre les problèmes béninois. Ça peut donner satisfaction à ceux qui ont demandé des résultats en apparence.
Vous avez suivi le ministre Alain Orounla, porte-parole du gouvernement dans sa sortie médiatique qui faisait comprendre que le dialogue politique ne concerne que les politiques et donc les organisations de la société civile, le clergé catholique et autre couches socioprofessionnelles de la nation ne sauraient donc être invités à cette table-là.
C’est un peu dommage. Mais, il a l’avantage d’être un novice en politique. Donc, on peut tout lui pardonner. Mais, si ce qu’il disait était vrai, il n’aurait jamais eu d’élections même si notre pays depuis un certain temps se complaît dans les nominations politiques. En réalité, le dialogue, qu’il soit politique qu’il soit économique qu’il soit social est d’abord dans l’intérêt des Béninois je suppose. Et si nous comprenons lui et moi la même chose, le dialogue, pour que le Bénin sorte de la crise, a de multiples facettes. Peut-être que lui ne pense pas au dialogue pour les Béninois.
Il pense à un dialogue pour d’autres personnes ou pour d’autres objectifs. Donc, je dis que là, c’est un dialogue qui n’était pas un dialogue national, c’est un dialogue pour plaire à certaines autorités. Mais quand on veut dialoguer, on dialogue pour résoudre des problèmes qui se posent. Ils sont d’ordre politique, ils sont d’ordre économique, ils sont d’ordre social. Et un tel dialogue ne peut pas être l’apanage de ceux qu’on appelle les politiques. En fait, c’est quoi la politique? C’est fait pour les hommes et par les hommes. Et c’est les hommes, c’est le peuple qui fait la Constitution, désigne ceux qui temporairement le dirigent. Il n’y a pas de politique sans le peuple. Mais, mon confrère (le ministre de communication Alain Orounla, Ndlr) a l’avantage d’être novice en politique. Il faut lui pardonner.
Certains partis politiques invités à ses assises posent de préalables et des soucis sécuritaires. Devrait-il en être question?
C’est tout à fait légitime si on tient compte de nos antécédents. Parce que nous avons connu tout récemment des invitations des pseudos dialogues qui n’en sont pas. Alors, c’est normal que lorsqu’on invite quelqu’un à un dialogue sans ordre du jour que les gens fassent très attention pour ne pas servir de faire valoir.
Je trouve que c’est tout à fait raisonnable lorsque ce ne sont pas des naïfs. Parce qu’ils se souviennent de tout ce qui s’est passé récemment et de la manière dont ils ont été brutalement exclus et leur naïveté exploitée. Je crois qu’on peut se tromper une fois mais si on se trompe tout le temps c’est qu’on est des imbéciles.
Quelles sont les suggestions de Gerddes-Afrique pour un dialogue politique crédible?
Un dialogue crédible au Bénin doit d’abord se fixer des objets. Nous avons des problèmes politiques, nous avons des problèmes économiques. Nous avons des problèmes de développement. Nous avons des problèmes sociaux. Et si l’on veut faire un dialogue, ce sont ces objectifs qu’il faut viser et viser tous les acteurs qui sont capables d’y apporter une certaine contribution. Historiquement, le clergé et les religieux ont toujours joué un rôle très important au Bénin. La société civile a toujours joué un rôle incommensurable. Les politiciens ne sont pas la catégorie la plus fiable.
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