Du  »en veux-tu, en voilà  » ! Jamais, les réseaux sociaux n’avaient remis au goût du jour tant d’écrits, de sons et d’images mettant en scène des décideurs et acteurs publics à travers des propos qu’ils ont exprimés autrefois qui sont à l’exact opposé de leurs postures présentes.
Ces dernières 48h, une courte vidéo s’est beaucoup baladée, de Whatsapp à Facebook, d’un compte à un autre. On y voit horripilé, un thuriféraire du pouvoir dit de la rupture, M. Orden Alladatin pour ne pas le nommer, investi parlementaire, placé à la tête de la Commission des lois, à l’issue des législatives du 28 Avril aux 22-27% de taux de participation organisées dans le sang et sur fond de blocage d’accès à internet.
Consultations électorales inédites en République du Bénin.
Le discours que ce thuriféraire tient dans la vidéo susmentionnée date de la période où la protestation populaire battait son plein dans les rues de Cotonou contre la présidence Boni Yayi. Le mouvement « Mercredi Rouge » auquel appartenait l’homme était un maillon de la révolte. Ses compagnons et lui avaient pu compter sur les forces syndicales majeures du pays, sur les forces sociales en général, pour insuffler de l’efficacité à la bronca anti-Yayi.
C’est sur ce discours – mis en phase avec les aspirations de la majorité des Béninois – qu’ils arrivent au pouvoir en 2016 sous le signe de la RUPTURE d’avec nos inconduites du passé et d’un NOUVEAU DÉPART vers un horizon radieux. Grand hélas ! Leurs actes au quotidien nourrissent les maux, objet de leurs dénonciations d’antan. La plupart de leurs adversaires d’hier, cibles de leurs réquisitoires, sont devenus leurs partenaires aujourd’hui. Ensemble, ils perpétuent le foutoir.
Tous ceux qui ne sont pas d’accord avec la façon dont le Bénin est gouverné, doivent avoir le droit de s’indigner sans crainte pour leur liberté, tempêtaient-ils. Tandis que sous la rupture, la peur de s’insurger contre la gestion de la patrie commune n’a jamais été si prégnante. Manifester en ville expose au risque d’être refroidi. Des concitoyens sont jetés en prison pour délit d’opinion décrété. Les rares organes de presse ou journalistes qui résistent aux désirs de propagande du chef sont muselés au vu et au su de tous.
On ne peut pas réduire les travailleurs au silence en leur arrachant le droit de grève, contestaient-ils. Pourtant, la rupture l’a fait avec la bénédiction et l’implication active de Orden Alladatin et des autres. Les leaders syndicaux ont cessé d’être audibles. Un de leurs ex-compagnons qu’on avait vu marcher contre Yayi, applaudit sous Talon les dérives qu’il exécrait pendant que le premier séjournait au palais de la Marina.
Nul ne peut réviser la Constitution en catimini, sans consensus, sans consultation du peuple, rugissaient-ils. Pourtant, la rupture l’a fait, avec la bénédiction et l’implication active de Orden Alladatin et des autres. La Constitution béninoise a été révisée nuitamment dans l’hémicycle à une vitesse improbable ; ils ont traité le sujet en procédure d’urgence. Personne, à part le noyau de révisionnistes, n’a eu connaissance des modifications introduites dans la loi fondamentale avant leur adoption. La loi modificative de la Constitution n’a été rendue disponible que des jours plus tard.
Les exemples sont légion, qui illustrent les valeurs défendues hier et leurs contraires promus aujourd’hui par les mêmes individus. Il en découle, quand on y réfléchit de près, qu’un chantier importera plus que tout lorsque le nouveau cycle de l’arbitraire sera passé. En dehors de la restauration du tissu social, de l’État, de l’état de droit et de la Démocratie, la recrédibilisation du discours public s’impose comme une perspective cruciale. Nous savions que nos hommes politiques n’ont pas de parole. Jusqu’à récemment cependant, ils faisaient encore preuve d’un tantinet de pudeur aux moments de se dédire. C’était avant. Depuis 2 à 3 ans, ils n’ont plus aucune honte, aucun complexe à soutenir publiquement le faux et des idées identiques à celles qu’ils ont publiquement combattues ou aux antipodes de celles qu’ils ont tout aussi publiquement prônées. Le fléau a dynamité les limites de la sphère politique. Il s’est étendu aux milieux intellectuels et au cercle des cadres techniques.
Pourquoi la recrédibilisation du discours public sera capitale ? Parce qu’il y va de l’éducation de la masse. Nous sommes en train de sensibiliser nos proches, ami.e.s, frères et sœurs, parents, nos compatriotes contre l’achat de conscience. Nous sommes en train de leur dire : « N’échangez pas votre voix contre de l’argent. Vous devez voter pour celui ou celle qui vous convainc par son projet et non pour X ou Y parce qu’il ou elle vous aura le plus arrosés de billets de banque ». Ce credo que nous voudrions voir le peuple s’approprier est annihilé s’il est admis que chacun peut facilement renier ses propos, se renier devant ses semblables. Qu’est-ce qui fonderait le citoyen à demander des comptes au maire, au député, au Président de la République etc… à qui il a accordé son suffrage s’il ne les a pas élus sur la base de leurs engagements publics ? Si non, en quoi le gouvernant serait-il redevable vis-à -vis du gouverné ?
La crise de la parole – ainsi que je la désigne – est l’une des pires manifestations de la tentation de décadence à laquelle la société béninoise se soumet résolument depuis quelques temps. Mais cette crise de la parole est une aubaine pour travailler à la régénération de bien des valeurs et à davantage. La profession de foi devra être serment ; serment dont la violation appelle sur son auteur, la rigueur de la loi et les sanctions d’un code éthique. Au-delà de tout, il faudra que le verbe fait discours public soit sanctifié de sorte qu’il n’existe qu’une alternative, LE SILENCE, pour quiconque est tenté de déclarer que les fosses septiques sentent un doux parfum alors qu’il eut démontré auparavant pourquoi infecte est à jamais l’odeur émanant de ces aménagements où se perdent nos impuretés organiques.
Il est une assertion populaire – du même ordre que « nul n’est parfait » – dont certains faux-culs et partisans du vice se servent pour magnifier la versatilité et faire passer la constance pour une faiblesse d’esprit : « Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis ». Cet aphorisme ne suggère guère, sauf pour les imbéciles, que ceux qui changent d’avis sont des individus forcément recommandables. L’assertion que voilà n’est pas une célébration de l’instabilité.
Elle est plutôt une prime à l’humilité. Et l’humilité ici commence par la reconnaissance de ce qu’on s’est égaré. Que nos dirigeants actuels et leurs acolytes qui déplorèrent les méfaits de la gouvernance Yayi mais qui les professent aujourd’hui, s’en inspirent pour aller plus loin dans les pratiques abjectes, viennent avouer qu’ils se sont lourdement trompés. Il se pourrait alors que nous reconsidérions notre sentence à leur égard, puisque nous les aurons entendu confesser, de leurs propres voix, qu’ils ne valent nullement mieux que le yayisme.
Déo Gratias KINDOHO
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