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Gouvernance locale : La décentralisation béninoise en panne

Le chapitre V  intitulé  Gouvernance locale :la décentralisation béninoise en panne  écrit en 2005 est l’avant dernier de l’ouvrage Bonne gouvernance au  Bénin (X). Il précède le chapitre final sur les réformes financières (son second domaine de compétence). La gouvernance locale en panne  sonne comme le testament de celui qui a conduit de bout en bout le processus de la décentralisation, d’abord en tant que ministre de l’Intérieur de 1991 à 1993 puis acteur principal des forums initiés  pour la rédaction des textes d’application.

Testament aussi de l’élu local(2ème adjoint au maire de Cotonou) qui a vécu les premières années de mise en œuvre du processus. Dans le style clair et  limpide qu’on lui connaît Richard Adjaho donne sans détour les deux raisons fondamentales pour lesquelles on pouvait dire en fin 2005 que la décentralisation est mal partie à savoir : le refus de l’Etat central de transférer les compétences et les ressources aux communes et l’incompétence des élus locaux qui préfèrent les jumelages avec les communes des pays  du Nord à la recherche des ressources propres à promouvoir le développement local. Aujourd’hui plus de 14 ans après la sortie de l’ouvrage, on ne peut pas dire que la situation des communes a radicalement changé.

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La Rédaction

Bon nombre  de praticiens  ou d’observateurs du  deuxième processus de décentralisation,  celui qui a démarré au Benin en février 2003, pourraient penser que l’élu local que je suis, fait preuve ici d’un pessimisme  non fondé, précoce ou mal venu.  Ou alors que l’opinion que j’exprime ici ne serait que la manifestation d’un certain dépit par rapport à un pro­cessus dans lequel je me suis investi presque dix ans durant. 

Peu sujet à des états d’âme,  et heureusement à l’abri  des jugements  superficiels, je  puis assurer qu’il n’en est rien. Sur la base de l’observation stricte des faits et gestes de l’Etat, c’est­-à­-dire  en gros du Gouvernement  de notre pays, j’affirme aujourd’hui que la décentralisation béninoise est en panne. Voici pourquoi.

1 – Le privilège et  la panne

J’ai  un rare  privilège   qui comporte   trois aspects. Le  premier est que par  la volonté du Président  Soglo, j’ai dirigé de 1991 à 1993, pen­dant 25  mois, un Ministère  important et sensible, celui de l’Intérieur et de la sécurité C’est au cours de cette période, notamment aux  Etats généraux de jan­ vier 1993, que sous ma  direction, les principales orientations de notre  décentralisation ont été arrê­ tées. C’est entre février et Août  1993 que les projets de lois qui régissent  aujourd’hui le fonctionnement de nos   communes   ont été élaborés  par le Comité  de suivi des Etats  généraux que j’ai créé.  Le deuxième privilège que j’ai  eu est qu’à mon retour  en septembre  1996 de notre  ambassade de Paris,   en raison  du retard considérable    pris dans le vote des lois  de décentralisation, j’ai   eu l’opportunité   de travailler  de nombreuses    années encore et  de m’exprimer dans toutes  sortes de forums sur la question  de la décentralisation et de la  gouvernance locale.    Enfin,   élu conseiller   municipal en décembre  2002 et 2° adjoint au Maire  de Cotonou en février 2003, je  suis dans la pratique quotidienne    de la décentralisation depuis deux   ans et demi. Toute   modestie   gardée, je   me considère donc  comme un observateur   de premier plan dans la mise  en oeuvre de ce que la Constitution de  décembre 1990 a voulu en matière   de gouvernance locale pour notre pays.

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La  décentralisation     béninoise est en panne parce  que, voulue par la Conférence Nationale formalisée par les Constituants   de 1990, elle a été mise en oeuvre presque sous contrainte nationale et extérieure   par l’Etat   qui aujourd’hui    semble   la tolérer comme  un enfant bâtard,  Elle n’est   donc pas  soutenue par  l’Etat qui est pourtant   son géniteur, presque malgré   lui.   La  deuxième   décentralisation    béninoise est  en panne  parce que  les élus locaux,  malgré les innombrables    ateliers de travail,   séminaires,   colloques, tables­ rondes    qui ont eu lieu entre 1997  et février 2003, date d’installation   des communes, les élus locaux ont été ou se sont peu préparés à la ges­tion  des collectivités locales. Aujourd’hui,  un bon nombre de responsables locaux malgré les plans de développement adoptés,  maîtrisent mal la gestion de leurs localités et naviguent à vue.  Elle est en panne parce  qu’un grand nombre de Maires mettent tous leurs espoirs  dans des partenariats  qui ne peuvent hélas se substituer à l’action de l’Etat béninois. Cette panne  est aggravée  parce que des  considérations, souvent politiciennes,  sans rapport avec le dévelop­ pement local,  véritable but de la décentralisation, viennent  interférer dans la gestion quotidienne des communes et surtout dans les rapports que l’Etat entretient avec elles.

2 – Les préalables  pour une bonne décentralisation

Pour qu’une décentralisation, transfert de compétences et de ressources du niveau national au niveau local soit possible, il faut d’abord qu’elle  soit voulue et conduite par l’Etat. En décentralisant, l’Etat obéit à un certain nombre de contraintes politiques qui généralement ont leur origine dans l’histoire poli­tique   du pays   et qui sont traduites dans la Constitution et dans ses lois. Mais une fois la décen­ tralisation mise en route par le choix des dirigeants locaux, il est impérieux  que les lois soient respec­ tées. Le respect des dispositions légales signifient notamment le transfert effectif des compétences et des ressources financières et humaines aux communes pour leur permettre de fonctionner.

Depuis  février­ mars   2003, l’Etat béninois  s’est comporté   envers les communes   comme il le faisait avec  les anciennes circonscriptions    administratives, alors qu’elles   ne sont pas  de même nature  et que  les transferts  de compétences et de ressources  que l’Etat doit  opérer  à leur profit sont   formellement définis par la loi.  Les anciennes sous­ préfectures et circons­criptions urbaines étaient des démembrements de l’Etat, alors que les communes sont des collectivités territoriales distinctes et autonomes.

3 – Quelques exemples

Les lois de décentralisation  disposent claire­ ment que toutes les communes ont la responsabilité de la construction,  de l’équipement, des réparations et de l’entretien des écoles maternelles  et des écoles primaires.   Les communes   à statut  particulier,  à savoir:   Cotonou, Porto­Novo, Parakou, ont en plus, ces mêmes compétences  pour les écoles secondaires et professionnelles. L’Etat béninois n’a donc plus le libre choix en la matière en ce sens que les cartes scolaires, c’est à dire la localisation et la réalisation de ces écoles sont désormais de la responsabilité des communes  et que les ressources qui sont logées au budget général de l’Etat doivent être transférées obli­ gatoirement  aux communes. C’est formellement  ce que prévoit  la loi. Ces ressources,  aussi bien d’ori­gine nationale qu’extérieure,  crédits, subventions ou
dons, figurent bel et bien dans le budget de l’Etat. Mais à ce jour d’août 2005, pas un franc CFA n’a été transféré depuis mars 2003 aux communes dans ce cadre. Dans tous les cas pas au budget de la ville de Cotonou. Dans la mesure où l’éducation nationale est l’une des plus importantes fonctions publiques assu­ rée par l’Etat, les ressources en question se chiffrent par  dizaines de milliards de francs CFA. Le non transfert aux communes des ressources destinées à la réalisation des infrastructures scolaires est inadmis­ sible parce qu’il est contraire aux dispositions expli­ cites des lois de décentralisation. Il en fausse l’esprit et la lettre et laisse à l’Etat, donc au Gouvernement des tâches dont il n’a plus légalement la responsabi­ lité. La situation est identique  pour les domaines de la santé, des sports, de la culture et j’en passe.

La Constitution  de 1990, en disposant  de la création des collectivités locales a voulu « dégraisser » l’Etat, transférer l’exercice de responsabilités effecti­ves aux élus locaux pour que l’Etat se concentre sur des tâches  essentielles. Il n’est, par exemple, plus admissible que l’Etat béninois s’occupe de savoir où il faut construire une école primaire dans le départe­ ment des Collines OU  de la Donga lorsque les élus locaux qui sont des responsables  de proximité sont parfaitement capables de le faire et de le faire beau­ coup mieux. Il est clair à mes yeux que ces transferts réclamés  au profit des communes doit se faire avec un maximum de précautions et les règles d’utilisation des  ressources publiques   rappelées et mises en œuvre . On peut avancer que c’est parce qu’il  conti­nue de se comporter ainsi vis-­à­-vis des collectivités locales que l’Etat ne s’occupe plus convenablement des autres grands domaines que sont la production nationale, les grands équilibres économiques et financiers, la sécurité et la défense, les relations extérieures. Le transfert des compétences ne doit pas être verbal, ni seulement   écrit, il doit être réel et effectif.

Globalement,  les dispositions des sections  1, 2 et 3 du Chapitre  3 de la loi 97­027 portant organi­sation des communes, dispositions relatives aux compétences   des communes sont restées lettres mortes. Ces sections qui concernent respectivement le développement local, les infrastructures, l’équipement et les transports, l’environnement,  l’hygiène  et la salubrité ne peuvent  être correctement mises en œuvre que si les communes bénéficient de la part de l’Etat de l’application effective des dispositions de la section  1 du chapitre 2 de la loi portant Régime financier des communes.

Le transfert des ressources humaines est a l’image  de celui des ressources financières.  L’Etat qui regorge de cadres oisifs, se refuse d’en transférer une partie aux collectivités locales afin que celles­ ci fonctionnent  mieux. II y a de nombreux domaines prévus dans les lois que nos communes en l’état actuel de leur personnel sont incapables de prendre en charge et d’assumer. Le transport et la circulation dans une ville comme Cotonou ou des dizaines de
milliers de véhicules circulent chaque jour en est un exemple.  La prise en charge d’un tel secteur néces­site la présence au sein de l’équipe municipale  de plusieurs ingénieurs, techniciens et économistes des transports, capables de penser un système efficace et de le mettre en œuvre.

4- Pourquoi cela ?

La situation décrite plus haut, caractérisée par la non application  des lois de décentralisation et la banalisation des communes a, à mes yeux, plusieurs causes. La première est le manque de vision de l’Etat béninois,  c’est­-à­-dire du Gouvernement  qui ne par­ vient toujours pas à se convaincre que le bon fonc­tionnement  des collectivités  locales est un facteur d’un meilleur  fonctionnement du pays.  Cette situa­tion a été rendue possible aussi parce que en dehors de la mauvaise  volonté ou de la mauvaise foi de l’Etat, il y a eu la naïveté des nombreux responsables de communes  qui ont cru qu’il suffisait que la loi prévoie quelque chose pour qu’elle se fasse. Ce fai­sant, ils ont oublié qu’en règle générale ,  un transfert de pouvoir n’est jamais aussi automatique et oublie aussi que l’organisation même des élections locales a été un long bras de fer entre  le Gouvernement, la société civile, un certain nombre de pays développés et les   institutions    financières internationales. L’épisode  de la mise en place  de l’Association des communes  du Bénin en est une grande illustration. Au lieu de s’entendre d’abord en leur sein pour mettre en place une association des communes forte et crédible, véritable partenaire du Gouvernement et puissant groupe de pression,   nombre d’élus locaux se sont ingéniés sous l’influence du Gouvernement, a affaiblir l’organisation dès sa naissance. Nous en payons le prix présentement.  Un grand nombre  de Maires crient aujourd’hui  leur désarroi.

5 ­ Et maintenant

Dans la mesure ou manifestement aujourd’hui, malgré les élections locales de décem­bre 2002, c’est l’option de la poursuite de la centralisation du fonctionnement de l’Etat qui a pris le des­sus,  je suis très sceptique qu’un débat avec le Gouvernement conduise a un changement notable d’attitude vis­-à­-vis des communes. S’agissant    de Cotonou par exemple, les discussions entre l’Etat et les autorités municipales   sur le transfert du marché Dantokpa ont été jusqu’à la limite de la compromis­sion.  Et pourtant. Si l’Etat béninois continue d’avoir la même  vision de la décentralisation et le même comportement vis­-à­-vis des collectivités locales,  ces dernières  vont s’épuiser dans des actions mineures, de faible portée économique et sociale. Le salut des communes   béninoises et l’approfondissement    de notre décentralisation passe à mes yeux par un chan­gement de vision du Pouvoir central, à vrai dire par l’avènement d’un nouveau Pouvoir.  II faut donc espé­ rer que l’ équipe qui va prendre la direction de notre pays en avril 2006 soit dans ces dispositions.  Si ce changement de vision n’a pas lieu a cette occasion la, si de nouvelles relations ne s’instaurent pas entre les communes et l’Etat, les responsables de nos  commu­nes vont s’épuiser dans les opérations de jumelage avec les collectivités locales des pays développés sans grands résultats. Car les maigres ressources  et les petits avantages que nos communes tireront des jumelages ou de la coopération décentralisée ne remplaceront jamais le transfert réel de ressources de l’Etat béninois à leur profit.

(X) Bonne gouvernance au Bénin: ma contribution, Éditions du Flamboyant, 2005, 148 pages

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