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Bénin: bouquet de fleur pour Abiola Felix Iroko, Professeur titulaire des universités

Evoquer la vie et l’œuvre de Félix IROKO en quelques lignes est une mission quasiment impossible. L’œuvre, passe encore ! On peut régler leur compte aux hommes même les plus célèbres en quelques mots : Enseignant chercheur au niveau le plus élevé, formateur de formateurs, écrivain, journaliste et un des analystes les plus talentueux des affaires internationales et de son pays, le professeur Félix IROKO a fait ses preuves dans le domaine des études et des recherches sur l’Afrique et de la Diaspora. Par sa vaste expérience, sa maîtrise de sa profession et sa profonde compréhension de notre temps, il a fait une contribution durable  et de qualité à l’étude des problèmes du continent africain et des peuples noirs de par le monde, en rapport avec tous les autres.

Mais quant à la vie, que retenir dans une telle exubérance? Il est évidemment impossible de tout évoquer. Il faut choisir avec tous les risques que cela comporte, d’en dire trop ou pas assez, risque de distorsion et de ne pas rendre justice à la complexité du personnage. On peut apprécier la vie et l’œuvre de mon frère et ami Abiola Félix IROKO à l’aune de trois qualificatifs, excellence, défi et paradoxe. Il me plaît de rappeler ici les trois devises intimement liées à nos centres de formation et de recherche. « Ad Mjorem Scientiae Gloriam », « Pour la plus grande gloire de la science ». c’est la devise qui figure au bas du logo de l’Ecole doctorale pluridisciplinaire « Espaces, Cultures et Développement ».

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  • dont relèvent en priorité nos disciplines. Elle est inspirée de toute évidence de Littérature et médecine : approches et perspectives, XVIème-XIXème siècle, ouvrage collectif édité en 2007 par Andréa Carlino et Alexandre Charles Wenger, qui évoque la littéralité des doctrines médicales, les enjeux esthétiques et scientifiques de la littérature et de l’appropriation du discours médical par la fiction, domaines du savoir plus étroitement liés qu’on ne pense et dont ils démontrent l’intérêt du décloisonnement
  • « Excelsior, Semper Excelsior » qui accompagne le logo de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines, FLASH, éclatée aujourd’hui en deux facultés sœurs, FLLAC et FASHS, rappelle l’idéal olympique, « plus vite, pus, haut, plus fort », symbole de l’excellence. Il ne s’agit pas ici de glorifier la performance ou la victoire à tout prix sur le court terme mais de donner le meilleur de soi-même, de progresser constamment et de se dépasser au quotidien, sur le stade comme dans la vie, car la régularité et la constance sont les clés de la réussite durable
  • La troisième devise, « Mens Agitat Molem», « L’esprit donne vie à la matière » ou « l’esprit fait mouvoir la matière » qui est inscrite dans le logo de l’Université Nationale du Bénin et maintenue dans celui de l’Université d’Abomey-Calavi, et qui est attribuée au poète latin Virgile (Eneide, Liv 6, v. 727) indique la suprématie de l’esprit sur la matière.

Ces trois devises sont donc liées aux trois concepts, Excellence, défi et paradoxe, comme ayant marqué la vie du scientifique immense qu’a été Félix IROKO et qui a souvent opéré dans la solitude, la société et même la communauté scientifique n’ayant pas toujours reconnu ses mérites à leur juste valeur.

On peut évoquer que déjà au Lycée Victor Ballot[i], Félix alliait performances intellectuelles et exploits sportifs. Il était parmi ceux qui avec Samuel Dossou pouvaient projeter au lancer de poids une masse supérieure à 5 kg au-delà de 11 mètres, approchant déjà les performances olympiques, pendant que nos aînés comme Adrien Houngbédji, Vincent Guézodjè et Raphaël Dégbèdji excellaient respectivement en basket-ball, au triple saut et au relais 4 X 100m, avec Dègbédji pour l’arrivée triomphale, l’assistance s’exclamant, « Dègbédji, Dègbédji ». C’était la belle époque !

A l’Ecole des lettres de l’Institut d’enseignement supérieur du Bénin que partageaient le Dahomey et le Togo (Ecole des sciences à Porto-Novo et Ecole des lettres à Lomé), puis à l’Ecole des lettres de la jeune université d’Abidjan qui deviendra plus tard Université Nationale de Côte d’ivoire  avant de redevenir aujourd’hui Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody, Félix IROKO aimait étonner par son sens d’organisation personnelle comme dans les travaux universitaires. Il pouvait tenir en haleine tout un auditoire d’un amphithéâtre pendant près de 3 heures, pratiquement sans notes, sauf quelques mots griffonnés sur des bouts de papier…hygiénique ! Un de nos enseignants a rapproché cette performance du phénomène que fut le Général de Gaulle qui aimait mimer devant un miroir les gestes qui allaient accompagner ses harangues projetées, en prévoyant même des moments d’hésitation ou de bégaiement, conformément à l’adage selon lequel les meilleures improvisations sont celles qui se préparent en amont. Notre enseignant avait aussi évoqué la performance d’un député de la 4ème république française qui a tenu le crachoir pendant toute une journée en se contentant de temps en temps de jeter un coup d’œil sur un bout de papier où étaient inscrits quelques mots. Son voisin, intrigué par le fait que ces quelques mots aient pu inspirer son collègue pendant si longtemps, y a jeté un regard pour découvrir avec stupéfaction la phrase « les choses ne sont pas aussi simples qu’elles paraissent. ». On peut appliquer cette devise à Félix en la transformant peut-être légèrement : « Les choses simples sont les plus extraordinaires et seuls les savants parviennent à les voir », ou en reprenant cette petite phrase qu’il affectionnait : « Chaque pas vers la simplicité est un gain de sérénité ». C’est une attitude qui a caractérisé Félix tout au long de sa carrière et d’une vie toute entièrement consacrée à sa science, au point qu’il oublie parfois de vivre simplement, pour lui-même.

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Abiola Félix IROKO faisait partie de la promotion qui finissait en 1970 à l’Université d’Abidjan, avec sa licence en poche et qui partait continuer à l’Université de Paris qui était encore une seule entité à l’époque. Avec simplement la modeste bourse nationale de 650 FF, soit 32500CFA par mois que nous avions tous, pour soutenir ses recherches en vue de la maitrise en histoire. Félix s’engagea aussitôt après cette étape vite franchie et sans autre moyen dans les recherches au niveau du cycle doctoral. Pendant que la plupart d’entre nous cherchions des moyens complémentaires de survie, en faisant du gardiennage, de la manutention dans les ports, les aéroports ou dans les brasseries ou en servant comme pompistes dans les stations-service, Félix n’en avait cure. Quand, revenu d’Angleterre où j’ai pu obtenir pendant deux ans un poste d’assistant et de lecteur de français dans les universités britanniques, je tombai en juillet 1973 sur Félix, Boulevard Saint Michel, qui allait à pied de sa résidence de Sarcelles où il logeait, avec pour destination la Faculté de Nanterre pour voir des amis. Quand je m’inquiétais de cette situation précaire, il m’apprit qu’il était en instance de soutenance de sa thèse de spécialité de 3ème cycle et qu’il se portait comme un charme : « ça va très bien puisque je m’en vais acheter un disque ». Dès cet instant, Félix pensait déjà à l’étape suivante, sa thèse de doctorat d’État ès lettres, mais il a dû d’abord se résoudre à retourner au pays pour servir à l’Université du Dahomey, en attendant de rassembler des moyens supplémentaires pour reprendre son périple en vue de faire face à cette nouvelle échéance. Il obtint, ainsi qu’un certain nombre d’autres enseignants du supérieur, une bourse de 24 mois, avec maintien du salaire, pour parachever sa thèse qui portait sur l’histoire économique comme la première et avait beaucoup à voir avec les cauris et les termites. Ces deux thèses donnèrent lieu à deux publications mémorables, Les Cauris en Afrique Occidentale, du 10ème au 20ème siècle et L’homme et les termitières en Afrique. Paris, Editions Karthala, 1997, 300 p. ill

Cette dernière œuvre peut être perçue comme une véritable leçon de pluri- et de transdisciplinarité, dans la mesure où l’auteur avoue avoir été obligé de prendre des cours d’entomologie et plus précisément de ‘termitologie’, pour mieux rendre compte de la vie et du fonctionnement merveilleux de ces petits insectes capables d’édifier des abris qui peuvent atteindre plusieurs étages dans certains cas et du rapport que leur présence peut avoir avec la fertilité des sols propices à l’agriculture.

C’est une expérience que j’ai volontiers  pu rapprocher de celle d’un de nos maîtres, Robert Escarpit, qui nous a raconté un jour, quand j’étais à un congrès de l’Association française des études américaines en 1977, à Seignosse près de Bayonne en Pays basque français, que sa thèse d’État, soutenue en 1952, après une agrégation d’anglais en 1942, a failli être rejetée. Le jury s’est d’abord déclaré incompétent, avant de se retrouver trois jours après pour avouer que l’impétrant venait d’inventer une nouvelle discipline « la sociologie de la littérature ». La pluridisciplinarité qui débouche sur la transdisciplinarité, n’est donc pas un simple éclectisme ou dilettantisme brouillon du chercheur qui s’intéresse à plusieurs domaines du savoir mais vise un objectif de complémentarité autour d’un même thème, selon différents points de vue pour déboucher sur la résolution d’un problème (problem-solving approach)

Chercheur touche-à-tout et quelque peu solitaire, et dans les domaines les plus inattendus, Félix IROKO ne se laisse cependant embrigader par aucune chapelle philosophique ou religieuse. Pour lui, le monde scientifique et universitaire est un milieu qui doit fonctionner en dehors de tout dogme religieux, métaphysique ou politique, et qui ne reconnaît ni orthodoxie ni hérésie mais où les enseignants et les chercheurs, surtout au niveau le plus élevé, affranchis des questions partisanes et des contingences du moment, s’efforcent de rechercher et de publier la vérité telle qu’ils la trouvent, sans la maquiller et sans l’orienter.

Quand on lui a dit que, pour accéder à la fonction d’enseignant-chercheur de rang magistral, dans un système francophone qu’il a qualifié parfois de bêtement formaliste, il faut soutenir une deuxième thèse appelée thèse de doctorat d’État, il s’y est plié de mauvaise grâce mais en montrant qu’il n’avait pas vraiment besoin d’une thèse pour être connu dans un univers scientifique qui l’avait déjà adopté depuis les années 1970. Aussi dès qu’il y est parvenu, après la soutenance de sa thèse d’État en 1986 (986 pages dont près de 100 pages consacrées à l’entomologie), il a été rapidement inscrit sur la liste d’aptitude aux fonctions de maître de conférences au Conseil Africain et Malgache, CAMES, et disposait déjà de suffisamment de publications scientifiques, de preuves d’encadrements pédagogiques, de travaux de recherche, de participation et d’organisations de rencontres internationales pour accéder à la dernière marche du podium scientifique, mais le CAMES, soucieux de ne pas brûler les étapes et de respecter la durée minimale de 3 ans entre deux grades, l’a fait patienter jusqu’en 1993 pour l’inscrire sur la liste d’aptitude aux fonctions de professeur titulaire.

C’est une situation qui m’a rappelé un peu celle de Théophile Obenga, le célèbre égyptologue, disciple de Cheikh Anta Diop. Docteur d’Etat ès lettres et sciences de l’université de Paris I Sorbonne Panthéon qui a flirté avec plusieurs autres disciplines comme la philosophie (Bordeaux), histoire et linguistique historique comparée (Collège de France, Paris), égyptologie et paléontologie humaine (Genève), sciences de l’éducation (Pittsburgh, Massachusetts, USA) et premier directeur général du Centre International des civilisations bantu, CICIBA à sa fondation en 1983 à Libreville au Gabon) que le CAMES a fait patienter pendant 3 ans pour lui faire franchir les 3 grades de maître-assistant, maître de conférences et professeur titulaire, avec le même dossier.

Le système francophone comme celui du CAMES, bêtement formaliste, selon l’expression de Félix IROKO, reconnaît quand même parfois des situations exceptionnelles et à celle de Théophile Obenga en Afrique, j’aimerais évoquer un cas spectaculaire que j’ai vécu en fréquentant les milieux universitaires français depuis les années 1970. Il s’agit de Bernard Vincent, aujourd’hui professeur émérite de l’Université d’Orléans en France. Pendant que je faisais mes premiers pas dans l’enseignement supérieur après une première thèse en études anglo-saxonnes en 1976 et que je préparais une seconde en études américaines, je rencontrai Bernard Vincent dans le cadre des rencontres périodiques de l’Association française d’études américaines, AFEA, qui n’était à l’époque ni agrégé ni docteur, mais qui était aux États-Unis tous les trois mois, beaucoup plus fréquemment en tout cas que son directeur de thèse, le professeur André Le Vot, disparu depuis 2010, et publiait au moins un ouvrage chaque année dans le domaine de l’histoire et de la civilisation américaine. Il enseignait dans les classes préparatoires au Lycée Henri IV et à l’Université Paris III, Sorbonne Nouvelle et détestait l’esprit de caste des agrégés. Après s’être assuré que je n’appartenais pas à cette caste, il se lia d’amitié avec le novice que j’étais dans le domaine des études américaines, et nous sommes restés en contact, même après mon départ de France en 1977 et dans mes différentes pérégrinations jusqu’à mon retour au Bénin au cours de l’année 1982-1983. M. Bernard Vincent a finalement daigné soutenir sa thèse d’État (la thèse de 3ème cycle n’a jamais été obligatoire même en notre temps). Et c’est en ce temps que les autorités universitaires ont bien voulu l’intégrer formellement et totalement dans l’enseignement supérieur. Mais pour respecter la tradition, on l’a obligé à faire un an de purgatoire…comme assistant, c’est-à-dire au bas de la hiérarchie, à l’Université de Montpellier III Paul Valéry. Après cette expérience loin de Paris que j’ai suivie depuis l’Afrique, les autorités universitaires, pour ne pas persister dans le ridicule, l’ont tout naturellement autorisé à négocier un poste à l’Université d’Orléans, directement comme professeur titulaire, en brûlant les étapes intermédiaires de maître-assistant et de maître de conférences et en évitant de lui faire faire perdre davantage de temps. M. le professeur Bernard Vincent a fait toute sa carrière à Orléans en n’ayant d’ailleurs jamais déménagé de son domicile parisien, Orléans étant à une heure de TGV de Paris. C’est une expérience que j’ai souvent évoquée avec Félix et que je rappelle ici pour signifier que les systèmes qui se respectent doivent constamment avoir présentes à l’esprit deux préoccupations fondamentales : excellence scientifique et professionnelle et référence constante aux valeurs,  attitudes et aptitudes qui forment le socle sur lequel reposent les sociétés prospères et disciplinées, parce que les enseignants et les chercheurs, surtout au niveau le plus élevé, sont des prestataires de service qui s’assignent pour tâche de former les générations montantes.

Félix IROKO, avant sa brutale et tragique disparition, était activement impliqué dans la préparation des 50 ans de l’Université du Dahomey, et nous envisagions cet événement comme devant nous permettre de relever les grands défis auxquels se trouve confrontée l’Université du 21ème siècle qui sera citoyenne, responsable et solidaire ou ne sera pas. Ces défis concernent les trois composantes classiques de la communauté universitaire (les enseignants, les étudiants et le personnel administratif et de soutien), auxquelles nous devons ajouter une 4ème que nous avons souvent tendance à perdre de vue, l’environnement institutionnel et les différents partenariats.

Au Bénin comme ailleurs, l’Université doit former des citoyens autonomes et critiques et non se contenter de livrer de la main d’œuvre servile, utilitaire et robotisée, soumise aux diktats des entreprises qui seraient d’ailleurs bien incapables de prévoir leurs besoins en ressources humaines dans les quinze, dix ou même cinq années à venir et selon une logique managériale qui peut asphyxier. Transmission, sauvegarde et avancement des savoirs et des capacités dans un but d’autonomie du sujet, c’est bien la mission de l’université vis-à-vis d’un sujet capable non seulement d’appliquer ces savoirs et savoir-faire, mais aussi de les remettre en cause et d’avoir une pensée critique en vue de faire progresser la société et le groupe dont il fait partie.

Même si l’enseignement supérieur reste méconnu sous nos cieux à cause des calculs à courte vue des taux de rendement, faits par les gouvernants et les économistes adeptes du néolibéralisme notamment, avec la fausse perception de rentabilité pour justifier le détournement des budgets gouvernementaux et des fonds de développement vers des secteurs jugés plus utiles, il est à l’économie du savoir ce que l’enseignement primaire est à l’économie agraire et ce que l’enseignement secondaire est une économie industrielle. Ce sous-secteur constitue un socle solide pour bâtir des économies plus fortes, un cercle vertueux, un passage obligé par lequel les bénéfices des investissements se diffusent avec un effet multiplicateur dans toute la société.

Au total, je profite de cette occasion pour rappeler que le Bénin ne saurait ignorer les enjeux et exigences d’une réelle normalisation de l’institution universitaire et sa mise en perspective, aussi bien réactive que proactive dans le contexte actuel de son essor.

L’hommage suprême, à titre posthume que nous sommes réduits à rendre à un enseignant prestigieux, Félix IROKO, même si nous préférons de loin « les hommages à titre costume », selon la belle image d’un collègue, est une tâche redoutable, compte tenu de la cruauté de la circonstance

La disparition, brutale, cruelle et prématurée de Félix IROKO, le premier professeur titulaire au Département d’Histoire et d’Archéologie de notre université, est intervenue à un moment où il mobilisait tout ce qui lui restait d’énergie pour mettre de l’ordre tous ces chantiers ouverts çà et là et à présent laissés inachevés. Cette disparition nous laisse dans un désarroi sans nom mais qui doit vite faire place à la ferme détermination des uns et des autres de reprendre le flambeau pour relever les immenses défis qui se présentent maintenant à nous.

L’homme dont saluons la mémoire aujourd’hui a été un ami de plus de 60 ans. Il a été de tous les combats et de tous les arbitrages. Il prenait parfois des risques inconsidérés, au service des autres, des risques susceptibles parfois d’exposer dangereusement sa carrière mais son abnégation et son désir d’être au service des autres l’y ont toujours porté, au prix de mille périls.

Au total, le professeur Abiola Félix IROKO a eu une carrière universitaire bien remplie et a pratiquement réalisé en une seule vie l’œuvre de plusieurs vies et peut être fier d’avoir formé plusieurs générations de professionnels, d’enseignants, de docteurs sur trois continents et qui occupent aujourd’hui de hautes fonctions dans leurs pays respectifs.

Félix IROKO a brillé de mille feux en ayant ouvert d’innombrables chantiers qu’il laisse maintenant inachevés, en étant à la tâche jusqu’aux moments ultimes d’une vie bien remplie. Alors, nous sommes sous le choc, mais comme l’écrivait tout récemment Jacques Attali à propos de la présente pandémie du COVID-19 qui bouleverse notre planète et les relations internationales, « face à un grand choc, il faut aller à l’essentiel de ce qu’est la vie, c’est-à-dire de trouver comment on peut, d’une façon originale, être utile aux autres »

Le meilleur hommage que nous puissions rendre à notre ami ne serait donc pas de nous lamenter sans fin, même si nos cœurs saignent encore devant cette rude épreuve. Il nous faudra sans doute nous remettre debout et regarder la vie du meilleur côté, comme Félix IROKO a semblé nous l’avoir conseillé jusqu’à ses derniers jours en nous invitant à adopter la seule attitude qui compte : « Chin up », pour reprendre l’exhortation d’un illustre bâtisseur afro-américain, WEB Du Bois à ses compagnons de lutte et défenseurs des droits civiques aux États-Unis, quand il a décidé, à 95 ans, de partir pour le Ghana pour ses derniers jours, alors que les chantiers ouverts étaient encore immenses et inachevés. Ce patriarche panafricaniste qu’il me plaît d’évoquer dans les circonstances douloureuses que sont les nôtres en ce moment, a voulu dire à ses disciples désemparés : « Gardez la tête haute, je ne vous quitte pas et je n’ai pas abandonné la lutte. Ici comme en Afrique, nous devons maintenir le cap pour être le plus utile possible à tous ceux qui nous sont chers ».

C’est pourquoi nous pensons qu’il est important pour les compagnons et amis de Félix IROKO, son épouse et sa famille, de poursuivre les immenses chantiers qu’il a laissés inachevés derrière lui. S’il a toujours voulu braver les dangers c’est un peu pour nous dire que le brave ne meurt qu’une fois ou qu’il ne meurt même jamais, alors que les minables et petits d’esprit meurent à chaque instant de leur misérable vie. « Vivre et fonctionner comme si nous ne devrions jamais mourir ou si nous devrions mourir demain », doit être désormais la devise des uns et des autres pour les combats futurs. Nous inspirer de cet exemple et continuer le seul combat qui vaille la peine d’être mené, le combat pour l’excellence, la dignité et la solidarité apparait alors comme un impératif catégorique. C’est pourquoi je serai presque tenté d’évoquer dans le cas qui nous concerne ces quelques mots inscrits en français au fronton du mausolée de Marie Stuart, Reine d’Écosse (en anglais, Mary, Queen of Scots), « Ici la fin est aussi un commencement »[ii]

Si on dit souvent que les artistes ne meurent jamais parce que leur œuvre est indestructible, nous pouvons dire à Félix IROKO, « salut l’artiste ! Nous t’aimons et tu resteras à jamais présent dans nos cœurs ».

Cotonou, le 10 décembre 2020
Professeur Augustin AINAMON


[i] Le Lycée Victor Ballot, du nom du premier gouverneur de la Colonie du Dahomey, 1894-1900, est devenu Lycée Béhanzin à la rentrée d’octobre 1961 qui a vu la création de quatre autres lycées : Le collège moderne des jeunes filles de Porto-Novo devenant Lycée des Jeunes filles Toffa 1er, Le Centre d’Apprentissage puis Collège Technique Dieudonné Reste (du nom du gouverneur Reste, 1928-1930) devenant Lycée F M Coulibaly de Cotonou, le Cours Normal pour Jeunes filles d’Abomey devenant Lycée Houffon et le Cours Normal pour garçons de Parakou devenant Lycée Mathieu Bouké

[ii] La phrase célèbre que Marie Stuart prononça après sa défaite et son emprisonnement par les officiers de sa cousine Elisabeth est « En ma Fin gît mon Commencement », qu’elle fit broder sur sa robe

6 réponses

  1. Avatar de Dr. hennou.ghislain@gmail.com... Paix à ton âme professeur
    Dr. hennou.ghislain@gmail.com… Paix à ton âme professeur

    Paix à ton âme… Professeur

  2. Avatar de connardvirus
    connardvirus

    Oui!« Chaque pas vers la simplicité est un gain de sérénité ».

    Bel hommage qui lui est rendu à travers cet article.
    Ciao l’artiste!!!

  3. Avatar de Tchité
    Tchité

    FÉLIX IROKO:
    « Quand on lui a dit que, pour accéder à la fonction d’enseignant-chercheur de rang magistral, dans un système francophone qu’il a qualifié parfois de bêtement formaliste, il faut soutenir une deuxième thèse appelée thèse de doctorat d’État, il s’y est plié de mauvaise grâce mais en montrant qu’il n’avait pas vraiment besoin d’une thèse pour être connu dans un univers scientifique qui l’avait déjà adopté depuis les années 1970 »

  4. Avatar de Tchité
    Tchité

    Lui-même l’a bien dit, c’est un système francophone d’aliénation et ridicule. On ne produit rien après l’obtention de tous ces diplômes et parchemins. Les anglophones et chinois, autres asiatiques ne sont pas dans ce pétrin. C’est une farce.

  5. Avatar de Tchité
    Tchité

    L’article lui-même est devenu une thèse de doctorat.

  6. Avatar de Bito
    Bito

    C’est trop long comme article

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