La colonisation de l’Algérie par la France, qui débuta en 1830, demeure l’une des pages les plus controversées de l’histoire franco-algérienne. Bien avant la conquête française, la Régence d’Alger, alors sous suzeraineté ottomane, était une puissance méditerranéenne importante qui entretenait des relations diplomatiques et commerciales avec les nations européennes, allant même jusqu’à prêter de l’argent à la France révolutionnaire. Le prétexte du « coup d’éventail » donné par le dey d’Alger au consul de France en 1827, suite à un contentieux sur le non-remboursement de cette dette, servit de catalyseur à l’expédition militaire française. S’ensuivit une colonisation de peuplement particulièrement violente qui dura 132 ans, marquée par l’expropriation massive des terres, la mise en place d’un système juridique discriminatoire et de nombreuses exactions envers la population locale. C’est dans ce contexte historique complexe que la récente déclaration d’Éric Zemmour sur BFMTV, qualifiant l’Algérie pré-coloniale de « cloaque » et de « catastrophe » que « la France aurait soignée », a ravivé les tensions mémorielles entre les différents courants d’opinion.
Une polémique qui enflamme le débat public
La polémique initiée par les propos d’Éric Zemmour sur BFMTV a rapidement suscité de vives réactions dans le débat public français. La militante franco-palestinienne Rima Hassan a été l’une des premières à réagir, dénonçant une vision révisionniste de l’histoire coloniale. Elle a notamment souligné les violences perpétrées durant la colonisation, rappelant que « la France a massacré un tiers de la population algérienne » et pointant du doigt les essais nucléaires menés dans le Sahara, dont l’impact environnemental se fait encore sentir aujourd’hui. Pour elle, la France ne doit pas seulement des excuses à l’Algérie, mais aussi « une justice compensatoire. »
Face à ces accusations, Éric Zemmour a répondu par une longue diatribe contestant l’existence même d’une nation algérienne avant la colonisation française. « L’Algérie n’avait jamais été une nation. Elle n’avait jamais été un peuple. Elle n’avait jamais été un État », a-t-il affirmé, développant une vision de l’histoire où la colonisation française n’aurait été qu’une succession parmi d’autres, après « les Romains, les Vandales, les Arabes, les Espagnols, les Turcs. » Il a également mis en avant les réalisations françaises en matière d’infrastructures et de santé publique, tout en minimisant les aspects violents de la colonisation.
Les historiens et journalistes rétablissent les faits
L’historien Benjamin Stora, spécialiste reconnu de l’histoire algérienne, a tenu à rappeler un fait historique crucial pour comprendre les origines du conflit : « C’est la Régence d’Alger qui a prêté de l’argent à la France, qui en avait besoin, au moment de la révolution française. C’est le refus du remboursement qui a provoqué le coup d’éventail du Dey d’Alger au consul français en 1827. » Cette précision historique vient directement contredire la vision d’une Algérie pré-coloniale présentée comme arriérée par Zemmour.
Le journaliste Jean-Michel Apathie est également intervenu dans le débat pour apporter un éclairage historique différent, qualifiant Zemmour de « falsificateur de l’histoire ». Il a notamment déconstruit l’argumentaire concernant les motivations de la conquête d’Alger en 1830, rappelant que l’expédition était avant tout motivée par des considérations de politique intérieure française. Selon lui, le roi Charles X cherchait « un coup d’éclat militaire pour suspendre les libertés publiques et revenir à la monarchie absolue. » Apathie souligne également un aspect crucial souvent occulté : la décision française de faire de l’Algérie une colonie de peuplement à partir de 1840, ce qui impliquait nécessairement le déplacement des populations locales et l’instauration d’un système juridique discriminatoire, qualifiant cette colonisation de « plus grande erreur historique française. »
Cette controverse s’inscrit dans un contexte plus large de débat sur la mémoire coloniale, comme l’illustre la récente commémoration par l’Algérie et la Tunisie du bombardement de Sakiet Sidi Youcef par l’armée française en 1958. Le Premier ministre algérien Nadir Larbaoui a d’ailleurs qualifié cet événement d’« exemple vivant de la barbarie du colonialisme », soulignant la persistance des tensions mémorielles entre les deux pays.
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