Depuis 2018, le Bénin semble rentrer dans un régime d’insécurité juridique en matière des lois électorales. En trois ans, deux Codes électoraux et un amendement majeur en 2020. Une tendance à la prolifération de lois électorales pourtant abolie par l’avènement du Code électoral de 2013 qui est venu mettre fin à une série de quinze(15) lois électorales et vingt trois (23) ans d’instabilité. Les effets de ce regrettable retour à la case de départ sont pourtant perceptibles avec trois élections toutes exclusives, toutes violentes avec son lot de multiples lézardes sur l’édifice démocratique du Bénin.
« Pierre qui roule n’amasse pas mousse ». Ce proverbe français qui signifie que « une vie faite d’instabilité ne permet pas d’amasser des biens ou de construire un patrimoine consistant » permet si bien de caricaturer le court des lois électorales au Bénin depuis 2018. Alors qu’on croyait avoir vaincu un régime électoral bâti sur des lois en perpétuelle mutation et donc instable par essence, les réformes entamées par le régime de la rupture nous ramène à l’idée qu’en démocratie, il n’y a presque pas d’acquis. La démocratie étant elle-même une quête permanente du bien être et un processus sans fin de consolidation des progrès en matière de liberté et de droit humain, il n’y aura jamais aucune raison de dormir sur ses lauriers et de croire avoir « vaincu la fatalité ». L’un des principes forts de la démocratie est de consacrer le peuple comme seul et vrai souverain. Ce dernier exerce sa souveraineté par ses représentants élus et par voie de référendum.
L’élection apparaît comme le seul moyen de désignation des représentants de ce peuple. Pour organiser de bonnes élections, « libres et transparentes » comme l’a souhaité l’Union interparlementaire(Ipu) qui réaffirme « l’importance de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans lesquels il est établi que l’autorité des pouvoirs publics doit reposer sur la volonté du peuple et que cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement », il est nécessaire d’avoir des lois bien faites. Ce sont ces lois qui encadrent l’organisation des élections. Il faut aussi des structures organisatrices et des moyens. Montesquieu disait que « les lois électorales devraient être frappées de la plus grande légitimité » afin de crédibiliser les élections elles mêmes et de surcroît les représentants du peuple qui en sont issus. Le Bénin a une expérience particulière en matière d’organisation d’élections. Après avoir expérimenté et déclaré peu concluante l’organisation des élections présidentielle et législatives de 1991 par le ministère de l’intérieur assisté d’un comité national mis sur pied par arrêté ministériel N°130/Misat/Mdn/Mf/Dc/Sa du 23 octobre 1990, l’Assemblée Nationale- fortement influencée par l’opposition- a voté la loi N°94-014 DU 27 janvier 1995 portant Code Electoral en République du Bénin qui institue la Cena et la loi N°94-015 du 27 janvier 1995 définit son mode de fonctionnement.
Elle est une autorité administrative indépendante qui joue de la personnalité morale et de l’autonomie financière chargée de l’organisation des élections. Cette idée de confier l’organisation des élections à une institution indépendante des pouvoirs exécutif et législative a contaminé toute l’Afrique où l’on voit aujourd’hui des Cena, des Ceni et Cea. Saka Fikara, député à l’Assemblée nationale à l’époque précise que « l’organisation des élections par la Cena apparaît comme un organe plus rassurant que le ministère de l’intérieur » et d’ajouter que « la création de la Cena permettait une utilisation plus rationnelle du matériel électoral et une compilation de données statistiques au sujet des élections ». Mais pourtant, le Bénin n’est pas sorti de l’auberge. En dehors de l’institution que toutes les forces politiques se battent pour contrôler, il y a les lois électorales qui régissent le secteur des élections. A l’approche de chaque élection, l’Assemblée Nationale se réunit et vote les Règles Générales pour l’Election du Président de la République et des membres de l’Assemblée et deux Règles particulières pour chaque type d’élection.
Ce système des lois éphémères a prévalu de 1991 à 2013 où l’Assemblée nationale a doté le Bénin de la loi N° 2013-06 portant Code Electoral en République du Bénin. On croyait ainsi avoir conjugué au passé cette période d’instabilité. « Dans l’histoire électorale en République du Bénin, le 8 avril 2013 se révèle une date importante avec le vote, à l’assemblée nationale, de la loi 2013-06 portant code électoral en République du Bénin. Le 25 novembre 2013, du fait de la promulgation de ce code électoral, le Bénin a mis un terme à 23 années (1990-2013) de pratique électorale caractérisée par des contestations et violences contenues in extremis. Quatorze1 (14) différentes élections ont, en effet, été organisées sur la base de plus d’une quinzaine2 de lois électorales. Au regard du caractère de ‘’potentiel déclencheur’’ de conflits violents reconnu aux processus électoraux mal gérés, ces vives tensions et calculs politiciens conflictogènes qui caractérisaient nos processus électoraux, souvent tardifs et toujours rallongés à dessein, les retards accusés pour le vote des lois électorales puis les errements dans leurs applications, ont motivé l’option d’un code électoral vu comme un intrant nécessaire à la consolidation de la paix », se réjouit Mme Fatouma Batoko-Zossou, Présidente du Conseil d’Administration de Wanep-Bénin.
La stabilité quinquennale
L’année 2013 fut une année cruciale pour notre système électoral. Trois lois importantes furent votées pour renforcer le cadre des élections. En dehors du Code Electoral, il fut une année qui marque une avancée notable dans la professionnalisation et la sécurisation des élections au Bénin. En dehors du Code Electoral, il y a eu le vote de la loi N°2013-09 portant détermination de la carte électorale et fixation des centres de vote. Et enfin, il y a la loi N°2013-05 portant création, organisation, attributions et fonctionnement des unités administratives en République du Bénin. Ces trois lois constituent ce qu’on appelle le « triplé de sécurité ». Ainsi donc, tous les 5290 villages et quartiers de villes du Bénin sont connus, ainsi que les 7902 centres de votes tous codés. Les bulletins de chaque centre de vote sont également codés. Ces dispositions, en plus de l’institutionnalisation d’une Cena consensuelle et professionnelle de 5 membres élus pour 7 ans, renforcent la sécurité des élections au Bénin.
De 2013 à 2018, l’Assemblée Nationale n’a plus voté de lois électorales pourtant le Bénin a organisé les élections législatives de 2015 et la présidentielle de 2016 qui a permis l’alternance au sommet de l’Etat. On croyait ainsi être avoir réussi à stabiliser notre système électoral. Mais en 2016, le gouvernement de la rupture annonce plusieurs réformes dont celle du système partisan. Les objectifs de cette réforme sont, entre autres, l’assainissement du paysage politique par la réduction des partis politiques, la création de « grands » partis et la lutte contre la corruption en politique. Le diagnostic fait par le nouveau Président de la République Patrice Talon recevait l’assentiment de presque la majorité de la classe politique. Seulement c’est au niveau des solutions que les réformes semblent avoir péché.
Un recul imprévisible
A partir de 2018, le gouvernement conduit à pas de charge plusieurs réformes, il s’agit de la Charte des Partis Politiques et du Code Electoral. Sur la première loi, la principale innovation est contenue à l’article 16 qui stipule clairement que « le nombre des membres fondateurs d’un parti politique ne doit pas être inférieur à quinze par commune. Or, dans la charte de 2001, il était de 12 par département. Au total donc, il faut 1155 membres fondateurs pour créer un parti. Laborieux ! Le Code Electorale rend la coupe plus amère avec l’article 242 qui attribue les sièges de députés et de conseillers communaux aux partis ayant obtenu au moins 10% des suffrages au plan national. Plus grave, les cautions sont relevées à 250 millions pour les candidats à la présidentielle et 249 millions pour une liste de candidature pour les élections législatives soit 3 millions par candidat. Vague d’indignation et de critiques. L’opposition (minoritaire à l’Assemblée Nationale) et une partie de la société civile dénoncent un code qui légitime l’exclusion et marque le recul de la démocratie. Les contestations ne dissuadent pas pour autant les velléités du gouvernement et de sa majorité à l’Assemblée.
Ce code sera maintenu et appliqué pour les législatives de 2019 auxquels ont participé seuls les deux partis créés par le chef de l’Etat lui-même. La nouvelle charte des partis politiques était déjà une barrière presque infranchissable, un tamis à maille très fine qu’on traverse difficilement lorsqu’on n’est pas adoubé par le pouvoir. Ces élections législatives exclusives génèrent des crises postélectorales violentes et mêmes des morts. En octobre 2019, un simulacre de dialogue politique boycotté par l’opposition, prend l’initiative d’adopter de nouvelles lois électorales. Un nouveau code électoral et une nouvelle charte des partis politiques sont adoptés le 15 novembre 2019 quelques jours après la révision de la constitution intervenue le 1er novembre. Au lieu de revenir sur les dispositions exclusives, le code de 2019 les maintient toutes et aggrave l’exclusion par le parrainage. Désormais, tout candidat à l’élection présidentielle doit avoir seize parrainages de députés et/ou maires. Branle bas dans les états major des potentiels candidats de l’opposition. « Le parrainage remplace le certificat de conformité inventé pour écarter l’opposition aux législatives de 2019 », déplore un observateur averti de la vie politique béninoise. Ce code ne fait plus de la carte d’électeurs le seul sésame pour voter. Seule bonne nouvelle dans ce code, la caution à déposer pour tout candidat à la présidentielle passe de 250 millions à 50 millions.. En 2020, ce nouveau code électoral de 2019 est une fois touché par le vote de la loi N°2020-13 du 02 juin 2020 portant interprétation et complétant le Code électoral qui permet au parti majoritaire d’un conseil communal de désigner simplement le maire. En trois ans, trois touches au code électoral. On pourrait dire trois nouveaux codes. Bienvenue dans une nouvelle zone d’insécurité juridique et retour à la case de départ.
Une régression inattendue
Alors que le député Orden Alladatin, président de la Commission des lois à l’Assemblée Nationale ne cesse de louer les réformes intervenues au Bénin depuis 2018 pour améliorer le système partisan, Serge Prince Agbodjan, juriste, spécialiste des lois électorales y voit une période d’instabilité préjudiciable à long terme à la qualité de nos élections. Pour lui, les lois électorales ont eu trois temps forts au Bénin. De 1991 à 2013, c’est une période d’instabilité avec une foultitude de lois électorales. De 2013 à 2018, c’est une période de stabilité avec un seul code électoral et de 2018 à nos jours, on est retombé dans une nouvelle période d’instabilité qu’on avait cru définitivement derrière nous. « On a régressé. Dans une loi électorale, il faut habituer les citoyens à la règle de droit et leur permettre d’avoir des habitudes électorales avec un code stable », déplore-t-il. Il poursuit en disant qu’il faut éviter de toucher aux lois électorales à tout moment afin d’avoir un cadre législatif stable. Il dénonce l’esprit dans lequel les lois ont été votées. Revenant sur les modifications intervenues dans l’organigramme de la CENA, il affirme que cette Cena ne rassure pas. Citant l’article 33 du Code électoral qui fait du Directeur général des élections(Dge) l’ordonnateur du budget de la Cena, il affirme que cette disposition risque de créer des clashs permanents entre le Dge et le président de la Cena. « Ils finiront par en venir aux mains », dit-il en rigolant. Mais c’est le contexte dans lequel ces lois ont été faites et votées qui pose problème. « Le choix de la majorité et de la minorité pour remplacer la majorité et l’opposition est un grand recul car aujourd’hui la minorité est du pouvoir et le consensus, principe à valeur constitutionnel, a disparu ».
Ces propos sont renchéris par l’honorable Saka Fikara : « En notre temps, on parle de mouvance et de l’opposition. C’est un principal cardinal de la démocratie. Il ne peut avoir démocratie sans opposition. Et malgré les contradictions, on essayait de faire tout dans une démarche consensuelle pour éviter les frustrations. Notre pays a connu dix ans de dictature-dont je suis une victime- et il faut tenir compte de ce passé pour agir ». En 1994, l’Union interparlementaire a exigé que toutes les élections dans tous les Etats membres soient « libres » et « régulières ». Cela demande entre autres, que « tout individu a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays et de présenter, dans des conditions d’égalité, sa candidature à des élections » et que… « tout individu a le droit d’adhérer à, ou avec d’autres, de créer un parti ou une organisation politique en vue d’être candidat à une élection ». « Nous sommes bien du compte », dénonce Serge Prince Agbodjan qui avertit : « à cette allure, les élections ne seront plus que de simples formalités dans les années à venir »
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