Après les clarifications du porte-parole du gouvernement au sujet d’un supposé troisième mandat, certains béninois, ne voulant certainement pas voir Patrice Talon quitter le pouvoir, proposent de nouvelles alternatives. Ils évoquent de plus en plus la question d’une nouvelle république. Si l’idée n’est pas sans fondement, elle constitue selon les propos d’un diplômé de l’école nationale d’administration et de magistrature du Bénin, une conséquence de la révision constitutionnelle opérée en 2019 par le parlement « monocolore » et la validation qui en a été faite par la cour constitutionnelle d’alors, dirigée alors par Joseph Djogbénou.
Actuellement, le Bénin ne dispose pas d’une constitution selon Appolinaire Akoutodji, apôtre, analyste politique et observateur de la vie publique béninoise, diplômé de l’école nationale d’administration et de magistrature de l’université d’Abomey-Calavi, qui intervenait dans un entretien accordé au média en ligne BL TV. Cette déclaration fait suite aux propos de certains béninois comme Bertin Koovi qui continuent d’inviter Talon, à briguer un autre mandat après les deux dont le second s’achève bientôt. Pour lui, le Bénin se trouverait dans une nouvelle république. En effet, depuis 2019, la scène politique béninoise a été marquée par une reconfiguration majeure. La révision constitutionnelle opérée par l’assemblée nationale de l’époque, constituée à 100% de députés favorables au camp présidentiel et les décisions de la cour constitutionnelle dirigée par le professeur Joseph Djogbénou, ont bouleversé et continuent d’impacter sérieusement la vie politique béninoise.
Le dépassement des prérogatives et le défaut de contrôle de constitutionnalité
Pour Appolinaire Akoutodji, c’est quand le parlement de 2019 a outrepassé ses prérogatives en matière de révision de la constitution, avec la validation de la cour constitutionnelle, que le problème s’est posé. « Lorsque le parlement se permet de réviser la constitution au tiers de son contenu, le risque est grand que ce parlement franchisse les rubicons supraconstitutionnels que la loi constitutionnelle lui impose de ne pas franchir », déclare le juriste. Et il explique : « quand je prends la constitution de 1990, son article 156 alinéa 2 dit que la forme républicaine et la laïcité de l’État béninois ne peuvent faire l’objet de révision. Lorsque vous révisez la constitution de 1990 et vous ne touchez pas la forme républicaine et la laïcité de l’État, la constitution demeure. Si vous touchez à la forme républicaine ou à la laïcité, la constitution disparaît. Mais lorsque vous prenez la DCC 504-19 du 6 novembre 2019, la cour s’est abstenu de faire un contrôle de constitutionnalité quant au fond, au motif que le pouvoir constituant détenu par le peuple est transféré au parlement et souverain. C’est un piège », dit Appolinaire Akoutodji.
Il fait la démarcation entre les pouvoirs constituants qui existent et donne des précisions. « Il y a le pouvoir constituant originaire, qui est l’organe constituant qui a élaboré et édité la première constitution. Et il y a le constituant dérivé, qui est le parlement, qui peut réviser la constitution. Quand vous prenez la constitution de 1990, elle met une limite pour montrer que le parlement n’a pas les mêmes compétences que le pouvoir constituant originaire. Mais la Cour a rendu une décision contraire à l’article 156. Quand vous dites que le pouvoir constituant détenu par le peuple est transféré au parlement souverain, vous êtes en train de confondre la souveraineté du peuple à la souveraineté des députés, alors que ce n’est pas le cas ».
Le rôle de la cour Djogbénou
La Cour constitutionnelle, dirigée à l’époque par Joseph Djogbénou, ancien ministre de la justice et proche collaborateur du président Patrice Talon, a également été au centre des débats. Ses décisions, souvent perçues comme favorables au pouvoir exécutif, ont renforcé les interrogations. « Quand la Cour constitutionnelle s’oppose à aller dans la loi constitutionnelle, c’est un déni de justice, par lequel elle a donné sa complicité à la révision constitutionnelle, par le parlement pour dépasser les limites. Maintenant, quand vous prenez la loi constitutionnelle de novembre 2019, elle dit que la présente révision constitutionnelle n’établit pas une nouvelle République. Mais en réalité, les députés n’ont pas compétence à écrire cela. Le parlement n’a pas compétence à exercer un contrôle de constitutionnalité de la loi constitutionnelle à priori, parce que selon les articles 113, 114, 115, 116 de la constitution, c’est la cour constitutionnelle qui est compétente pour exercer le contrôle de constitutionnalité des lois », explique l’analyste politique.
C’est même la décision de la cour constitutionnelle qui a tout embrouillé selon Appolinaire Akoutodji. « La DCC 504-19 de novembre 2019, déclarant la loi constitutionnelle de 2019 conforme à la constitution, a violé le préambule et l’article 156 de la constitution pour avoir transféré les attributions du pouvoir constituant originaire de la conférence nationale des forces vives de la Nation de 1990, au pouvoir constituant dérivé qu’est l’assemblée nationale, en matière de révision de la constitution. Ce faisant, la cour donne désormais, la liberté absolue au parlement de réviser la constitution même s’il dépasse les barrières supraconstitutionnelles établies par l’article 156 de la constitution ».
Conséquence des actes législatifs de 2019
La première conséquence de ce qui s’est passé en 2019, c’est que « les députés ont le droit de réviser la constitution jusqu’à créer une nouvelle république. Or, quand on parle de nouvelle république, on se réfère à la première constitution. Parce qu’il y a une nouvelle république lorsqu’il y a une nouvelle constitution. Il y a une nouvelle constitution lorsque les barrières supraconstitutionnelles établies par la première constitution sont franchies. Ici, dans le cas d’Espèce, l’article 173- 1 de la nouvelle loi constitutionnelle a créé une disposition contraire à l’article 23 et à l’article 2 de la constitution de 1990. C’est-à-dire l’État reconnaît la chefferie traditionnelle comme gardienne des us et coutumes. Cette disposition de la nouvelle constitution, viole deux dispositions sacrées de la constitution de 1990. D’abord le préambule et deuxièmement l’article 2 qui parle de la laïcité de l’État et de sa forme républicaine ». Et dès lors que nous ne sommes plus avec la première constitution, nous ne sommes plus dans la même république ». C’est la première conséquence selon les déclarations du diplômé de l’école nationale d’administration et de magistrature du Bénin.
La deuxième série de conséquence concerne l’esprit des articles 154 et 155 de la constitution. « Les présidents Talon et Yayi Boni peuvent être candidats en 2026 s’ils n’ont pas encore atteint la barrière des 70 ans. Quand on écrit que nul ne peut, de son vivant, faire plus de deux mandats présidentielles, comme c’est mis à l’article 42 nouveau, la question que le juge va se poser est de savoir si cette disposition s’applique à l’ancienne ou la nouvelle république. La réponse est donnée par la cour et par les députés dans la loi constitutionnelle. Je prends un exemple. Quand ils ont dit que les députés vont faire trois mandats et pas plus, ils n’ont plus dit si les mandats antérieurs déjà faits par les députés seront considérés parce que la loi n’est pas rétroactive. Du coup, la nouvelle constitution s’appliquera aussi dans la nouvelle république », conclu Appolinaire Akoutodji.
L’idée d’une nouvelle République, bien qu’encore floue, ouvre un espace de réflexion sur l’avenir du Bénin. Elle soulève des questions fondamentales qui méritent des réponses adéquates pour la préservation de la paix et de l’unité nationale. (Rejoignez la famille des abonnés de la chaîne WhatsApp de La Nouvelle Tribune en cliquant sur le lien https://whatsapp.com/channel/0029VaCgIOFL2ATyQ6GSS91x)
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